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Éric Dupond-Moretti, «Les réseaux sociaux condamnent avant la justice»

Éric Dupond-Moretti, Avocat pénaliste

Dans «Direct du Droit», où il reprend la plume 4 ans après «Bête noire», le plus marocain des avocats pénalistes français revient sur les dérives de la justice lorsque les droits de la défense sont rognés de toute part. Rencontré lors de la 3e édition du Salon des livres et des stars à Marseille, Eric Dupond Moretti raconte plusieurs affaires dans lesquelles il est intervenu sans hésiter à pointer les absurdités et les tricheries de l’institution judiciaire avec la franchise  qu’on lui connaît ! Attention, interview sans filtre…

Les Inspirations ÉCO : Avant de commencer cette interview, comment ne pas évoquer le dossier Sâad Lamjarred… une affaire qui vous a propulsé dans la sphère médiatique marocaine…
Eric Dupond-Moretti : L’affaire suit son cours. Tout a été dit. Sâd Lamjarred est actuellement en liberté sous contrôle judiciaire. La procédure n’est pas terminée. C’est très «bateau» mais je ne peux pas vous en dire plus… Je n’avais pas un œil rivé sur la presse parce que je travaille en France, je suis français et je m’intéresse d’abord à la presse française. À l’occasion de l’affaire de Sâad Lamjarred, j’ai été harcelé par la presse marocaine. J’ai lu un certain nombre de choses sur les réseaux sociaux et je suis même de ceux qui pensent qu’un procès ne se fait pas dans les médias, il a quand même fallu répondre…

Et vous avez d’ailleurs répondu aux fans dans une vidéo qui a fait le buzz… Des fans qui, selon vous, ne lui rendent pas service.
Que les fans continuent à aimer cet artiste parce que c’est un grand artiste, cela me paraît normal. Mais que les fans interfèrent dans l’affaire judiciaire, c’est totalement anormal, mais de plus, cela ne lui rend absolument pas service. Il faut laisser la justice travailler sereinement, tranquillement.

Une autre affaire qui vous a propulsé dans la sphère médiatique marocaine, celle de Catherine Graciet et Eric Laurent, les journalistes complotistes. À quel point leur version ne tenait pas la route ?
Ils étaient là avec une thèse complotiste alors que les choses sont claires. On a découvert de l’argent liquide dans leur poche. Je l’avais dis à Barbier: «Sous votre écharpe rouge, je pense qu’il n’y pas de billets». Je trouvais qu’on était très complaisant à l’égard de ces journalistes qui n’ont pas de carte de presse. L’histoire est simple: ils ont vendu à leur maison d’Édition des scoops qui n’ont jamais eu lieu. À un moment  donné, il fallait sortir le livre puisqu’ils avaient reçu un énorme argent à valoir, très vraisemblablement dépensé. La porte de sortie a donc été ce chantage scandaleux. Le comble, c’est qu’ils nous ont reproché d’avoir dénoncé les faits au procureur de Paris. Leur discours était surréaliste. Ils espéraient investir le palais et être proches du roi Mohamed VI comme ils l’avaient été avec Hassan II. Il avait refusé une biographie parce qu’il considérait qu’il était trop jeune. Ils sont passés de livres hagiographiques à propos du Royaume du Maroc à des livres d’une violence incroyable, diffamatoires et violents.

Aujourd’hui, le format des  procès a changé. Un procès se fait également dans les réseaux sociaux …
C’est une catastrophe ! Qui de plus est, les réseaux sociaux permettent l’anonymat. Non seulement vous avez des gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas, qui ne respectent pas la présomption d’innocence, qui relayent des rumeurs dans des conditions invraisemblables et parfois effroyables, et en plus, tout cela se fait sous couvert de l’anonymat. Des personnes se retrouvent jugées avant même que leur procès ait commencé. Une fois que la justice a rendu, à son propre rythme qui n’est pas le rythme médiatique, des mois après, on constate qu’il y a des relaxes, des acquittements, des non-lieux qui sont prononcés. Prenez l’affaire, par exemple, de Baupin (Accusations d’agression et de harcèlement sexuels à l’encontre de l’ancien vice-président de l’Assemblée Denis Baupin). Il s’est fait démolir par les réseaux sociaux et il s’avère que les faits qu’on lui reproche sont prescrits. Personne ne saura jamais judiciairement si les faits sont avérés. Je n’en dis pas plus que cela… Notre système consacre la présomption d’innocence, comme le système judicaire marocain d’ailleurs, mais les réseaux sociaux condamnent déjà…

