Maroc-OCDE : les retombées tangibles d’un partenariat fiscal stratégique

Dans un monde fiscal en pleine mutation, le Maroc a choisi un partenariat exigeant avec l’OCDE pour moderniser son administration et consolider ses recettes. Décryptage d’une alliance stratégique aux impacts multiples.
Les pays en développement sont de plus en plus actifs dans l’appropriation des standards fiscaux internationaux. Au Maroc, les autorités concernées ne manquent pas une occasion pour insister sur le fait que le Maroc s’inscrit résolument dans la modernisation de son système fiscal au service de son développement économique, grâce à une coopération internationale pragmatique et exigeante.
C’est dans ce contexte que le rapport d’étape 2024 sur la coopération fiscale pour le développement, que vient de publier l’OCDE, offre un éclairage précieux sur les avancées et défis des économies émergentes, dont le Maroc. Dans ce qui suit, nous analyserons les enseignements du rapport et les implications spécifiques pour le Royaume.
Le Maroc, un bénéficiaire actif dans l’écosystème OCDE
Le Maroc se distingue comme un acteur engagé dans la coopération fiscale pilotée par l’OCDE, avec une présence explicite dans deux domaines structurants.
Premièrement, le pays figure parmi les bénéficiaires d’un soutien technique ciblé pour moderniser sa fiscalité appliquée à l’économie numérique, et, plus précisément, pour réformer la TVA sur les services numériques transfrontaliers.
Dans ce cadre, l’OCDE facilite des consultations directes avec les entreprises internationales afin d’adapter les normes aux réalités locales, tout en menant un dialogue opérationnel destiné à garantir l’alignement sur les standards internationaux.
Comme le précise le rapport, «l’OCDE a organisé des discussions bilatérales avec les responsables fiscaux marocains pour partager des exemples pratiques d’autres administrations et préparer les consultations avec les entreprises», optimisant ainsi la mise en œuvre des réformes.
Deuxièmement, le Maroc intègre le groupe des 40 pays accompagnés via des programmes bilatéraux dédiés au projet BEPS et aux prix de transfert. Des initiatives qui visent explicitement à consolider les législations nationales contre l’érosion de la base d’imposition et à renforcer les compétences des administrations dans l’identification et l’analyse des risques fiscaux transnationaux, notamment pour les multinationales opérant sur son territoire.
Ce qui change pour les acteurs économiques
Pour l’administration fiscale, cet accompagnement se traduit par un renforcement des capacités techniques et une meilleure maîtrise des enjeux de fiscalité numérique. Concrètement, les outils promus par l’OCDE ouvrent des perspectives stratégiques mais soulèvent des tensions. L’optimisation des recettes s’appuie sur des mécanismes comme l’Instrument multilatéral sur la RAI, permettant de récupérer l’impôt perdu dans le cadre des conventions fiscales, et sur l’accès aux déclarations pays par pays qui améliore le traçage des bénéfices des multinationales.
Ce renforcement des capacités passe par les formations «Inspecteurs des impôts sans frontières» (IISF) et l’exploitation des bases de données OCDE – couvrant par exemple 66 pays sur les incitations fiscales – en vue d’affiner les politiques publiques.
Néanmoins, la mise en œuvre de l’impôt minimum mondial (IMM) menace de réduire la marge de manœuvre de l’État en matière d’avantages fiscaux attractifs, potentiellement au détriment d’investissements ciblés. Pour les entreprises locales et internationales, l’agenda OCDE crée ainsi un paysage contrasté. La conformité simplifiée offerte par le Montant B allège substantiellement les complexités des prix de transfert pour les activités de distribution, bénéficiant particulièrement aux PME exportatrices.
En revanche, l’extension de la TVA aux services numériques transfrontaliers impose une lourde adaptation technologique : déploiement de facturation électronique, systèmes de collecte à la source et recalibrage des flux financiers. Sur le plan concurrentiel, les nouveaux principes de l’OCDE encadrant les incitations fiscales – actuellement en consultation – pourraient niveler les avantages compétitifs dont jouissent certaines filières stratégiques.
Pour les investisseurs étrangers, l’harmonisation normative porte une double promesse. D’un côté, elle renforce la sécurité juridique via l’alignement des pratiques marocaines sur les standards internationaux (BEPS, transparence), rassurant les capitaux long terme. De l’autre, elle exige une vigilance accrue sur les réformes structurelles, notamment la gestion des subventions aux énergies fossiles qui pourrait signaler des risques réglementaires ou de compétitivité énergétique.
