Maroc

Tensions sociales : faut-il une Loi de finances rectificative ?

Face à la colère sociale qui enfle, le Maroc se trouve à la croisée des chemins entre promesses et action. Alors que les jeunes manifestants réclament une éducation et une santé publiques dignes, d’autres voix appellent à une réponse budgétaire immédiate : une Loi de finances rectificative. Cette mesure d’urgence permettrait de réallouer les crédits vers les secteurs sociaux prioritaires, offrant au gouvernement une occasion de traduire les discours en actes concrets et de restaurer la confiance d’une population en quête de justice sociale.

Depuis plusieurs jours, le Maroc vit une montée des tensions sociales que nul observateur ne saurait ignorer. Les manifestations que connaît le pays, principalement menées par des jeunes issus de la génération Z, portent des revendications simples, claires et profondément légitimes. Une éducation publique digne de ce nom et un système de santé accessible et performant. Ces demandes, loin d’être nouvelles, prennent aujourd’hui la forme d’un cri collectif.

Face à l’inaction du gouvernement, des voix s’élèvent pour réclamer des actions urgentes. Car pour l’heure aucun ministère n’a entamé, à proprement parler, une véritable démarche pour apporter du changement et rassurer la vox populi. C’est sur la base de ce constat que des économistes plaident pour un projet de Loi de finances rectificatif. Une mesure budgétaire exceptionnelle qui permettrait de réaffecter immédiatement une partie des crédits existants vers les secteurs sociaux jugés les plus urgents. Mohamed Rahj, résume bien ce sentiment.

«Le gouvernement pourrait dégager d’urgence quelques milliards dans le cadre d’une Loi de finances rectificative, en supprimant les dépenses inutiles ou non exécutées, pour les réallouer immédiatement à l’éducation et à la santé afin de montrer que les revendications ne sont pas ignorées», analyse-t-il.

Pour l’expert, il ne s’agit pas seulement de promettre, mais d’agir de manière tangible, rapide et ciblée pour répondre à une demande sociale devenue structurelle.

Une éducation en deçà des standards
Les chiffres récents montrent pourtant que le Maroc a consenti un effort budgétaire considérable au profit des secteurs de la santé et de l’éducation. En matière d’éducation, le projet de Loi de finances 2026 accorde une priorité manifeste à la mise en œuvre de la Feuille de route 2022-2026 pour une école publique de qualité. Les crédits alloués visent à renforcer la qualité de l’enseignement par la réforme des programmes, la formation des enseignants et l’amélioration de la gouvernance des établissements.

L’accent est mis sur la généralisation du préscolaire, notamment dans les zones rurales, et sur l’amélioration des infrastructures éducatives à travers la construction et la réhabilitation d’écoles, la dotation en équipements numériques et le développement du transport scolaire. Les investissements destinés à la réhabilitation des internats et des cantines scolaires témoignent d’un engagement contre l’abandon scolaire en milieu rural.

En 2025, le ministère de l’Éducation nationale a disposé d’environ 87,7 milliards de dirhams, dont 79,3 milliards en budget de fonctionnement et 8,2 MMDH en investissement. En 2024, le budget alloué au secteur a été augmenté de 7%. En 2023, les dépenses publiques pour l’éducation représentaient près de 90,6 MMDH, soit environ 12% du budget de l’État, confirmant le poids stratégique de ce secteur. Entre 2021 et 2024, le budget du ministère de l’Éducation nationale a été augmenté de 15 milliards de dirhams soit une hausse de 25%.

Pour autant, cet effort financier n’a pas suffi à enrayer la dégradation qualitative du système éducatif. Le programme des «écoles pionnières», lancé en 2023, a certes permis d’impliquer environ 626 établissements, soit 9% du total national, mais les ambitions de généralisation à 4.000 écoles d’ici 2026 se heurtent à des défis logistiques et humains colossaux. La situation des enseignants reste une préoccupation majeure. Les grèves de 2023 ont conduit à une revalorisation salariale d’environ 9 MMDH, sans pour autant endiguer les tensions autour des conditions de travail ou du manque de formation continue.

Sur le terrain, les inégalités territoriales persistent, la fracture numérique s’accentue, et les résultats des élèves aux évaluations internationales (comme le programme PISA) restent en deçà des standards régionaux. Le Maroc a donc investi davantage, mais il récolte encore très peu, en raison d’une gouvernance lente, de lourdeurs administratives et d’un manque d’efficacité dans la mise en œuvre des réformes.

La santé, grand corps malade
La situation est similaire, voire plus préoccupante, dans le secteur de la santé. Entre 2021 et 2025, le budget du ministère de la Santé et de la Protection sociale est passé de 19,8 MMDH à 32,6 MMDH, soit une hausse cumulative de près de 65%. Une augmentation spectaculaire, certes, mais qui masque un paradoxe. En effet, le taux d’exécution des crédits d’investissement demeure faible.

En effet, en 2023, à peine la moitié du budget d’investissement du ministère a été dépensée, selon les chiffres officiels. Autrement dit, le problème n’est pas seulement budgétaire, il est structurel. Les blocages se situent au niveau des marchés publics, des procédures de passation, de la rareté du personnel médical dans les zones rurales et de la lenteur de déploiement des équipements.

Le programme de régionalisation sanitaire, fondé sur la création de Groupements sanitaires territoriaux (GST), peine encore à produire des effets tangibles, tandis que la digitalisation du système et la mise en place du dossier médical partagé progressent lentement. Sur le plan social, le ressenti des citoyens reste amer.

La généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO) a permis d’élargir la couverture, mais l’accès effectif aux soins, la qualité des prestations et la disponibilité du personnel restent très inégaux. Les drames survenus dans certains hôpitaux publics, comme celui d’Agadir en septembre dernier, où plusieurs décès ont suscité une vive émotion à l’échelle nationale, ont ravivé le sentiment d’injustice face à un système de santé à deux vitesses. Et pourtant, les chiffres globaux sont encourageants. La part de la santé dans le budget de l’État est passée d’environ 5,6% en 2018 à plus de 8% aujourd’hui.

Pourtant, l’OCDE avait souligné que l’effort budgétaire devrait s’accompagner d’une amélioration de l’efficience, sans quoi l’augmentation des moyens ne se traduira pas en amélioration des résultats. Le Maroc dépense désormais plus, mais il dépense encore mal.

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



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