Maroc

Artisanat : le marché US continue à porter la croissance à l’export

Qui a dit que l’artisanat traditionnel n’avait pas sa place dans la mondialisation? Certainement pas les acheteurs américains et turcs qui en redemandent ! Dans la même logique, l’on est en droit de se demander et si la domination traditionnelle de la France sur les exportations artisanales marocaines appartenait au passé ? Les chiffres de 2025 révèlent un bouleversement qui pourrait redéfinir toute la carte des échanges. Détails.

La France perd du terrain, les USA consolident leur domination, et la Turquie surgit de nulle part. Alors que les exportations artisanales marocaines affichent une croissance globale de 14%, une analyse approfondie des données par produit et par marché révèle des transformations structurelles majeures qui appellent à une réorientation stratégique urgente.

Le ministère du Tourisme, de l’Artisanat & de l’Économie sociale et solidaire a, en effet, publié le bulletin des exportations de l’artisanat marocain couvrant la période de janvier à fin juillet 2025. Des chiffres, les derniers disponibles, qui dessinent une croissance globale encourageante à l’export de 14% (passant de 648,3 à 737,0 millions de dirhams). Mais ces chiffres masquent des réalités exigeant une analyse pour en saisir les véritables implications pour les acteurs économiques.

Les produits qui portent la croissance
La première lecture des exportations par famille de produits révèle un secteur en mutation. La performance exceptionnelle des vêtements traditionnels (+141%) est le véritable moteur de la croissance cette année. Cette explosion, les faisant passer de 9% à 18% de part de marché, indique une forte demande internationale pour des produits incarnant l’identité culturelle marocaine. De même, la bijouterie affiche une progression remarquable (+57%), partant d’une base faible mais significative.

«L’achat d’un article d’artisanat est d’abord un acte culturel et identitaire», rappelle le Cahier de consommation de l’artisanat marocain.

Cette citation est cruciale pour comprendre ces succès : les produits à forte charge symbolique et culturelle sont clairement les plus dynamiques à l’export. À l’inverse, plusieurs filières sont en difficulté, comme les couvertures (-25%), la vannerie (-18%), la maroquinerie et le fer forgé (-16% chacun). Cette polarisation de la performance suggère un besoin urgent de réorientation et d’innovation au sein des filières en déclin. Malgré tout, les produits de poterie et pierre restent le pilier incontesté des exportations, représentant à eux seuls un tiers du total (33%), bien que leur croissance (+7%) suive simplement la moyenne.

Révolution géographique des marchés
Le tableau des exportations par pays destinataire est peut-être le plus révélateur des transformations géostratégiques à l’œuvre. La percée absolument spectaculaire vers la Turquie (+5 236%) est le chiffre marquant de ce bulletin.

Passant d’une part négligeable (0,2%) à 7% du marché total, la Turquie devient subitement le troisième client du Maroc, derrière les géants que sont les États-Unis et la France. Une évolution qui suggère soit un contrat ponctuel majeur, soit l’émergence d’un nouveau corridor commercial puissant qui mérite une analyse approfondie. Les États-Unis confirment leur statut de premier partenaire commercial, avec une croissance robuste de 32% et une part de marché dominant qui atteint désormais 50%.

À l’opposé, le marché traditionnel français subit un recul alarmant de -26%, perdant 5 points de part de marché.

«Les touristes français sont ceux qui dépensent le plus», note le Cahier de consommation de l’artisanat marocain, ce qui laisse supposer que la baisse des exportations vers la France pourrait être liée à une moindre fréquentation touristique ou à un changement des modes de consommation, nécessitant une veille économique renforcée sur ce marché.

La concentration territoriale et les points de sortie
L’analyse de la chaîne de valeur et du développement territorial, via les données sur les exportations par ville d’export, confirme la concentration extrême des activités. Marrakech (42%) et Casablanca (32%) totalisent à elles seules près des trois quarts des exportations.

La vitalité de Fès (+47%) est notable et corrèle avec sa position de ville préférée des MRE pour leurs achats (15,8% de leurs dépenses). Cette concentration pose la question de la résilience de la filière et de la nécessaire diversification des plateformes logistiques d’exportation, d’autant que des villes comme Essaouira ou Safi enregistrent des baisses dramatiques.

Quelle feuille de route pour les acteurs économiques ?
La photographie des exportations à fin juillet 2025 dessine une feuille de route distincte pour chaque maillon de la chaîne de valeur, imposant une adaptation stratégique urgente et ciblée. Pour les artisans et les coopératives, la nécessité de s’aligner sur les signaux de la demande est criante. Une adaptation qui gagnerait à passer par une concentration sur les produits à forte valeur culturelle perceptible, comme les vêtements traditionnels et la bijouterie, dont la croissance explosive témoigne d’un réel appétit international.

