Les Marocains reprennent les pateras
Les jeunes Marocains empruntent à nouveau des embarcations depuis les côtes marocaines pour rejoindre l’Europe. Zoom sur ces départs périlleux.
Aux premières lueurs du jour, ce 9 avril, les corps de six personnes échouent sur la plage de Houara, près de Tanger. Un nouveau drame de l’émigration irrégulière. Parmi les victimes, quatre Marocains. Le même scénario se reproduit depuis plusieurs mois. La route de l’ouest de la Méditerranée est désormais réactivée. Les jeunes Marocains sont ceux qui risquent le plus leur vie pour rejoindre l’Eldorado européen. Du jamais vu depuis le début des années 2000. Au point que l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX), bras opérationnel de l’Union européenne, lance un signal d’alerte face à la reprise de l’émigration irrégulière des Marocains depuis les côtes Nord et Sud du pays.
Alerte sur les mineurs marocains
6.668 migrants irréguliers ont emprunté la route de la Méditerranée occidentale au troisième trimestre 2017, selon les chiffres de l’agence FRONTEX. «L’augmentation pourrait être attribuée aux arrivées sur des embarcations de grande capacité, qui ont continué à être utilisées pour quitter le littoral marocain, principalement par des migrants marocains», signale l’agence européenne. Les ressortissants marocains ont représenté le tiers du flux détecté par cette même source. 2.276 Marocains ont d’ailleurs pu atteindre l’Espagne. Les Algériens arrivent en deuxième position (1.234) et, en troisième position, on retrouve les ressortissants des pays d’Afrique de l’ouest, notamment de la Guinée et de la Côte d’Ivoire. Hassan Ammari est défenseur des droits des migrants: tout en étant opposé à FRONTEX et à sa politique, «La progression des départs concernent les trois pays du Maghreb», note cet activiste au sein d’Alarme Phone, réseau international d’assistance téléphonique pour les personnes en situation de détresse en mer Méditerranée. «Au Maroc, les départs se font du littoral de Nador-Al Hoceima, Assilah-Larache et Tanger», détaille Ammari. Selon Alarme Phone, chaque 24 heures, on compte deux départs de pateras depuis le Maroc. Fait inquiétant révélé par FRONTEX, 30% des migrants marocains appréhendés en 2017 étaient des mineurs, comme l’a observé la mission JO Indalo 2017 menée par l’agence européenne. «Cette catégorie est en croissance annuelle de 5% depuis 2015», alerte FRONTEX dans son rapport trimestriel «Risk Analysis Network». En pointant du doigt la hausse continue des migrants marocains, l’agence et les pays européens mettent la pression sur les autorités marocaines, pour renforcer le contrôle des côtés au nord du pays. «Cette question doit faire l’objet d’un débat public loin des injonctions de l’UE car il ne s’agit plus de cas isolés», exige Ammari.
«Partir à bas prix»
L’émigration marocaine vers l’Europe de manière irrégulière a repris dès 2015. Lors de cette année, les Marocains empruntent la route des Balkans (Est de la Méditerrané) depuis la Turquie. «La fermeture de cette route à partir de 2016 a poussé les Marocains à se tourner de nouveau vers des départs depuis les côtes marocaines», observe Elkbir Atouf, sociologue et spécialiste des questions migratoires à l’Université Ibn Zohr-Agadir. Et de préciser : «Que les pateras reprennent n’est pas une surprise. L’histoire migratoire nous apprend que les anciennes méthodes et routes ne disparaissent jamais. Elles changent et s’adaptent au contexte géopolitique». Les jeunes Marocains ont aussi emprunté par centaines la route risquée de la Méditerranée centrale, depuis la Libye. «Les jeunes candidats à l’émigration optent pour les côtes marocains car elles sont moins risquées et surtout moins coûteuses», analyse Ammari. Les départs coûtent entre 20.000 et 30.000 DH par personne. Pour réduire les coûts, un groupe de jeunes oujdis ont fabriqué leurs propres embarcations. Le premier groupe, composé de 22 jeunes d’un même quartier, a cotisé pour acheter un zodiac et l’a équipé du matériel nécessaire (moteurs, GPS, etc.). Leur aventure s’est arrêtée près des côtes de Motril, où ils ont été interceptés par une patrouille de la Guardia Civil, avant de rentrer au Maroc. Ces jeunes se disent prêt à retenter la traversée.
Les ni-ni, premiers à partir
«La récente étude sur l’emploi du HCP a dressé le portrait de cette génération qui tente la traversée en patera. Ce sont les 15-29 ans sans projet et qui n’ont plus rien à perdre qui prennent ces risques», souligne le sociologue El Kébir Atouf. «Les horizons se referment pour toute une génération de jeunes. La situation sociale difficile dans les trois pays du Maghreb explique en partie cette vague de départs. À cela s’ajoute la politique européenne restrictive des visas qui rend tous les départs légaux impossibles», renchérit Hassan Ammari du réseau AlarmePhone. Les Marocaines sont également de plus en plus nombreuses à vouloir tenter leur chance en Europe. En décembre 2017, une embarcation chavire dans le détroit. Quatre Marocains figurent parmi les victimes, dont une femme.