Pour les contribuables marocains, cette évolution vers plus de transparence et d’équité renforce la légitimité du système fiscal. Le rapport note d’ailleurs que «des taxes bien conçues peuvent contribuer à réduire les inégalités» et que l’augmentation des ressources publiques peut enclencher «un cercle vertueux dans lequel une amélioration de la disponibilité et de la qualité des services publics renforce la confiance des citoyens dans les institutions publiques et leur consentement à l’impôt».
Ainsi, si l’État y gagne en efficacité fiscale et les investisseurs en prévisibilité, les entreprises marocaines doivent trouver un équilibre délicat entre simplification administrative et coûts d’adaptation. La clé résidera dans l’art de transposer les normes OCDE sans étouffer l’innovation locale.
La fiscalité au service des ODD
Le rapport de l’OCDE réaffirme le rôle central de la fiscalité comme levier financier des Objectifs de développement durable (ODD), offrant au Maroc des outils concrets pour aligner sa politique fiscale sur ses priorités sociales et environnementales.
Le Cadre d’analyse des recettes pour la protection sociale, déjà expérimenté au Sénégal et au Cameroun, pourrait être adapté pour optimiser l’affectation des fonds publics marocains vers les filets sociaux, combinant efficacité budgétaire et couverture des vulnérabilités.
Parallèlement, la Base de données OCDE sur les taxes santé – couvrant 136 pays et intégrant des données depuis 2000 – fournit des références empiriques pour réformer la fiscalité du tabac, de l’alcool ou des boissons sucrées, en phase avec le constat sans appel du rapport. «Le coût social et économique total du tabagisme est nettement supérieur aux recettes tirées des taxes sur le tabac». Des instruments qui transforment l’impôt en outil de régulation comportementale, permettant au Maroc de conjuguer rentabilité fiscale et gains de santé publique.
Des avancées structurantes pour les autres économies émergentes
Le rapport de l’OCDE met en lumière une dynamique transformatrice dans la coopération fiscale internationale, structurée autour de quatre piliers majeurs. L’élargissement des outils anti-évasion se concrétise par le Montant B, simplifiant l’application des règles de prix de transfert aux activités de distribution, et par l’instrument multilatéral sur la règle d’assujettissement à l’impôt (RAI), offrant aux États un mécanisme pour récupérer l’impôt cédé via des conventions fiscales.
Parallèlement, la transparence fiscale franchit un cap décisif : désormais, 28 pays en développement – dont neuf nouveaux depuis 2024 – accèdent aux déclarations pays par pays, renforçant leur capacité à tracer les bénéfices des multinationales. L’impôt minimum mondial (IMM), bien qu’encore en phase pilote, émerge comme un levier de rééquilibrage des négociations fiscales, proposant aux pays émergents un cadre internationalement reconnu pour discuter des politiques d’investissement.
Enfin, la digitalisation s’affirme comme colonne vertébrale des administrations fiscales, avec 25 pays en développement adoptant le Modèle de maturité numérique pour moderniser leurs systèmes.
Comme le souligne l’OCDE, elle «accompagne les pays tout au long du processus d’imposition, depuis la phase de réflexion sur les politiques publiques jusqu’à la mise en œuvre». Une approche holistique qui a déjà généré 2,4 milliards USD de recettes supplémentaires via le programme «Inspecteurs des impôts sans frontières» (IISF), dont 25 nouveaux programmes ont été lancés en 2024.
Vers une souveraineté fiscale renégociée
Le partenariat Maroc-OCDE illustre une synergie stratégique : le Royaume accède à une expertise de pointe et à des armes anti-évasion (déclarations pays par pays, normes BEPS), tandis que l’OCDE consolide la légitimité de son cadre multilatéral grâce à l’adhésion des économies émergentes.
Comme le souligne le rapport, «l’OCDE est prête à élargir encore son offre et à l’adapter aux demandes des pays en développement».
Le défi marocain réside dans l’équilibre délicat entre l’adoption de standards internationaux et la préservation de marges de manœuvre nationales, notamment pour les incitations fiscales ou la taxation des secteurs stratégiques comme les énergies fossiles – domaine où 16 pays en développement ont accru leurs subventions en 2024. La prochaine Conférence FfD4 (2025) sera un test pour l’influence des pays du Sud dans l’agenda fiscal mondial.
Ainsi, le constat est clair : la digitalisation fiscale et l’IMM redessinent les rapports de force. Les entreprises nationales gagneraient à anticiper un double mouvement : plus de transparence, mais aussi plus de coopération internationale contre l’évasion. L’État, lui, gagnerait à mutualiser les outils OCDE pour maximiser ses recettes sans brider l’investissement.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO