Éco-Business

Aluminium du Maroc bientôt en Côte d’Ivoire

La diversification des métiers et la conquête de nouveaux marchés sont les maîtres-mots de la stratégie d’Aluminium du Maroc. La nouvelle configuration du capital, le conflit familial, le chantier à l’arrêt de l’hôtel de Marrakech, la saturation de l’outil de production, les ambitions à l’export, la nouvelle gouvernance… Le point avec le «nouvel ancien» PDG d’Aluminium du Maroc.

C’est un Abdelouahed El Alami serein qui nous reçoit au siège régional de l’entreprise à Aïn Sebaâ (Casablanca). «Vous avez quarante minutes pour poser vos questions», a-t-il lancé après les salamalecs d’usage, en présence du nouveau staff dirigeant composé de son fils Sharif El Alami (vice-président), Benoît Vaillant (directeur général délégué) et Mourad El Bied (en charge du développement et du contrôle des filiales). Direct et lucide, le «nouvel ancien» PDG d’Aluminium du Maroc (ALM) répond sans langue de bois à toutes les interrogations, y compris celles relatives au «putsch» orchestré par le clan de son frère, Mohamed El Alami, lors de la fameuse assemblée de mai 2016. Après treize mois de mise à l’écart, il reprend de nouveau le pouvoir, conforté par une majorité écrasante dans le tour de table de ce fleuron de l’industrie marocaine. «Nous avons tourné la page. Les conflits sont apaisés», tient-il à rassurer.

Du haut de ses 82 ans, Abdelouahed El Alami a de la pugnacité à revendre. Il est plus que jamais décidé à mener jusqu’au bout les projets dans lesquels s’est lancée ALM, aussi bien sur le marché local qu’international, en particulier celui du palace de Marrakech qui fait l’objet de nombreuses critiques et dont les travaux ont été suspendus sous l’ancienne gouvernance par manque de ressources financières. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, El Alami s’est longuement attardé sur les tenants et aboutissements de ce projet qui lui tient à cœur.

El Alami évite de parler d’une quelconque «stratégie nouvelle». Pour lui, la stratégie d’ALM est toujours la même, avant le 30 mai 2016 et après le 29 juin 2017. «Nous avons augmenté nos ventes au fil du temps et à chaque fois qu’on sent qu’il va y avoir une saturation, nous investissons en conséquence», rétorque-t-il à ceux qui lui imputent le refus de relever les capacités de production. Tout dépendra, dit-il, des résultats de l’étude de marché lancée lors du dernier Conseil d’administration. Vue en tant que société cotée à la Bourse de Casablanca, le patron d’ALM se contente de qualifier d’encourageantes les réalisations du premier semestre dont les détails seront publiés d’ici le 30 septembre, conformément à la réglementation. «Les signaux sont au vert.

La société bénéfice d’amortisseurs de choc en étant présente tant sur le marché local qu’à l’étranger. Nous avons communiqué de façon générale les perspectives de 2017 ainsi qu’un budget prévisionnel pour l’année en cours. Nous avons bon espoir non seulement de le réaliser mais de le dépasser, à condition que les mois restants de l’année soient du même ordre que le premier semestre», affirme El Alami. L’entreprise continuera d’adopter une politique de distribution généreuse sans que cela affecte ses fondamentaux. Preuve en est qu’en 2016, malgré un payout de 200%, soit le plus élevé parmi les entreprises du Masi, ALM a conservé un report à nouveau supérieur à 220 MDH. Une manne qui lui permet d’aborder de nouveaux marchés à l’export voire de nouveaux métiers, à l’image du secteur de l’automobile. Jusqu’ici orientée principalement vers le secteur du bâtiment, ALM a l’ambition de développer la composante industrielle qui représente aujourd’hui 10% de son activité. «Nous opérons déjà pour des équipementiers automobiles et nous comptons bien poursuivre cette démarche, aussi bien au Maroc qu’à l’étranger», insiste Abdelaouahed El Alami.  


Grosses ambitions à l’export

ALM performe sur les marchés étrangers. De fait, l’export représente près de 35% du chiffre d’affaires réalisé essentiellement sur des marchés européens à très forte valeur ajoutée. «Concernant l’Afrique, nous avons mené depuis quelques années une stratégie claire d’implantation directe au lieu de se limiter à des opérations commerciales à travers des partenariats capitalistiques avec des investisseurs locaux. Nous avons ouvert, il y a deux ans, une filiale au Sénégal (ALM Sénégal) sous forme de joint-venture dans une logique de distribution avec des partenaires locaux. Nous avons un showroom à Dakar doté d’un staff dédié. Nous sommes présents dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest avec un portefeuille clients que nous livrons depuis le Maroc», explique Abdelouahed El Alami. Le projet d’une installation directe en Côte d’Ivoire avec un partenaire solide, dans une logique de distribution dans un premier temps, suivie d’une phase de semi-industrialisation, est également à l’étude. «En fonction du volume et des enjeux, nous étudierons l’opportunité d’un projet industriel sur place qui répondra à la demande du marché local et à celle de la sous-région. La mise en place du projet en Côte d’Ivoire aura lieu au deuxième semestre pour un démarrage prévu en 2018», ajoute le PDG d’ALM.


«Je suis confiant dans l’avenir d’ALM»

Abdelouahed El Alami, Pdg d’Aluminium du Maroc

Les Inspirations ÉCO : Commençons par la fin, comment êtes-vous parvenu à reprendre le pouvoir à la tête d’Aluminium du Maroc  (ALM) ?
Abdelouahed El Alami : Je ne souhaite surtout pas revenir sur les évènements des treize derniers mois. ALM entame aujourd’hui une nouvelle ère. Il y a un an, une majorité ponctuelle d’actionnaires a pris le contrôle de la gouvernance. Cette majorité était menée par l’autre partie de la famille El Alami (mon frère, son fils et ses sœurs). Suite à cela, j’ai été écarté de la présidence de la société. Ce fut une prise de pouvoir assez violente qui n’a pas été appréciée par les institutionnels, les milieux économiques et surtout les actionnaires. Ces derniers n’avaient pas été prévenus de cela à l’avance. Rien ne laissait penser que cela pouvait arriver. C’est pourquoi, l’actionnariat d’ALM a été appelé à se préciser lors de l’Assemblée générale du 29 juin dernier. Nous avons tenu cette assemblée avec un nombre important d’actionnaires. Nous avons constaté qu’un certain nombre d’actionnaires se sont renforcés dans le capital. Ceux qui ont été désagréablement surpris se sont retirés. Les institutionnels, notamment la RMA, qui n’assistaient jamais à l’assemblée générale, étaient présents. L’assemblée a donc pu se trancher librement en fonction des oppositions fortes de part et d’autres. Une majorité forte a rétabli une nouvelle gouvernance à la tête du Conseil d’administration de la société.

Mais le poids de la famille n’a jamais autant pesé dans le capital…
À ma demande, l’assemblée générale a élargi le conseil d’administration pour que le poids de la famille ne soit pas aussi puissant qu’auparavant. Par le passé, sur sept administrateurs, nous étions cinq à appartenir à la même famille alors que celle-ci détenait à peine 50% du capital. Aujourd’hui, certes, la famille s’est renforcée dans le capital, mais le Conseil d’administration s’est élargi à des actionnaires importants et à des personnes indépendantes de qualité. Nous avons dans l’actionnariat des banquiers, des industriels et des financiers qui ont un apport sur la réflexion et la stratégie (ndlr : Ahmed Rahhou, président du CIH ; Amine Bouabid, président de Bank Of Africa et Hind Dinia, directeur exécutif de CFG Marchés font partie des onze membres du Conseil d’administration de l’entreprise).

Le projet de l’hôtel de Marrakech fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part de l’ancienne gouvernance. À en croire les révélations du DG sortant, ce projet aurait absorbé les finances d’ALM. Vrai ou faux ?
C’est un projet que la famille El Alami avait présenté au Conseil d’administration, lequel a donné son accord entier et unanime. Ce n’est pas une décision prise par une minorité ou une majorité ponctuelle. Il s’agit d’un palace, un hôtel de luxe. C’est l’un des trois plus beaux établissements de luxe du Maroc. L’objectif de cet investissement dans lequel nous nous sommes associés au groupe indien Oberoi, est de rétrocéder le palace, une fois ouvert, à des fonds d’investissements en dégageant une marge confortable. Ce n’est pas un projet dans le capital duquel nous serons amenés à rester.

On vous reproche surtout d’avoir investi en dehors du cœur de métier d’ALM…
C’est un faux débat. Les grandes entreprises n’investissent pas toujours et uniquement dans le cœur de leur métier. Elles sont appelées à se développer et à saisir les opportunités qui se présentent. Le groupe Danone a fabriqué du verre avant d’investir dans le yaourt et je peux vous citer des centaines de cas de ce genre. C’était pour nous une opportunité financière intéressante à moyen terme. Avons-nous écorné nos besoins en financement ? Non. Notre capacité de financement est très importante. Nous sommes l’une des rares sociétés à distribuer 90% de notre résultat et bien au-delà. Connaissez-vous une société qui peut avaler si facilement une escroquerie de 50 MDH ? ALM est très solide sur le plan financier.

Pourtant, le chantier de l’hôtel est aujourd’hui à l’arrêt pour manque de ressources. Pouvez-vous confirmer le fait que le projet accuse un dépassement de coût de l’ordre de 45%, soit un additionnel de 150 MDH…
Effectivement, le financement de l’hôtel a subi un dépassement très important mais face à cela, il y a eu une augmentation de l’ordre de 32% des surfaces construites. Nous sommes partis sur l’idée d’un hôtel cinq étoiles de qualité, mais vu le nombre des unités cinq étoiles améliorées à Marrakech, nous avons convenu avec notre partenaire de viser un palace de luxe aux normes internationales. Je vous rappelle que le groupe Oberoi gère 32 palaces dont certains sont parmi les meilleurs au monde. Monsieur Oberoi qui nous a rendu visite en avril dernier nous a dit qu’il s’agissait du meilleur hôtel de la chaîne. Certes, il y a eu un dépassement, mais n’oubliez pas que nous avons investi dans une période faste pour l’industrie touristique alors que nous nous retrouvons aujourd’hui dans une période basse.

Comment allez-vous financer ce dépassement ?
Il sera financé en fonds propres étant donné que les banques refusent de suivre. Chaque actionnaire doit mettre la main à la poche, sachant qu’Oberoi augmentera sa part l’an prochain. Je vous signale qu’Oberoi avait, au départ, une participation de 22% avant de la relever à 30%. Cette part devra atteindre 45%. C’est dire à quel point notre partenaire croit en le projet.

Quel sera l’impact de ce dépassement sur ALM ?
D’abord, il faut préciser que l’hôtel n’est pas porté directement par ALM. La participation est portée par une filiale immobilière (Belpromo). Il n’y a donc pas d’impact direct sur ALM. Côté chiffres, il y a les 80 MDH investis à ce stade auxquels s’ajoutent 25 MDH, soit  total de 105 MDH. Pour ALM, c’est certes un montant important mais cela ne touche pas aux capacités de l’entreprise à financer les projets qui sont dans le cœur de son métier. Quand vous êtes embarqués dans un tel projet et que vous vous retrouvez au milieu du gué, la logique veut qu’on le termine pour pouvoir le valoriser dans de bonnes conditions et le revendre. Je vous signale que les membres du Conseil d’administration réunis la semaine dernière après l’Assemblée générale ont donné à l’unanimité leur accord pour financer le dépassement. Nous leur avons fourni tous les éléments. Ils ont compris que nous avons intérêt à finir la construction au lieu de continuer à la bloquer comme cela fut le cas pendant huit mois avec la gouvernance précédente. Ce blocage nous a coûté 2 MDH par mois (intérêts financiers, frais d’entretien, salaires, etc).

À quelle échéance est prévue la revente de votre participation ?
Ce sera après l’ouverture. Celle-ci devra intervenir six à neuf mois après le moment où les actionnaires décideront de mettre les fonds nécessaires.

Est-ce une sorte de placement immobilier pour ALM ?
C’est un placement dans une société destinée à être revendue. L’objectif est de valoriser ce placement une fois l’hôtel ouvert et géré par une enseigne internationale. Nous avons déjà reçu quelques marques d’intérêt de la part d’un certain nombre de fonds arabes et internationaux. Je tiens à préciser que les détracteurs du projet omettent de signaler que l’hôtel appartient à une société qui détient 19 hectares de terrains mitoyens au Palace et qui sont destinés à des villas de luxe. Ces villas n’ont pas été développées à cause de la crise dans le tourisme. Quand la reprise sera au rendez-vous, elles seront vendues «comme des petits pains».

À combien estimez-vous l’impact de la cession de votre participation sur ALM ?
Qu’il soit positif, nul ou négatif, seules les conditions post-ouverture, l’évolution du tourisme, d’exploitation et d’occupation de l’établissement permettront d’y répondre.

Le PDG sortant défend de son côté l’idée d’une troisième unité de production car, d’après lui, les capacités de production actuelles seraient déjà saturées. Qu’en dites-vous ?
Tout dépend de l’évolution des besoins sur le marché. Je ne suis pas contre l’idée d’une troisième presse, mais aucune étude de marché n’a été réalisée à ce sujet. J’ai assisté à tous les Conseils d’administration et personne n’a présenté d’étude de marché. On nous dit qu’il y a besoin d’une nouvelle presse dotée d’un tonnage donné, sans aucune justification ni business plan. Nous revenons aujourd’hui vers une gouvernance normale, logique et positive. Nous en avons parlé lors du Conseil d’administration. Nous allons mettre en place une équipe qui va étudier le dossier, faire l’étude de marché, de la nature et du lieu de l’investissement. Ce travail sera accompli très rapidement. Il appartiendra ensuite au Conseil d’administration de décider et d’aller de l’avant.