En quoi cela affecte-t-il votre travail au quotidien ?
Bien sûr que cela affecte mon travail ! Quand j’interviens auprès d’un anonyme dans une affaire qui n’intéresse pas la presse, nous n’avons pas à gérer ce genre de situations. Quand c’est une affaire qui défraie la chronique, je suis obligé de gérer cela, bien évidemment. François Fillon a été condamné avant même que son avocat ait pu apporter un certain nombre de documents. Au fond, ce sont les juges qui ont fait la campagne électorale en France. C’est très troublant ! De mon point de vue, ce n’est pas acceptable !

Une campagne électorale qui, selon vous, n’a pas assez parlé de justice. Vous avez d’ailleurs reproché cela à la campagne de Macron…
Tout à fait. La moralisation de la vie politique, c’est un effet d’annonce ! Dans un pays comme la France, on a quand même une police, un parquet, une administration fiscale. Il faut toujours que l’on en rajoute et cela donne des choses ridicules. Ça donne que Madame Joly est obligée de parler de son canoë kayak, que l’ancien Premier ministre Heraut, parle de son camping car. Tout ceci est ridicule. Si on veut écœurer les gens de faire de la politique, nous aurons une classe politique médiocre. Et trop de transparence devient insupportable. J’ai des clients fortunés qui ont décidé d’investir la politique par altruisme et on leur a reproché des choses invraisemblables. Comme dirait Chirac, trop de transparence tue la transparence. À force de transparence, on passera au travers. Il faut se méfier des effets d’annonce, il faut respecter l’intimité, sans pour autant vouloir tout savoir. Or, on confond honnêteté et transparence. Un certain nombre de politiques et de magistrats le disent, on est allé beaucoup trop loin. Trop de transparence génère le voyeurisme et la liberté individuelle y perd beaucoup. Ce sont des concepts philosophiques qui me paraissent importants à rappeler.

Quel type d’affaires refusez-vous ?
Je ne refuse pas d’affaires si j’ai la liberté de plaider. J’ai dis, et ça ne risque pas d’arriver vu mes positions politiques contre le Front national, mais j’ai dit autrefois que je défendrais un négationniste mais pas un négationniste qui me demanderait de plaider que les chambres à gaz n’ont pas existé… La nuance est de taille. Je peux plaider pour un raciste mais pas pour un raciste qui me demanderait de plaider que les races sont inégales, qu’il y en a qui sont supérieures à d’autres. C’est contraire à tout ce que je suis.


Qui est  Éric Dupond-Moretti ?

Reputé pour son nombre record d’acquittements obtenus sur le territoire français, la bête noire du barreau est né le 20 avril 1961 à Maubeuge dans une famille modeste. C’est l’assassinat de son grand-père retrouvé sur une voie ferrée qui lui donne envie de devenir avocat. Mais le véritable déclic a lieu à 15 ans, en 1976, lorsqu’il entend à la radio l’annonce de l’exécution de Christian Ranucci. Dans Directs du droit, il écrit être devenu avocat par «détestation de la peine de mort». Il obtient son baccalauréat au lycée catholique «Notre-Dame», à Valenciennes et intègre le barreau de Lille après avoir prêté serment comme avocat le 11 décembre 1984 à Douai. Engagé dans un cabinet lillois, il commence sa carrière dans les prud’hommes puis dans les commissions d’office avec pour mentors l’avocat lillois Jean Descamps et l’avocat toulousain Alain Furbury dont il porte aujourd’hui la robe. Une des premières affaires qui a fait le buzz est l’acquittement de Jean-Pierre Deulin, accusé en 1987 du meurtre de sa femme, qui s’était en réalité suicidée.  Il fait aussi partie de l’équipe de cinq avocats chargés d’assurer la défense de Jérôme Kerviel, il assure la défense de Bernard Tapie et plus précisément «juridiquement et médiatiquement» les sociétés de son groupe des «attaques et mensonges» dans le cadre de l’enquête sur l’arbitrage dans son conflit avec le Crédit lyonnais. En 2016, il est l’avocat de Karim Benzema. Il est surnommé l ‘«Acquittador». 


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