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Échiquier politique : Les partis sous haute tension

Plusieurs partis politiques traversent une crise sans précédent tant sur le plan interne qu’au niveau de leur image auprès des bases. Les causes sont multiples dont la principale est l’absence de démocratie interne. Non renouvellement des élites politiques dans les instances décisionnelles, discrédit, résultats électoraux décevants, déclin de la politique de proximité, engagements sans conviction ni suite alors que les attentes sont diversifiées…

La marée de désaffection grandit au fil des rendez-vous électoraux. Les dirigeants des partis politiques sont plus que jamais appelés à analyser avec recul ce qui se passe sur l’échiquier politique qui bouillonne. En dépit des critiques, les formations politiques sont des rouages vitaux pour exercer la démocratie. Politiciens et observateurs s’accordent sur la nécessité de changer la situation en favorisant, en premier lieu, la démocratie interne. Il s’agit d’une condition sine qua none pour que les partis politiques puissent être capables d’encadrer la population et de proposer de véritables projets d’avenir. De grands efforts sont à déployer en la matière car la démocratie interne est considérée comme un leurre par les cadres de bon nombre de partis politiques qui affichent leur déception de voir les moins militants parmi eux accéder à des hautes fonctions à responsabilité.

L’appel est lancé pour mettre fin à l’ambiguïté des règles du jeu. Il s’avère nécessaire d’insuffler du sang neuf dans les rangs des organisations politiques pour les renforcer et construire enfin des ponts avec la population, notamment les jeunes. Jusque-là, le fossé ne cesse de se creuser entre les partis politiques et les bases. Les années se suivent et se ressemblent. En effet, les symptômes demeurent les mêmes, mais cette fois-ci, le mal semble s’aggraver comme en témoigne l’ébullition au sein de bon nombre de formations politiques.

PI : risque d’implosion
Les héritiers de Allal El Fassi naviguent à vue depuis quelques mois. Le parti de la balance qui était historiquement connu pour être une machine électorale tourne visiblement à vide depuis les dernières élections locales. Jamais le PI n’a traversé une zone de turbulences d’une telle intensité. Les Istiqlaliens se déchirent au risque de l’implosion du parti. Le chef de file Hamid Chabat est accusé de tous les maux pour plusieurs raisons. Il s’agit notamment de la gestion des alliances qui ne répond à aucune logique et ne respecte pas l’identité du parti. La dégringolade aux élections (perte de 14 sièges aux dernières élections législatives par rapport à celles de 2011) a porté l’estocade au PI bien que plusieurs dirigeants aient essayé de minimiser l’impact du revers essuyé. Sur le plan local, l’Istiqlal a fortement régressé au niveau de la présidence des régions et des communes aussi bien urbaines que rurales. La cause ? La marginalisation de l’aspect organisationnel des sections et des structures ainsi que le discours populiste du secrétaire général et l’absence d’une position politique claire, selon un membre du Conseil national du parti. «Au lieu de renforcer le parti, Chabat s’est attelé à construire sa personnalité en tant que leader. Il a isolé le parti au sein de l’échiquier politique», relève-t-il. Les prochaines semaines seront décisives pour l’avenir du parti de la balance qui essaie de recoller les morceaux pour unir de nouveaux ses composantes.

USFP : grosses dissensions
Le parti de l’Union socialiste des forces populaires qui vit au rythme de ses dissensions depuis des années n’échappe pas non plus à la montée des tensions surtout après l’annonce de la composition de l’équipe gouvernementale. L’USFP s’enfonce à nouveau dans la crise. À la veille de son dixième congrès national, le parti socialiste est manifestement plus fragile que jamais en raison de la dégradation sensible de son rendement politique et de son image écornée au sein de la société. Le parti de la rose ne cesse de poursuivre sa descente aux enfers sur le plan aussi bien interne qu’électoral en raison notamment des guerres intestines qui semblent interminables et du départ de plusieurs ténors du parti. L’hémorragie ne pourra pas s’estomper tant que la démocratie interne est pointée du doigt. Le mode de gestion de Lachguer est vertement critiqué par plusieurs membres du bureau politique de l’USFP qui réclament un débat responsable au nom de la reddition des comptes et la révision de l’organisation du parti qui se base depuis le dernier congrès sur la gestion individualiste. Certains ittihadis ne partageaient pas avec Lachguer son obstination à entrer au gouvernement. D’autres affichent leur déception de l’issue des négociations bien que le parti soit parvenu en dépit de son maigre score électoral à présider la Chambre des représentants. De grands espoirs sont nourris dans la prochaine messe des socialistes pour démarrer une nouvelle page en vue de redorer le blason de l’USFP.