Je vous vois entouré d’une nouvelle équipe de jeunes managers. Comment s’est déroulée la passation de pouvoir au sein de l’entreprise ?
La société est bien organisée. C’est sûr qu’il y a un nouveau management et j’ai tenu à ce qu’il soit ici présent lors de cet entretien. La gouvernance que nous avons vécue ces treize derniers mois reposait sur une seule personne qui faisait la pluie et le beau temps. Mon frère et son fils qui avaient le contrôle n’intervenaient ni dans la réflexion ni dans la gestion de l’entreprise. Nous revenons maintenant vers des méthodes qui ont toujours fait leurs preuves au sein de l’entreprise. Ces méthodes reposent sur une équipe composée d’un vice-président, Sharif El Alami, impliqué dans la réflexion, la gestion ainsi que dans le développement en Afrique. Mourad El Bied qui était très impliqué dans la société avant d’être écarté par la gouvernance précédente revient aujourd’hui au gouvernail pour s’occuper essentiellement de la stratégie, du développement et du contrôle des filiales. Le DG délégué, Monsieur Vaillant, a été quant à lui confirmé par le Conseil d’administration alors que l’ancienne gouvernance le cantonnait à des tâches opérationnelles.

Vous avez par le passé exprimé vote désir de vous retirer de la gouvernance de l’entreprise…
C’est exact. J’avais pensé prendre du recul avant l’assemblée générale de 2016. Je reviens aujourd’hui aux commandes. Nous sommes en train de remettre la société en marche. Nous allons étudier les nouvelles voies du développement. Nous allons finir l’hôtel et céder notre participation. C’est une tâche à laquelle je m’attelle avec l’équipe. Une fois ce souci réglé, je me retirerai.

Quel message souhaiteriez-vous adresser aux actionnaires, notamment aux petits porteurs ?
Les chiffres sont là pour montrer qu’ALM est une entreprise saine, solide, qui va de l’avant et qui pense à ses actionnaires. La concurrence est là et nous oblige à améliorer nos performances en continu. La sérénité est aujourd’hui revenue à l’intérieur de la société. Les conflits entre certains actionnaires sont apaisés. Je suis confiant dans l’avenir de l’entreprise.

Avez-vous tourné la page de votre conflit avec votre frère Mohammed El Alami et son fils Abdeslam ?
Oui, tout cela est derrière nous. D’ailleurs, à ce sujet, les enfants de Mohamed El Alami font partie du Conseil d’administration et travaillent la main dans la main aussi bien dans la réflexion que dans le développement de l’entreprise, en particulier Abdeslam qui continue d’avoir un rôle opérationnel notamment dans Afric Industries dont il est le président.


Où en est l’affaire des 50 MDH ?

Fin mars 2016, ADM a été victime d’une escroquerie au faux IBAN portant sur un montant de 5 millions de dollars, soit 49 millions de DH. Les coordonnées du compte de l’un de ses principaux fournisseurs avaient été manipulées de telle sorte que les virements effectuées par ADM finissaient au crédit du compte d’un tiers à l’origine de l’escroquerie, avait expliqué l’entreprise dans un communiqué. Interrogé sur les investigations menées à ce sujet, Me El Alami, comme aiment à l’appeler ses collaborateurs puisqu’ayant exercé comme avocat, assure avoir entrepris toutes les démarches possibles et imaginables, notamment à Londres. L’enquête menée par les unités de Scotland Yard chargées des crimes financiers n’a finalement pas été concluante, étant donné que l’argent volé a été transféré vers la Chine. «Nous avons conseillé au Conseil d’administration de ne pas poursuivre sur cette voie car elle n’aboutira à rien», affirme El Alami. Parallèlement, une plainte au Maroc avait été déposée au pénal pour savoir s’il y a eu au sein de l’entreprise une complicité quelconque de la part d’un des collaborateurs. Là encore, n’ayant pas été tenu au courant de l’évolution de ce recours, le nouveau président compte reprendre en main ce dossier en désignant un nouvel avocat dans les jours qui viennent. Et ce n’est pas tout puisque Me El Alami nous dit avoir engagé à titre personnel un autre procès en responsabilité civile à l’encontre de l’ancien directeur général pour faute professionnelle. Le dossier est entre les mains du tribunal.



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