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Numismatique : le dirham électronique verra-t-il le jour?

Au moment où de nombreux pays abordent des phases avancées dans leur adoption d’une CBDC, le Maroc préfère temporiser. Si la réflexion autour d’une monnaie numérique a dépassé le stade de la reflexion, la Banque centrale se dit soucieuse des implications technologiques, réglementaires et économiques d’un tel virage. Franchira-t-elle le pas?

C’est un constat largement documenté par Bank Al-Maghrib dans son dernier rapport portant sur la supervision bancaire : en 2024, les paiements électroniques ont gagné du terrain et représentent désormais près de 26% des transactions, contre 23% une année auparavant. Mais une lecture du verre à moitié vide montre qu’en dépit de cet «essor», la monnaie sonnante et trébuchante règne encore en maître sur les circuits économiques. C’est dans ce contexte que l’hypothèse de l’avènement d’un dirham électronique s’est invitée, il y a quelques mois, dans les débats monétaires.

Ce qui semble, à première vue, relever d’un choix monétaire dicté par des impératifs économiques, dépasse en réalité le seul champ technique.

«La question centrale n’est pas de savoir si le Maroc a la capacité technique de le faire, mais si sa mise en place apportera une valeur d’usage réelle», fait valoir Badr Bellaj, expert en blockchain.

En effet, si l’e-dirham se présente comme la promesse d’un bien public moderne, l’enjeu réside avant tout dans la valeur d’usage qu’il offrirait aussi bien aux ménages qu’aux entreprises. L’impact sur l’architecture bancaire est également une question importante à soulever.

À cette équation, s’ajoute une part d’incertitude inhérente à toute innovation monétaire, mesurable au moment même de son entrée en circulation. «Le plus grand risque viendra probablement des inconnues qui ne se manifesteront qu’au moment de son déploiement», analyse Bellaj. D’où l’importance, selon les spécialistes, de s’inspirer des expériences menées à l’international pour anticiper cette mutation et en tirer les enseignements utiles.

Décollage raté
Selon les données de l’Observatoire des monnaies numériques de Banque centrale (CBDC Tracker) de l’Atlantic Council, près de 137 pays et unions monétaires explorent une monnaie digitale de Banque centrale (MDBC ou CDBC), soit 98% du PIB mondial. Pas moins de soixante-douze juridictions sont en phase avancée — développement, phase teste ou lancement — dont quarante-neuf en phase pilote. Trois expérimentations ont déjà débouché sur un déploiement à l’échelle nationale, notamment aux Bahamas (Sand Dollar), en Jamaïque (Jam-Dex) ou encore, au Nigeria (eNaira).

À ce propos, le cas nigérian est souvent cité comme contre-exemple. Pensée initialement pour «élargir l’inclusion financière, alléger le coût du cash et fluidifier les envois de fonds» au profit d’une large tranche de la population, l’eNaira peine encore à trouver son public.

Une étude menée par le FMI sur la première année d’exploitation relève que 98,5% des portefeuilles n’étaient pas actifs sur une semaine type, preuve d’un décollage poussif, et ce, malgré le sursaut constaté lors de la pénurie de cash début 2023.

«Le fait d’être en phase de R&D ou même en phase pilote ne signifie pas forcement que le pays adoptera à coup sûr la CBDC», commente l’expert.

Et de citer en exemple la Corée du Sud qui, après plusieurs années de R&D, a décidé d’abandonner le projet. Selon plusieurs spécialistes interrogés à ce sujet, cette possibilité n’est pas à écarter pour le Maroc. Outre-Atlantique, le flou opérationnel qui entoure l’usage de la monnaie de Banque centrale a été dissipé une fois pour toutes. Aux États-Unis, la Chambre des représentants a adopté, le 17 juillet 2025, l’«Anti-CBDC Surveillance State Act», qui vise à empêcher la Fed de tester ou d’émettre une CBDC sans feu vert du Congrès. Le texte n’a toutefois pas été promulgué et doit encore franchir l’étape du Sénat.

La position officielle de la Fed reste cependant inchangée. Sans base législative, la Banque centrale américaine ne prendra aucune décision d’émission. Une posture qui contraste par ailleurs avec la décision prise à l’encontre des «stablecoins», relevant d’émetteurs privés.

Washington vient d’en encadrer l’usage avec le nouveau cadre fédéral dit GENIUS Act, première législation dédiée aux stablecoins de paiement. Le texte impose des réserves liquides et une supervision prudentielle des émetteurs, ce qui sous-entend clairement que ces «jetons» ne sont pas garantis par l’État fédéral.

En Europe, l’aiguille tourne dans l’autre sens. La BCE a engagé depuis fin 2023 une phase de préparation de l’euro numérique, pendant que le volet législatif suit son cours à Bruxelles. L’objectif est assumé. Il s’agit de réduire la dépendance aux schémas de paiement non européens comme Visa et Mastercard.

«L’idée est de préserver une souveraineté monétaire, mise à l’épreuve par la montée des stablecoins adossés au dollar», commente Bellaj. Offrir un équivalent numérique de la monnaie de banque centrale, accepté partout dans la zone euro, y compris hors ligne.

Interopérabilité
Au moment où de nombreux pays ont déjà franchi le pas, le Maroc préfère temporiser. Si la réflexion autour d’une monnaie numérique a dépassé le stade de la réflexion, la Banque centrale se dit soucieuse des implications technologiques, réglementaires et économiques d’un tel virage.

En parallèle du Proof of concept mené en interne, Bank Al‑Maghrib poursuit une expérience pilote internationale – en collaboration avec la Banque centrale d’Égypte -, soutenue par la Banque mondiale. Cette initiative vise à éprouver l’interopérabilité du e‑dirham — notamment dans les transferts transfrontaliers — et à mesurer les réactions des usagers avant toute décision de généralisation. La démarche a également pour objectif de détecter en amont les failles techniques et d’estimer la maturité des infrastructures.

À en croire le wali de BAM, l’instauration d’un dirham numérique ne se fera pas à la légère. Il en va de la transformation du système financier national, qui doit absorber cette transition sans générer d’instabilité, en particulier dans une économie dominée par le cash.

E-dirham, levier pour l’Open banking au Maroc/ OU Catalyseur d’Open banking

Freiné par l’absence d’API normalisées et d’un cadre réglementaire pleinement déployé, l’Open banking tarde à se concrétiser au Maroc. Pourtant, fin 2024, le pays comptait déjà 13,8 millions de comptes de paiement pour un volume de transactions de 43,6 milliards de dirhams, porté par la montée des transferts d’aides sociales.

Selon un expert, «l’e-dirham, grâce à son interopérabilité, pourrait devenir un levier de confiance et un moyen de règlement instantané, réduisant les frictions et libérant le potentiel des fintechs».

En facilitant l’accès sécurisé aux données financières, l’Open banking stimule la concurrence entre prestataires tout en encourageant l’innovation dans les paiements et la distribution de crédit.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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