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«La technocratisation est en marche, partout»

Charles Josselin : Économiste et homme politique français, membre du Parti socialiste.

Membre du parti socialiste français, l’économiste Charles Josselin regrette la techocratisation de la gestion locale. Il explique pourquoi.

Les Inspirations ÉCO : Le Maroc s’est engagé dans une logique de régionalisation. Beaucoup de chantiers de développement et d’urbanisation sont lancés. Comment concilier tous ces enjeux ?
Charles Josselin : Gérer le temps. Ce n’est pas cela le plus simple, mais c’est une très grosse erreur que de croire qu’il suffit d’installer une ville nouvelle à la place d’un bidonville pour que celui-ci disparaisse. Il faut accepter de continuer à vivre avec des bidonvilles tout en menant le travail de modernisation de la ville. Cela soulève la question de savoir, par exemple, si un bidonville doit être éradiqué ou s’il peut être aménagé. Ces questions ne s’imposaient pas de la même manière il y a longtemps, mais on a découvert qu’en rasant le bidonville, il devient important de trancher le cas de ses habitants. Que fait-on aussi de la solidarité qui avait commencé à se créer à l’intérieur de ces bidonvilles ? Ce bidonville est-il suffisamment aménageable pour que l’on y amène de l’eau ? Jusqu’à présent, l’on n’avait pas le droit d’amener de l’eau dans un bidonville, car le faire reviendrait à consolider le bidonville. Toutefois, il arrive qu’il soit plus efficace d’aménager le bidonville que de le raser, alors qu’il n’y a pas de solution de rechange. Je donne cet exemple pour montrer la nécessité de raisonner chaque fois en fonction du cas d’espèce, en prenant en compte la volonté de la population. S’il y a une volonté des citoyens de continuer à vivre en communauté en améliorant les conditions de vie, soit ! Parions sur l’avenir de cet aménagement ! Ce ne sera pas une ville comme les autres mais nous pouvons peut-être progressivement lui amener les services essentiels qui lui assureront progressivement un mode de vie acceptable.

Est-ce aussi facile que cela ?
Les promoteurs privés ne trouvent pas forcément leurs comptes dans ces cas-là, mais il faut qu’ils en comprennent la nécessité. Le plus important étant que ce ne soit pas seulement les ambitions financières qui guident toujours les politiques d’aménagement. Je n’écarte pas la loi du marché comme composante du développement, mais la régulation publique aussi joue son rôle.

Les instances chargées du chantier «Villes sans bidonvilles» se félicitent de la réussite de ce programme. Mais, la qualité des logements vers lesquels on recase les anciens habitants de bidonvilles est critiquée…
Ce ne sont pas forcément les mêmes habitants que ceux qui occupaient les bidonvilles, qui occuperont les nouveaux immeubles (niveaux de revenus, culture…). Même s’il m’arrive d’avoir certains reproches à faire au fonctionnement de la machine administrative marocaine, force est tout de même de reconnaître que le Maroc doit tout de même être pointé comme l’un des pays qui se développe, où il y a de l’investissement…On pourra toujours considérer que c’est un pays qui a eu la chance d’être bien placé car mieux vaut être en haut de l’Afrique qu’au milieu (rire), mais pas seulement. Le Maroc jouit d’une stabilité qui a été pour beaucoup dans son développement et malgré certaines lacunes dans son fonctionnement, il faut souligner que ce qui a été fait en matière de décentralisation, de régionalisation, est incontestablement à apporter au crédit du Maroc. La décentralisation reste encore à parfaire, les walis doivent aussi probablement accepter de voir leurs fonctions évoluer comme les préfets en France ont vu les leurs changer un peu avec plus un rôle d’animation que de simple autorité. Cela n’est pas simple car un agent d’autorité a d’abord appris à être un segment de la chaîne de commandement.

Il s’agit donc d’instaurer une sorte de management de l’autorité locale…
En effet et ceci en donnant la place qui convient aux collectivités locales, aux mairies, voire aux organisations infra communales. Je porte souvent un regard assez critique sur la société civile : souvent, on a tendance à béatifier la société civile et diaboliser la société politique. Or, il y a des associations qui ont de faux intérêts tout comme il y a aussi des politiques qui font honnêtement leur travail, mais ce qui est certain, c’est qu’il faut un peu de préposée confiance entre la société civile et les élus.

Que dire de l’équation croissance urbaine et de l’accès aux services de base ?
Il faut se poser la question de savoir si la croissance urbaine est à considérer comme une catastrophe ou plutôt comme une opportunité ? La ville n’est-elle pas aussi le moyen de faire accéder le plus grand nombre aux services essentiels ? Avoir peur de la croissance urbaine n’a pas beaucoup de sens car on peut sans doute l’organiser, la ralentir dans certaines zones et la développer davantage dans d’autres… mais nous ne pouvons l’empêcher. Faisons alors de cet avènement inévitable une raison de plus pour réussir l’accès de tous aux services essentiels. Dans ce registre, le numérique est aussi un service amené à devenir de plus en plus essentiel. Pour l’instant, ce service est davantage au service des urbains, mais ce n’est pas inévitable que les ruraux puissent y avoir accès aussi, d’où la nécessité justement de ne pas oublier le rural dans la statistique globale.

Certains recommandent que, pour réussir cette mue, les autorités locales soient en majorité composées de technocrates…
La technocratisation est en marche, partout. Je le regrette, c’est vrai, mais il en est ainsi. Qu’on le veuille ou pas, dans la gestion d’une ville, la technicité est devenue importante. Ceci étant, ou c’est l’élu qui se technicise ou il a à sa disposition des techniciens qui acceptent de travailler pour lui selon ses orientations. En France, par exemple, à côté de la fonction publique d’État, nous avons la fonction publique territoriale : il y a donc des fonctionnaires locaux dont le statut est différent de celui de la fonction d’État. Les élus français ont la chance d’avoir à leur disposition des fonctionnaires formés, capables de traduire en arrêtés communales la norme d’État qui arrive de temps en temps à la mairie et je pense que c’est probablement vers cette configuration qu’il faut aller. Néanmoins, il est vrai qu’en France, de plus en plus d’élus se recrutent dans un milieu qui revendique la connaissance et la technicité. Cela peut fausser les résultats en termes politiques, puisque normalement les profils des élus devraient être représentatifs d’une population. Or, aujourd’hui, on retrouve peu d’ouvriers et de paysans parmi les députés. Ce mix entre la haute fonction publique et la haute fonction politique, en soi, ne me paraît pas très bon.

On sent, en filigrane, dans vos propos que votre nerf socialiste bat encore très fort…
J’en ai l’impression. J’essaie de ne pas trop changer à cet égard (rire).


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