Pour les filières en difficulté comme la vannerie ou les couvertures, l’innovation en termes de design et d’usage est non optionnelle pour reconquérir des parts de marché. L’orientation vers les critères exigeants de qualité internationaux devient un impératif non-négociable pour pérenniser leur activité. Pour les exportateurs et les négociants, la diversification géographique est impérative afin de mitiger les risques.

Le marché américain, premier client avec une croissance robuste de 32%, offre des perspectives solides à consolider. Autre élément à suivre de près : l’émergence spectaculaire de la Turquie doit être investiguée avec diligence pour déterminer si elle constitue une opportunité ponctuelle ou un nouveau débouché structurel. Inversement, la stratégie vers le marché français, historique mais en déclin prononcé (-26%), doit être reconsidérée en profondeur et adaptée aux nouvelles réalités consuméristes.

Pour les pouvoirs publics, la politique sectorielle doit opérer une mutation profonde, passant d’une logique d’offre à une logique de demande. Comme le souligne un analyste, «il est crucial de développer une compréhension fine du fonctionnement du marché et une veille économique active sur l’évolution de la demande». Les politiques de développement territorial doivent viser un double objectif : renforcer la compétitivité des pôles existants et dominants (Fès, Marrakech, Casablanca) tout en stimulant l’émergence de nouveaux hubs logistiques régionaux. Une déconcentration qui est vitale pour désengorger la chaîne, répartir plus équitablement la valeur créée sur le territoire et améliorer la résilience globale de la filière.

Enfin, pour les investisseurs, le diagnostic ouvre un champ d’opportunités évident dans la modernisation et la professionnalisation d’une chaîne de valeur mature. Les besoins d’investissement sont palpables dans la logistique avancée, la digitalisation des canaux de vente (notamment les souks), le marketing data-driven pour mieux cibler les consommateurs étrangers, et le soutien financier aux filières à haut potentiel comme la bijouterie et le vêtement traditionnel.

Prise de conscience du consommateur

Les Cahiers de consommation fournissent un éclairage essentiel pour interpréter les flux d’exportation, en recentrant l’analyse sur le comportement du consommateur, élément clé souvent négligé dans les stratégies sectorielles. Le dernier Cahier révèle que la dépense totale pour l’artisanat, estimée à 26,72 milliards de dirhams, repose majoritairement sur le marché domestique porté par les ménages marocains.

Néanmoins, les touristes étrangers (5,87 milliards de dirhams) et les Marocains résidant à l’étranger (3,75 milliards de dirhams) en sont des acteurs financiers cruciaux, dont les motivations éclairent la dynamique à l’export. Le souk s’impose comme le canal de distribution incontournable, concentrant 44% des achats de ces deux groupes. Une prédominance qui confirme la vitalité des circuits traditionnels, mais elle soulève également des interrogations pressantes sur leur modernisation, leur accessibilité et leur capacité à répondre aux exigences logistiques du commerce international.

Parallèlement, les critères d’achat prioritaires – la qualité et le design, cités respectivement par 45% des MRE et 42% des touristes – deviennent des impératifs stratégiques. Ils ne sont plus de simples attributs mais des leviers fondamentaux pour valoriser la production, justifier une pricing stratégique et se différencier sur un marché globalisé.

Enfin, le niveau de satisfaction exceptionnellement élevé – plus de 94% des MRE et 98% des touristes se déclarant satisfaits, avec une large majorité jugeant les prix accessibles – constitue un atout marketing et un capital confiance fondamental à capitaliser. Une satisfaction généralisée qui démontre que l’offre actuelle est alignée sur les attentes, offrant une base solide pour construire une marque «Artisanat du Maroc» forte et aspirante, à condition de ne pas la considérer comme acquise et de continuer à innover.

L’artisanat marocain à un carrefour stratégique

Le bulletin d’exportation de juillet 2025 peint le portrait d’un artisanat marocain résilient et en croissance, mais à un carrefour stratégique. La dynamique est portée par la demande étrangère, avide d’authenticité et de qualité. Cependant, la dépendance excessive à quelques produits, quelques marchés et quelques villes expose la filière à des risques systémiques.

La feuille de route pour les acteurs est claire : capitaliser sur les forces identitaires, diversifier les débouchés, moderniser la distribution et, surtout, placer le consommateur – ses besoins, ses usages, ses habitudes – au cœur de toutes les stratégies, comme le préconise si justement le document ministériel. La décennie à venir ne se gagnera pas seulement dans les ateliers, mais aussi dans l’intelligence du marché.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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