UC :  tempête interne
Tout comme le parti de la rose, l’Union constitutionnelle bouillonne. La joie d’entrer au gouvernement après 18 ans dans l’opposition a été de courte durée. L’alliance avec le Rassemblement national des indépendants n’a finalement profité qu’aux bleus. Le secrétaire général de l’UC, Mohamed Sajid, est au cœur d’une tempête interne. «La situation actuelle est due au cumul de bon nombre d’erreurs dont l’absence de démocratie interne et de l’équité. J’étais choquée», souligne avec déception aux Inspirations ÉCO Bouchra Berrijal, membre du bureau politique du parti du cheval. Pour cette ancienne députée, l’heure est à une évaluation objective pour déterminer les responsabilités de tout un chacun et corriger les dysfonctionnements.

MP : déception interne
Au niveau du mouvement populaire, la répartition des portefeuilles ministériels a engendré une énorme déception interne. D’anciens ministres ont épinglé le secrétaire général, Mohand Laenser, de les avoir exclus de la nouvelle équipe gouvernementale. Bien que le communiqué du bureau politique du parti de l’épi ait salué l’entrée au gouvernement de technocrates peints aux couleurs du MP, la pilule reste encore difficile à avaler. Le chef de file des harakis est accusé d’avoir échoué dans les négociations. «L’alliance des quatre partis politiques pour la formation du gouvernement n’a profité qu’au RNI alors que le mouvement populaire aurait pu seul renforcer son poids au sein du gouvernement», affirme un dirigeant du MP qui préfère garder l’anonymat. 


Le PJD en crise ?

Arrivé premier aux élections, la victoire du PJD aura été de courte durée face à l’épreuve des tractations pour la formation du gouvernement. Le parti vit une tension interne sans précédent. La gestion des différends entre les membres du parti dont des dirigeants se fait sur les réseaux sociaux au lieu des instances décisionnelles. Une situation qui n’est pas de bon augure pour le parti de la lampe. En effet, la force du PJD a toujours résidé dans son image de parti démocratique favorisant le débat au niveau des instances, mais force est de souligner que la conjoncture actuelle est spéciale. Tout en reconnaissant la difficulté du contexte actuel, le secrétaire général du parti appelle au calme.

Ses propos semblent apaiser les esprits échauffés ; du moins pour le moment, mais cet effet sera-t-il durable ? Les députés du parti de la lampe connus pour leur discipline vont-ils se conformer aux décisions de la majorité ? Le risque n’est pas à écarter, à en croire certaines voix internes. Pour les ténors du parti, la colère est on ne peut plus normale et elle doit être gérée dans le cadre des instances du parti. «Cette phase nécessite de la part du parti de la sagesse», selon Nabil Chikhi, président du groupe du PJD à la Chambre des conseillers et membre du bureau politique du parti. Un dirigeant du parti s’attend à ce que la colère s’estompe au fil des prochains mois.


Said Khomri
Professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques à l’Université Hassan II

Les Inspirations ÉCO : Quel regard portez-vous sur la crise des partis politiques ?  
Said Khomri : Il faut, en premier lieu, faire la distinction entre les différents types de partis politiques. Certains ont un ancrage historique et social et sont nés d’un besoin de la société alors que d’autres sont dits administratifs. La crise est quasi globale avec des degrés différents. Au sein des partis administratifs, la crise est normale car ils n’ont pas un ancrage social et les décisions sont concentrées entre les mains du président en raison du manque de démocratie interne. Pour les autres partis, les causes de la crise sont objectives. Ils ont, en effet, marginalisé leurs missions d’encadrement des citoyens, de représentation des différents mouvements au sein de la société, d’élaboration de projets sociaux avec des alternatives concrètes aux différentes questions…On a ainsi assisté à un recul des partis politiques. À cela s’ajoute le volet de la démocratie interne. La représentation des jeunes et des femmes est quasi fictive avec quelques exceptions. La logique de leadership a pris le pas sur les autres considérations. Il était ainsi on ne peut plus normal que les partis politiques vivent une crise avec des degrés différents.

Quel est l’impact de cette crise sur l’échiquier politique ?
L’image n’est pas totalement noire. L’espoir est de mise. On ne pourra pas avoir de démocratie sans partis politiques. Les acteurs politiques doivent être conscients qu’on ne peut pas bâtir un système démocratique avancé avec des partis politiques fragiles. La Constitution de 2011 a ouvert la voie à une nouvelle phase en matière de construction du système politique marocain. En dépit de toutes les critiques, la Constitution comporte des dispositions avancées en matière de liberté des partis politiques et de leur rôle dans l’exercice du pouvoir.

Mais, ne pensez-vous pas que le système d’alliance actuel ne fait qu’enliser davantage l’échiquier politiquer dans la crise ?
Le Maroc a un système de pluralisme politique. Les dispositions de la loi électorale ne permettent pas à un seul parti politique d’avoir la majorité. Il faut ainsi recourir aux alliances. Le référentiel n’est plus le facteur déterminant pour sceller des alliances. Le changement des dispositions des lois est la mission de l’acteur politique mais je tiens à souligner que l’arsenal juridique, à lui seul, n’est pas suffisant si les mentalités au sein des partis politiques ne sont pas à la hauteur de la phase actuelle. 


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