Samir Chaouki : “Trump a l’art de présenter une défaite comme une victoire”

Samir Chaouki
Président de l’Omega Center for economy & geopolitics researchs
Samir Chaouki est à la tête de l’Omega Center for economy & geopolitics researchs, un think tank dont l’objectif est de produire du contenu et de le distribuer dans les médias, aux universités et aux grandes écoles. Sa volonté est d’enrichir le débat public autour des sujets géopolitiques, économiques ou parfois sociaux. Le public visé est notamment celui des étudiants, les décideurs de demain, mais aussi le grand public, à travers les médias. Ce centre est à but non lucratif, les contributeurs étant tous des bénévoles. À titre personnel, Samir Chaouki s’apprête à publier un nouveau livre, «Trump II, face au monde», aux éditions Vérone. L’ouvrage est en cours d’impression, confie l’auteur aux Inspirations ÉCO, et est attendu avant la fin du mois de septembre. À cette occasion, il a bien voulu répondre à nos questions sur le nouveau mandat présidentiel de Donald Trump.
La politique de droits de douane de Donald Trump semble contredire la loi américaine, selon un jugement d’appel, qui en confirme un autre de première instance. Cette politique vous semble-t-elle durable et juste ?
Elle ne me semble pas juste. J’en parle beaucoup dans le livre, puisque c’est indigne d’abord du droit international, notamment des règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Le comble du paradoxe étant que les États-Unis étaient précisément derrière la création de cette OMC, pour contrer l’hégémonie informelle de certains États, notamment la Chine.
Or, aujourd’hui, la Chine est un bon élève de l’institution et ce sont les États-Unis qui font preuve d’une indignité jamais vue. L’essentiel de la politique de Trump à ce sujet est un bras de fer avec les pays du monde entier, mais en mettant en avant sa force militaire.
Ce qui revient pour lui à dire «moi je suis le plus fort, je suis le plus puissant, tu payes, tu passes à la caisse ou je fais valoir ma puissance». Or, il bute aujourd’hui devant la puissance montante qu’est la Chine. Elle a su résister et a su jouer plusieurs cartes à temps, qui ont poussé Trump à faire marche arrière.
Cette politique transactionnelle, comme on dit, va-t-elle lui conserver son réseau d’alliés ? Le réseau d’alliances autour des États-Unis sera-t-il renforcé ou affaibli par cette politique ?
Il est certainement affaibli. Il faut rappeler qu’il a commencé par dénigrer les alliés historiques des États-Unis, qui forment ce que l’on appelle communément «l’Occident». Il a commencé par le Canada, puis l’Union européenne, qu’il a traitée de tous les noms. Il l’a même accusée d’avoir «volé» les richesses des États-Unis pendant plusieurs décennies !
Il a menacé d’annexer son voisin du nord, le Canada, d’en faire un 51e État et d’imposer en amont des droits de douane faramineux. Ceux-ci ont aujourd’hui poussé ses alliés, que sont le Canada, l’Europe et même l’Australie, à revoir leurs cartes. Et pour la première fois, le Canada s’est rapproché de la Chine pour réviser sa politique commerciale. Ce qui n’est pas rien pour le premier partenaire des États-Unis dans la région.
La justice vient de statuer que Lisa Cook, gouverneure de la Réserve fédérale, pouvait rester en poste pendant qu’elle se défend contre la tentative de Trump de la démettre de ses fonctions. Que faut-il penser de la pression mise par le président sur sa propre banque centrale ?
Trump est revenu avec un esprit revanchard. Il voudrait éviter quelques couacs qui ont été observés lors de son premier mandat. Notamment la résistance de la magistrature ainsi que celle de la Fed (la Réserve fédérale), depuis la place qui est la sienne.
Aujourd’hui, on constate qu’il menace Jerome Powell, le directeur de la Fed, qui est l’instance financière suprême, la garante de l’économie et des finances des États-Unis. Il menace aussi la Justice, qui réaffirme les droits de Lisa Cook, et n’oublions pas que plusieurs magistrats, dans différents États, ont été attaqués.
Certains ont été limogés, d’autres attendent leur sort. Le dernier rempart de la Justice face à Trump, c’est la Cour suprême. Mais le président de cette Cour a été nommé par Trump lors de son premier mandat. Le risque est qu’il valide ses décisions hasardeuses au détriment de l’indépendance de la Justice des États-Unis. Nous sommes devant un tournant historique dans l’histoire de la démocratie américaine, qui aujourd’hui ressemble à plusieurs pays du Tiers monde.
Les chiffres de l’emploi aux États-Unis sont inquiétants. Peut-on les attribuer à l’administration Trump, qui s’en défend ?
