Les Syriens, leur destin marocain
Les Syriens au Maroc font l’objet d’une série de stéréotypes. Leur séjour n’est pas de tout repos. Nous sommes allés à la rencontre de cette population pour décrire leur vécu, loin des clichés. Scènes de vie d’un exil marocain.
Nous sommes à Farah Essalam, quartier périphérique de la ville de Casablanca. Yasser* fait partie des nombreux réfugiés syriens vivant dans cette cité-dortoir. Il s’est installé au Maroc avec sa famille il y a moins d’une année, Yet a déjà trouvé ses repères casablancais. Au moment de notre première rencontre, une voiture de police s’arrête. Un commissaire s’adresse à Yasser : «Où se trouve le siège de l’arrondissement administratif?», demande le gradé de la police. «Allez tout droit et tournez à gauche», répond, avec assurance, ce Marocain d’adoption. Yasser et les familles syriennes participent à la vie de ce quartier. Ces réfugiés partagent leur quotidien avec d’autres catégories vulnérables. À Farah Essalam vit également une communauté de migrants économiques issus de pays subsahariens ainsi que des nationaux. Nos rencontres avec des membres de la communauté syrienne à Casablanca, Rabat ou Tanger ont permis de lever le voile sur le vécu de cette population, loin du cliché dominant réduisant cette population à des mendiants au niveau des carrefours ou devant les mosquées. La réalité est bien plus complexe. Leur statut juridique flou les condamne à une précarité économique. Ils sont partagés entre des petits boulots et l’attente de rejoindre l’Europe via Melilia. En attendant de retourner dans leur pays, d’autres Syriens ont construit des success-stories marocaines.
Deux trajectoires
Fouad, 37 ans, est un homme d’affaires syrien installé au Maroc depuis 2012. En quelques années, il a ouvert, avec ses deux frères, trois restaurants syriens. La famille de Fouad revient de loin. Durant l’hiver 2012, le jeune homme issu d’une riche famille damascène laisse tout derrière lui pour fuir la guerre. «Nous avons pris un billet d’avion pour Beyrouth, puis un deuxième vers Alger. Notre objectif final était d’arriver au Maroc», se rappelle-t-il. L’escale algérienne est pénible et ravive en lui des souvenirs douloureux. «Les autorités de ce pays se sont mal comportées avec nous. Nous n’étions pas les bienvenus. C’était une étape à oublier pour ma famille». Fouad et les siens traversent clandestinement la frontière maroco-algérienne. «L’accueil des Marocains est nettement plus chaleureux, nous sommes transférés par autocar vers Rabat», raconte-t-il. À son arrivée, il travaille dans plusieurs restaurants syriens, avant de lancer il y a quelques mois son propre commerce. «Contrairement à ce que pensent les Marocains, les Syriens sont un peuple de travailleurs. On préfère gagner notre vie dignement», affirme-t-il avec un brin de colère. Fouad refuse d’être qualifié de «réfugié». «Je suis un investisseur», clame-t-il, en nous brandissant sa carte de résident marocaine. Faute d’une carte de réfugié délivrée par les autorités, 3.000 Syriens ont d’ailleurs demandé des cartes de séjour lors de l’opération de régularisation exceptionnelle de 2013. «La campagne a bénéficié à des personnes relevant en principe d’autres catégories, c’est le cas notamment des étudiants et des réfugiés syriens, qui devraient normalement bénéficier d’une protection, ce que le HCR réclame depuis des mois aux autorités marocaines», observait la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) dans son rapport consacré à cette campagne. À l’ouverture de la deuxième opération en septembre 2016, nous avons rencontré des familles syriennes venant déposer leurs demandes de carte de séjour.
Les familles syriennes bloquées entre le Maroc et l’Algérie regagnent le Maroc.
Un deuxième exil
Depuis 2014, les Syriens arrivés au Maroc se lancent dans une vague de départ vers Melilia pour atteindre ensuite le continent européen, plus précisément l’Allemagne. «Je ne pense pas à partir. Si je quittais le Maroc ce serait vers la Syrie libérée», affirme Fouad. «Un deuxième exil n’est pas envisageable pour moi», confie-t-il. Beaucoup n’ont pas la chance de Fouad. Confrontés à un désarroi économique et social et en l’absence d’un statut clair au Maroc, des milliers de familles ont changé de continent pour la troisième fois en quelques mois. En 2015, 5.000 Syriens avaient quitté le Maroc pour rejoindre la ville occupée de Melilia.
