Maroc

Santé mentale : Levée de boucliers contre le projet de loi 71-13

Le projet de loi n° 71-13 relative à la lutte contre les troubles mentaux et à la protection des droits des personnes atteintes de ces troubles est très controversé. Un collectif de dix associations se mobilise pour tirer la sonnette d’alarme et alerter les élus de la nation sur les «aberrations» de certaines dispositions du texte.

Adopté en juin 2015 au Conseil du gouvernement et lancé depuis dans le circuit législatif, le projet de loi n° 71-13 relative à la lutte contre les troubles mentaux et à la protection des droits des personnes atteintes de ces troubles ne fait pas l’unanimité. Un collectif de dix associations de parents et amis de personnes souffrant de troubles psychiques, représentant plusieurs villes du royaume, se mobilise pour tirer la sonnette d’alarme et alerter les élus de la nation sur les «aberrations» de certaines dispositions de ce texte. «Ce projet de loi est déconnecté de la réalité et impose plusieurs contraintes contre-productives aux professionnels et passe à côté de l’essentiel», résume Hachem Tyal, ancien membre du collectif et directeur-fondateur de la première clinique psychiatrique au Maroc.

Aberrations
En passant au scanner le projet de loi, le collectif s’est arrêté sur plusieurs aberrations. Premier constat : on n’y fait pas de distinction entre les différentes formes possibles d’hospitalisations dites involontaires. «Cela va se traduire par la suppression de la possibilité d’hospitaliser des patients sans leur consentement, à la demande d’un proche, sans suivre la procédure très lourde de l’hospitalisation d’office», signale le collectif dans un mémorandum préparé en réaction au projet de loi 71-13. Sur le plan administratif, les procédures y sont excessivement contraignantes et lourdes, ce qui posera énormément de problèmes aux familles qui seront, par exemple, obligées de trouver des psychiatres là où il n’y en a pas forcément pour que l’établissement de soins accepte le patient.

Par ailleurs, la gestion des urgences psychiatriques, poursuit le collectif, n’y est presque pas abordée. Les familles sont confrontées quotidiennement à ce problème. Le projet de loi ne donne aucune indication sur la gestion de cet épineux problème tout particulièrement pour ce qui concerne ce qui se passe en dehors des axes Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech. Aussi, la protection des malades par le respect du secret médical n’y a pas de place. «Dès lors qu’un patient aurait eu une crise d’agitation ou une crise délirante nécessitant des soins contre son grès, beaucoup de personnes, non-médecins, seront rendues destinataires de l’information les concernant», déplore Hachem Tyal. Le non-respect du droit du patient au respect du secret médical est flagrant également dans un autre article du projet de loi qui donne la possibilité à des non-médecins d’inspecter un établissement psychiatrique et consulter le dossier du patient.

Sur un autre registre, les peines privatives de liberté sont au premier plan dans le projet de loi, ce qui ne manquera pas de rendre les psychiatres extrêmement regardant quant au strict respect de la loi. Ce texte pose d’autres problèmes tout aussi graves pour les patients malades mentaux dont : la stigmatisation dont seront nécessairement l’objet les patients ; la représentation dénigrante du malade mentale qui s’exprime dans le projet de loi comme en témoigne l’utilisation du terme «évasion» au lieu de «fugue» ; le peu d’importance donnée aux voies de recours qui constituent pourtant la meilleure protection des patients contre les abus ; le transport en ambulance des patients à partir de leur domicile n’est même pas évoqué; les enfants et les adolescents, population pourtant très vulnérable, n’y sont pas du tout cités…


La concertation fait défaut

Dr Hachem Tyal
Psychiatre et ancien membre du collectif

Le projet de loi 71-13 a été adopté, en juin 2015, au Conseil de gouvernement. C’était une surprise pour nous car le texte a été élaboré sans aucune concertation avec les associations des parents et amis des personnes souffrant de troubles psychiques ni avec les professionnels. Résultat, un texte déconnecté de la réalité, inapplicable sur le terrain et truffé de plusieurs aberrations. Le ministre de tutelle a eu le courage de reconnaître que plusieurs dispositions de ce texte doivent être revues et nous a promis de défendre les amendements qu’on lui a soumis. Maintenant, il faut que les parlementaires soient sensibilisés quant à la gravité des mesures contenues dans ce texte. Car il en va de l’intérêt des patients et de la médecine psychiatrique en général.  


Recommandations

Dans son mémorandum, le collectif a émis plusieurs recommandations pour rectifier le tir. Ainsi, sur le plan juridique, il s’agit de mettre en conformité les objectifs et les principes de la loi avec l’ensemble des textes de la Constitution et des conventions internationales en la matière. Le collectif estime aussi qu’il faut préciser clairement, sur les décrets d’application des textes législatifs et réglementaires de la loi cadre 97/13 du 27 avril 2016, que toute personne présentant, une limitation ou une restriction dans ses facultés psychiques, qu’elle soit stable ou évolutive, apparente ou latente, est considérée en situation d’handicap. Le collectif insiste aussi sur le transfert de la pension de retraite des parents (ou toute autre indemnité), après leur décès, à leurs enfants malades quel que soit leur âge. Sur le plan médical, les organismes sociaux, les mutuelles, et les sociétés d’assurances publiques et privées sont appelés à assurer la prise en charge médicale totale des malades mentaux, des soins hospitaliers, et du transport sanitaire en cas de crise (gratuité des soins pour les nécessiteux, tiers payant ou remboursement des frais médicaux et pharmaceutiques pour les bénéficiaires d’assurance maladie).



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