Les journalistes défendent leurs droits
Journalistes, syndicalistes, éditeurs et citoyens ont manifesté, jeudi, devant le Tribunal de première instance de Rabat pour soutenir les 4 journalistes poursuivis pour avoir publié des informations véridiques à propos de la Commission d’enquête parlementaire sur les systèmes de retraite.
Les quatre journalistes ainsi que le membre CDT de la Chambre des conseillers, poursuivis pour «divulgation d’informations» de la Commission d’enquête parlementaire, ont comparu jeudi 25 janvier devant le Tribunal de première instance de Rabat. Dès 10h00 de la matinée, plusieurs journalistes, syndicalistes, membres de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) et simples citoyens ont observé un sit-in devant le tribunal. Des slogans ont été scandés contre ce qui a été qualifié de poursuite judiciaire aux relents politiques. Des banderoles critiquaient les contraintes tortueuses enveloppées dans des lois qui musellent la liberté d’expression et d’information pourtant garantie par la nouvelle Constitution. Rappelons que cette affaire a éclaté lorsque quatre journalistes, reconnus pour leur professionnalisme, ont été convoqués par la police judiciaire pour avoir publié des informations concernant l’audition de l’ex-chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, par la Commission d’enquête parlementaire au sujet des systèmes de retraite au Maroc. Ces délibérations à huis clos ont porté sur des faits censés être secrets.
Toutefois, les éléments qui ont été ébruités ne revêtaient aucun caractère nouveau. Les informations publiées par les quatre journalistes avaient été largement relayées auparavant par la presse et mis en exergue par un rapport détaillé de la Cour des comptes. Et pourtant cela n’a pas empêché le président de la Chambre des conseillers, Hakim Benchemach, sur la base d’un rapport qui lui a été soumis par le président de ladite commission d’enquête parlementaire, Aziz Benazouz, de déposer plainte. Les quatre journalistes sont aujourd’hui poursuivis non pas dans le cadre du Code la presse, comme cela devrait l’être. Ils subissent un traitement pénal en vertu des articles 446 et 129 du Code pénal. Le premier sanctionne les personnes dépositaires du secret professionnel en cas de divulgation d’informations secrètes. Elles sont passibles de peines d’emprisonnement d’un à 6 mois et d’une amende de 1.200 à 20.000 DH. Quant à l’article 129, il sanctionne les personnes accusées de complicité. Par ailleurs, l’article 14 de la loi organique des commissions d’enquête parlementaire, adoptée en 2014, stipule que «quiconque divulgue les informations recueillies par la commission est puni, quel que soit le moyen utilisé, d’une amende de 1.000 à 10.000 DH, et d’un emprisonnement d’un à 5 ans, ou de l’une de ces deux peines seulement. La peine sera portée au double en cas de divulgation d’informations relatives aux auditions des personnes appelées à témoigner». Voici pour le soubassement littéral d’une application crue de la loi sans considération pour la liberté d’accès à l’infirmation dont la presse est dépositaire.
Interrogé par les ÉCO, Abdelhak Belachgar, journaliste au quotidien Akhbar Al Yaoum et l’un des mis en cause, a expliqué que cette affaire représente un vrai défi pour la presse marocaine. «C’est surprenant que des journalistes soient poursuivis en pénal pour avoir publié des informations véridiques», a-t-il ajouté. Belachgar est allé plus loin en regrettant que la loi sur les commissions d’enquêtes parlementaires soit utilisée pour porter préjudice à la liberté de la presse et au droit du journaliste d’avoir accès à l’information. En effet, plusieurs parlementaires sont d’accord que cette loi organique sur les commissions d’enquêtes concernent les membres du Parlement et non pas les journalistes. Pour Abdellah Bekkali, président du SNPM, la liberté d’expression n’intéresse pas uniquement les journalistes, mais toutes les composantes de la société. En effet, cette affaire a pris une dimension nationale, voire internationale dans un temps où le Maroc a le plus besoin de soigner son image.
Le regret de Benchemach
Selon les bruits qui courent notamment parmi les conseillers, Hakim Benchemach aurait confié ne pas vouloir poursuivre ni les journalistes ni le conseiller CDT. Serait-ce alors une erreur d’appréciation politique de sa part d’avoir illico saisi la justice sans s’en référer aux membres de la Commission d’enquête parlementaire ? D’aucuns soutiennent qu’il serait déjà en train de chercher une formule pour sortir de l’impasse et mettre fin à une affaire qui tant qu’elle dure n’est bonne ni pour son image ni celle du pays.