En 2016, ils étaient 3.900 à avoir emprunté ce chemin. Abou Ilyas, 62 ans, devrait les rejoindre durant les prochains mois. Cet enseignant de langue arabe et traducteur est arrivé au Maroc en 2013. Marié à une Marocaine, il a «tout naturellement choisi le Maroc, sa deuxième patrie», insiste-t-il. «J’ai obtenu un permis de séjour de dix ans au Maroc, mais je ne trouve pas de travail», regrette-t-il. Durant ses premières années marocaines, il a pu vivre grâce à ses économies et un travail dans l’enseignement privé. «La délégation de l’enseignement à Rabat a demandé à l’établissement où je travaillais de suspendre mon contrat car j’étais étranger et que j’avais dépassé les 60 ans. Depuis, je vis de petites missions de traduction», relate-t-il. La dégradation de la situation financière déteint sur sa famille. «Ma femme m’a quitté et j’ai dû envoyer mon fils en Europe depuis Melilia pour suivre ses études», déplore-t-il.
L’homme a fait face à l’adversité du destin. Pour soutenir cette population en difficulté, le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) au Maroc, en collaboration avec un maillage associatif local, contribue à la création d’activités génératrices de revenus. L’Association marocaine d’appui à la promotion de la petite entreprise (AMAPPE) a apporté un soutien à plusieurs projets de familles syriennes. Abou Ilyas faisait partie des bénéficiaires avec un projet de commercialisation d’huile d’olive. «J’ai frappé à toutes les portes. J’ai lancé une activité de distribution dans l’agro-alimentaire, mais mon projet n’a pas obtenu les financements supplémentaires pour son aboutissement», avance-t-il. Cet enseignant cultivé et polyvalent vit désormais dans un studio dans la périphérie de Rabat. Il a dû quitter son appartement du centre de la capitale. Ce syrien croule sous les dettes, il doit payer des arriérés de loyers d’une année. «Je n’ai plus trop le choix : dès la première occasion, je partirai à Melilia comme beaucoup de mes compatriotes», promet-il. Pour financer le périple, il faut payer aux passeurs entre 6.000 et 14.000 DH par personne. Omar Naji, membre de l’Association marocaine des droits de l’Homme à Nador, ville-frontière près de Melilia, a observé durant des mois cette situation : «Actuellement, on compte une dizaine de passages par semaine contre 50 par jour en 2015 et 2016».
La fermeture des routes clandestines de passage via la frontière avec l’Algérie empêche l’accès des Syriens au Maroc (voir-encadré). Retour à Farah Essalam à Casablanca. Amine, Syrien fraîchement arrivé au Maroc depuis l’Algérie, se prépare à rejoindre son travail. «Je suis prothésiste dentaire. Beaucoup de Syriens travaillent dans ce domaine», explique-t-il. Son séjour marocain n’est perçu que «comme une étape pour rejoindre l’Europe». Et de conclure : «Au Maroc, nous n’avons aucun statut clair. Nous préférons tenter notre chance en Europe».
*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des réfugiés
** Ce reportage a bénéficié d’une bourse d’Open Media Hub pour les lauréats du Migration Media Award 2017.
À Figuig, un mort et des blessures
Durant cet été, une dizaine de familles syriennes ont été bloquées à la frontière maroco-algérienne. Les deux pays se renvoient la balle, condamnant ces Syriens fuyant la guerre à vivre en plein désert, dans des conditions extrêmes. Un drame a fini par se produire: un bébé de quelques mois a été mortellement mordu par un scorpion. Après plusieurs annonces tant du côté marocain qu’algérien et diverses interventions au niveau de l’ONU, le roi Mohammed VI annonce le 20 juin 2017, l’accueil des familles bloquées à la frontière. Cet épisode tragique a laissé des traces, la frontière est désormais difficilement franchissable pour les Syriens venant d’Algérie. «Les passages à la frontière Est se font très rares», observe Hassan Ammari, défenseur des migrants à Oujda, ville frontalière avec l’Algérie.