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«La loi 66-12 ouvre la porte aux abus !»

Azeddine Nekmouche, architecte

Les architectes marocains sont inquiets. La loi 66-12 ouvre la porte à toutes les dérives.  Déjà, des arrêts de chantiers sont signalés. Azeddine Nekmouch, architecte à Casablanca, donne son avis.

Les inspirations ÉCO :  La  loi 66-12 suscite une grande polémique  au sein de la profession de l’architecture. Après toutes les catastrophes qui ont endeuillé le secteur, il fallait bien qu’une loi soit adoptée pour y mettre de l’ordre…
Azeddine Nekmouche : Il faut rappeler que les premiers à avoir demandé – et ce, depuis des années- à ce que le secteur du bâtiment soit bien réglementé étaient bien les professionnels, plus précisément les architectes. Vous avez parlé de catastrophes; regardons l’historique de ces tragédies. Concernant l’effondrement du bâtiment de Sbata qui a causé  la mort de plusieurs personnes, il faut dire que cette tragédie a eu lieu car d’abord l’architecte n’a pas été informé pour l’ouverture du chantier et le chemisage de la structure n’a pas été fait. À l’origine, le bâtiment   comptait 2 étages et était déjà mal construit dans un quartier où, tout le monde le sait, plusieurs logements ont été réalisés de manière non réglementaire. Il faut savoir aussi que souvent ces travaux se déroulent le week-end et ce sans la présence d’un architecte ni du BET. Ils ne sont même pas réalisés par un entrepreneur qualifié.

Selon vous, ces problèmes  vont-ils diminuer, avec la loi 66-12 ?
Tant que cette loi ne réglemente pas l’ensemble du secteur, ce problème de constructions clandestines ne va pas disparaître. Je dois précisé que la loi 66-12 n’est pas là pour réglementer ce qui a déjà commencé à l’être. Notre secteur est en cours de réglementation. Il faut voir les autres secteurs qui ne le sont pas, à savoir l’habitat non réglementaire. C’est là que le bât blesse. Il faut voir les logements sociaux qui sont réalisés anarchiquement. Dans le quartier de Lamkenssa à Casablanca, par exemple, les gens vivent un calvaire. Nous y avons constaté l’absence de l’architecte et du bureau d’études. Les gens construisent clandestinement et, bizarrement, on ferme les yeux pour leur permettre d’ériger des logements. La loi a apporté des mesures appropriées aux problématiques de l’habitat clandestin, à travers le pouvoir de police judiciaire attribué aux contrôleurs de l’État. Cependant, la confusion entre formel et informel conduirait ces contrôleurs à s’intéresser davantage aux constructions réglementées en raison de l’impact financier, sachant que ce problème a été amplifié par les plans d’aménagement n’ayant pas pris en compte la nature des sols et des tissus existants en autorisant des surélévations, voire même des constructions sur des sites inaptes.

Comment y remédier à votre avis ?
Tout d’abord, on doit impérativement mettre en place une stratégie d’aménagement nationale en tenant compte des flux humains afin de mieux contrôler l’exode rural. Nous avons une richesse naturelle, humaine, économique et agricole qui peut offrir un développement durable à tous, et qui peut ainsi pousser la jeunesse à rester sur place. Nous demandons à revoir et à discuter le Code de la construction entre tous les professionnels du secteur. Ce code, rappelons-le, a été demandé il y a plusieurs années et a même été déposé. Il doit être revu et discuté avec les parlementaires avant son adoption. Le Code de la construction définit parfaitement les normes et la responsabilité de chaque intervenant dans le secteur. Il est actuellement dangereux de laisser n’importe qui «toucher» un bâtiment, car il en va de la sécurité des citoyens. Nous, professionnels, en sommes les seuls garants.

Pour en revenir à la loi 66-12,  pourquoi les professionnels, notamment les architectes, rejettent-ils ce texte ?
Une autorisation de construire est délivrée sur la base d’un plan, d’«un avant-projet sommaire», lequel consiste à faire appliquer la réglementation sur le plan et le programme du maître d’ouvrage. Cette autorisation nous oblige à  faire appel à un bureau d’étude agréé et réglementaire. Son rôle est de livrer une étude technique, en prenant en considération les analyses du sol et en soumettant ces résultats  à un bureau de contrôle. Après quoi, ce bureau d’étude remet ladite étude à l’architecte pour replacer sa structure dans le bâtiment déjà autorisé. Sauf que déjà, par rapport à la loi 66-12, l’architecte est déjà en infraction. En effet, par rapport à l’avant-projet sommaire, il sera nécessaire de faire des modifications dans les plans. Or, dans tout projet, on procède à des modifications, des améliorations et des réajustements. Mais ces changements vis-à-vis de cette loi sont flous. Ainsi,  de modification on passe à infractions passibles d’arrêts de chantier et d’amendes voir même de privations de liberté. Par cette loi, n’importe quel agent d’autorité, qui n’a aucune culture de la construction ou compétence dans le secteur, peut venir arrêter le chantier, sous prétexte qu’il y a eu des modifications au niveau des plans, et ce, sans même détailler lesdits manquements dans un écrit. Il y a des normes pour arrêter un chantier. On ne peut pas du jour au lendemain prendre detelles décisions sans avertir et sans prévenir les responsables. D’ailleurs, ces derniers jours, des agents d’autorité ont débarqué dans certains chantiers, à 17 heures, pour demander les plans et cahiers des charges. Cependant, il n’y avait que le gardien. En 48 heures, sans même un écrit, on a demandé aux architectes responsables des chantiers en question d’arrêter les travaux. C’est la porte ouverte aux abus. De tels agissements, on les verra se multiplier dans le secteur, dont la situation est déjà critique. Nombreux sont les professionnels qui ne désirent plus travailler dans ces conditions. A-t- on pensé à l’économie nationale? Réglementer, oui. Mais en tenant compte des observations des professionnels qui ne demandent qu’à faire leur travail. 

 


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