Inquiétants, oui. L’essentiel a été hérité de l’ancienne administration, mais lui ne fait rien pour les améliorer. Par exemple, on peut prendre le secteur du tourisme, qui est en train d’agoniser et de souffrir. Il est en train de perdre des milliers d’emplois suite aux déclarations et aux menaces de Trump vis-à-vis de plusieurs ressortissants d’autres pays. Qu’il s’agisse des touristes, des scientifiques, des journalistes… Il menace tout le monde. Du coup, la majorité de ces gens-là ont décidé de boycotter les États-Unis et de changer de destination. Aujourd’hui, plusieurs opérateurs du secteur touristique tirent la sonnette d’alarme. D’autres secteurs aussi.
Dans la compétition technologique avec la Chine, autour de l’IA notamment, le ton triomphaliste semble-t-il adapté ?
Comme à son habitude, il joue des annonces et des médias. Il les maîtrise pour avoir animé pendant des années des émissions de talk-show. C’est son point fort. Il a l’art de présenter une défaite comme une victoire. Il peut l’annoncer comme il veut. Il sait ainsi convaincre ses vis-à-vis que ses déboires sont des réussites, quitte à avancer des prétextes farfelus. C’est ça, Donald Trump.
Au niveau de l’intelligence artificielle, aujourd’hui, il faut constater que la Chine a fait un pas intéressant dans la course, ou la concurrence, dans ce champ-là. Notamment avec l’élaboration de concepts qui ne nécessitent pas des centaines de milliards de dollars de développement. On l’a vu avec Deep Seek, face aux géants américains.
Comment expliquer l’absence de résultats diplomatiques face à l’invasion de l’Ukraine ?
Durant sa campagne électorale, il annonçait qu’il allait résoudre ce conflit «en 24 heures». C’était peu connaître Vladimir Poutine. Le paradoxe est qu’il le connaît bien, pour l’avoir approché lors de son premier mandat. Il est même, je pourrais dire, un fan de la façon de faire de Poutine et même de Xi Jinping.
Trump, dans sa psychologie, est quelqu’un qui admire la mentalité totalitaire et d’avoir tous les pouvoirs, sans que quelqu’un puisse lui dire non ou puisse faire valoir un contrepoids.
Aujourd’hui, je pense qu’il a buté sur un Poutine qui reste droit dans ses bottes, qui sait très bien quels sont ses objectifs, comment les obtenir. Et ça dure depuis neuf mois. Depuis qu’il est à la Maison-Blanche, il ne cesse d’aller d’ultimatum en ultimatum, sans que cela change quoi que ce soit. Poutine est toujours sur les terres qu’il a occupées. Trump n’a d’autre carte que de faire pression sur Volodymyr Zelensky pour que celui-ci cède des territoires à Poutine, comme prix d’une paix qui serait toujours compromise.
Que dire du projet de «Riviera» à Gaza ?
Et bien, Trump n’oublie jamais son statut de promoteur immobilier. Quand il a traité ce sujet, en avril-mai, c’est-à-dire deux ou trois mois après son arrivée à la Maison-Blanche, le conflit était à son comble et tout le monde attendait des États-Unis une solution ferme.
Parce que c’est le seul État qui puisse imposer quelque chose à Israël. Et on l’a vu proposer ce projet farfelu de Riviera, c’est-à-dire de chasser toute la population de Gaza et d’en faire un autre territoire, avec des hôtels, des golfs… C’est utopique. C’est d’autant plus surprenant que c’est quelqu’un qui a quand même traité ce dossier pendant quatre ans, lors de son premier mandat. Il est censé savoir quelles sont les spécificités de ce dossier, quelles sont ses difficultés et quelles sont les susceptibilités des pays arabes.
Or, il balaye tout ça d’un revers de main et propose un projet immobilier sans se soucier des 2 millions d’habitants qui sont sur place et qui souffrent aujourd’hui de la famine et d’une guerre atroce. Il contribue sans sourciller à ce carnage, dont est témoin l’humanité entière, au jour le jour.
Trump est-il raisonnable lorsqu’il réclame un prix Nobel de la paix ?
Euh… il est difficile de mettre «raisonnable» et «Trump» dans une même phrase [rires]. Trump rêve de recevoir ce sacre, car il envie Barack Obama. Il l’a dit : «Pourquoi Barack et pas moi ?» Il a même déclaré vouloir être un roi et pourquoi pas le pape ! Tout ça, dans des déclarations faites à la télévision, c’est enregistré, c’est officiel.
Donc c’est quelqu’un qui a des ambitions démesurées. Mais ces ambitions sont à l’encontre de ses décisions et de ses actes. On ne peut pas être candidat au prix Nobel de la paix et en même temps mener des guerres, notamment en Iran, soutenir une guerre en Palestine, menacer ses voisins d’annexion, comme le Canada et le Groenland, menacer de mettre la main sur un canal propriété du Panama depuis plus d’un siècle, imposer le changement de nom du golfe du Mexique au mépris de toutes les raisons historiques, géographiques et politiques. C’est quelqu’un qui n’est pas équilibré. Il peut faire une déclaration et, sans que personne ne soit étonné, annoncer tout à fait le contraire dans la même journée.
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO