Les textiliens «tissent» leur plan de riposte
Les importations turques gênent de plus en plus les industriels marocains. «Trop c’est trop», dit l’AMITH qui prépare sa riposte afin de contrer les pratiques «déloyales et anticoncurrentielles» des exportateurs turcs. La profession se dit prête à explorer toutes les voies de recours.
Performant à l’export, malmené sur son marché local… Le secteur du textile vit une terrible contradiction qui le mène «droit dans le mur», à en croire les professionnels. «Notre industrie avance à deux vitesses avec des entreprises très compétitives à l’export et un marché national miné par l’informel et la concurrence déloyale», s’alarme Karim Tazi, président de l’Association marocaine des industrie du textile et de l’habillement (AMITH).
Selon l’association, le marché marocain fait face à un mouvement de contrebande massif et à une concurrence déloyale de la part de grandes enseignes, principalement turques. Celles-ci exerceraient, selon l’AMITH, un dumping social et n’hésiteraient pas exploiter des réseaux de contrebande pour écouler leurs marchandises déjà extrêmement compétitives grâce au soutien des pouvoirs publics turcs. À noter que l’accord de libre-échange Maroc-Turquie entré en vigueur en 2006 octroie des avantages douaniers non négligeables aux importations turques.
L’AMITH affûte ses armes
Pour contrer la déferlante, l’AMITH prépare sa riposte et devrait bientôt monter un dossier pour une plainte à l’encontre des importations turques. «La question est en cours d’étude. Si toutes les conditions sont réunies -ce que nous pensons fortement- l’AMITH ne s’interdira rien», lance le président de cette association professionnelle, qui assure disposer de preuves attestant de pratiques déloyales. L’industrie manufacturière turque profite d’un système d’aide publique robuste permettant un avantage comparatif important dans certains secteurs, notamment le textile.
Les exportations turques sont également mieux accompagnées et soutenues en termes de réglementation, de subventions ou encore d’incitations. Au pays d’Atatürk, l’industrie profite d’une compétitivité énergétique, de réductions fiscales, de remboursements de la TVA, de baisse des taux d’intérêt sur les crédits, etc. De plus, le gouvernement turc est continuellement engagé dans le développement de ces mécanismes de soutien tant au stade de la production qu’à celui des exportations. «D’ailleurs, certains de nos fournisseurs turcs en matière première nous assurent que des aides supplémentaires de la part du gouvernement seront bientôt débloquées», souligne Tazi.
Pratiques déloyales
Bien qu’il ne soit pas seul à bousculer l’industrie marocaine sur le marché local (le Maroc subit également la concurrence du Bangladesh, du Vietnam et d’enseignes européennes low-cost), le textile turc est sans doute l’un des plus redoutables. Avec environ 60.000 entreprises, employant près de deux millions de personnes, ce secteur occupe une place centrale dans l’économie turque. Le pays exporte plus de 60% de sa production, ce qui en fait le 5e exportateur mondial de produits textiles et le 7e de prêt-à-porter. Sur le marché européen, la Turquie est le 2e fournisseur de produits textiles et le 3e de prêt-à-porter.
En 2014, les exportations turques dans ce secteur représentaient environ 29 milliards de dollars. Le gouvernement turc ambitionne d’atteindre les 80 milliards à l’horion 2023, soit une hausse de plus de 172% en 9 ans. «Il existe de plus en plus de preuves des pratiques véreuses des Turcs. Tous les autres pays prennent position concernant ce sujet et préparent leur riposte, sauf nous», regrette Mohamed Tazi, directeur général de l’AMITH. La profession promet de faire du marché local une des priorités de l’année 2017 : «un véritable effort sera fourni afin de rendre plus accessible le marché local à nos industriels et freiner, un tant soit peu, la contrebande», assure le DG de l’AMITH. L’industrie craint des pertes d’emplois de plus en plus importantes dans le secteur, notamment à cause de la vulnérabilité de l’informel. «Toute la dynamique que connaît notre industrie à l’export (voir encadré et tableau) ne sera soutenable si le marché local n’est pas additionné à l’effort de montée en gamme et s’il continue à être gangrené par le dumping et la contrebande», prévient Karim Tazi.
En attendant Benkirane…
Parallèlement à cela, les perspectives sur les marchés internationaux -notamment européen- s’annoncent prometteuses. «Grâce à la dynamique enclenchée par les écosystèmes industriels textiles, le secteur devrait pouvoir continuer à progresser à l’export», souligne Karim Tazi. «Nous attendons donc la formation du prochain gouvernement afin de voir activer les leviers d’accompagnement prévus par le Plan d’accélération industrielle (PAI)», ajoute le président de l’AMITH.
En tout cas, le PAI a permis de relancer l’investissement dans le secteur : «Nous avons connu un réel réamorçage de l’investissement dans le secteur en 2016 avec la concrétisation d’une quinzaine de projets et le lancement d’une centaine d’autres actuellement en cours de réalisation», précise Mohamed Tazi. Ces investissements orientés vers les marchés internationaux seraient supérieurs au cumul des cinq dernières années, c’est dire la progression que connaît le secteur à l’export.
Ainsi, les objectifs définis par les écosystèmes de l’industrie du textile sont en bonne voie pour être exécutés à l’échéance fixée à 2020. Grâce aux trois premiers écosystèmes des filières du denim, de la fast-fashion et de la distribution des marques marocaines, le secteur a pu réaliser 37 projets d’investissements avec la création de 15 locomotives du secteur et 22 PME. Ces projets ont permis la création de 31.000 emplois à ce jour, soit 1/3 des objectifs fixés par le Plan d’accélération industrielle (PAI) pour le secteur (100.000 emplois). Concrètement, pas moins de 1,2 MMDH d’investissements ont pu être exécutés dans des projets permettant notamment la modernisation de l’outil de production, la montée en gamme et l’innovation.
L’AMITH avait signé, en septembre 2015 avec le ministère du Commerce et de l’industrie, trois contrats de performance relatifs aux écosystèmes des filières du denim, de la fast-fashion et de la distribution des marques marocaines. Les filières maille, linge de maison et textile technique se sont dotées d’écosystèmes à travers la signature de trois nouveaux contrats de performance en octobre dernier.
Mohamed Benayad
Secrétaire général du ministère du Commerce extérieur
«Toute la problématique autour de cette question est de savoir prouver les allégations de dumping ou de subventionnement. En tant que ministère, chargé notamment de la défense commerciale, nous sommes prêts à examiner toute plainte pour cas de concurrence déloyale que les professionnels pourront prouver. Nous ferons cela dans un respect total des règles de l’Organisation mondiale du commerce. Notre ministère prendra ensuite les décisions nécessaires pour protéger les industries nationales».
Record historique
À l’export, l’industrie a fait un bond considérable durant l’année 2016. À fin octobre, les exportations en textile ont atteint 28 MMDH, soit plus que l’ensemble des expéditions réalisées durant l’année 2013. Cette dynamique devrait se poursuivre pour atteindre un record dans l’histoire du Maroc d’ici la fin de l’année. «Selon nos prédictions, nous devrions atteindre 32 à 33 MMDH d’exportations, une première», précise le DG de l’AMITH. Les perspectives s’annoncent également prometteuses pour 2017 avec de nouveaux débouchés, notamment vers le marché européen, prêt à capter près de 400 millions d’euros de produits textiles supplémentaires.