Maroc

Taux directeur : Jouahri justifie son statu quo

Portée par une nette accélération des activités non agricoles, l’économie nationale confirme sa reprise. Une embellie qui tranche avec la frilosité de la conjoncture internationale, où la prudence dictée par les incertitudes géopolitiques a pesé lourdement dans la décision de Bank Al-Maghrib de maintenir inchangé son taux directeur.

C’est un réflexe bien ancré chez les gardiens de la stabilité monétaire : quand l’incertitude devient la seule certitude, les banquiers centraux redoublent de prudence… en martelant qu’ils font tout pour «maintenir les équilibres macroéconomiques et financiers».

À Rabat, Abdellatif Jouahri ne déroge pas à ce principe. Lors du point de presse tenu le 24 juin au siège de Bank Al-Maghrib, le gouverneur justifie d’emblée le maintien du taux directeur à 2,25 %. Une décision portée, selon lui, par des signaux macroéconomiques jugés rassurants – inflation contenue, reprise de la croissance non agricole, ancrage des anticipations – mais aussi par un niveau élevé d’incertitudes, notamment géopolitiques.

Reprise confirmée
En déroulant le fil de l’économie nationale, le gouverneur insiste sur un retournement qu’il juge significatif. L’économie nationale, portée par une amélioration marquée des secteurs non agricoles, devrait enregistrer une croissance de 4,6 % en 2025, bien au-delà des 3,8 % prévus initialement en mars.

Jouahri évoque une dynamique retrouvée dans des pans entiers de l’économie , notamment en BTP, industrie, mines, ou encore dans le tourisme… L’année 2026 devrait confirmer cette tendance avec une croissance attendue à 4,4 %, marquant un retour dans la fourchette de croissance d’avant-crise, entre 4 et 5 %. Signe que la reprise post-pandémique laisse place à une reconfiguration plus profonde du moteur productif hors secteur agricole.

Malgré l’enlisement persistant du secteur agricole, les données du marché du travail confirme l’optimisme annoncée. En effet, l’économie nationale a créé 282.000 emplois au premier trimestre 2025. Si l’agriculture continue de détruire des postes (–72.000), les services (+216.000), l’industrie (+83.000) et le BTP (+52.000) tirent la reprise. Le taux d’activité remonte à 42,9%, une première depuis des années.

Le chômage global, quand à lui, recule à 13,3%, avec une amélioration notable en milieu urbain (16,6% contre 17,6%), mais une légère dégradation en zones rurales (7,3%). Chez les jeunes de 15 à 24 ans, le taux de chômage passe de 47,7% à 46,9% sur un an. Des chiffres que le gouverneur salue, ceci dit avec prudence, y voyant le signe d’une amélioration sensible du marché du travail, stimulée par la vitalité des secteurs non agricoles.

Vigilance de mise
Cette embellie conjoncturelle n’écarte en rien la nécessité d’une vigilance accrue sur le front des prix. L’inflation poursuit son retrait, passant de 2% au premier trimestre à 0,7% en avril, puis à 0,4% en mai. Cette décélération tient principalement à la baisse des prix alimentaires, notamment les viandes fraîches.

Bank Al-Maghrib table sur une inflation moyenne de 1% en 2025, avec une remontée modérée à 1,8% en 2026. L’inflation sous-jacente suit une trajectoire similaire. Les anticipations restent contenues, selon les enquêtes auprès des professionnels du secteur financier, entre 2,3 et 2,5% sur un horizon de 8 à 12 trimestres. L’évolution des prix à l’échelle mondiale conforte ce diagnostic.

L’inflation internationale devrait s’établir à 3% en 2025, contre 3,7% en 2024, avant de remonter légèrement à 3,2% en 2026. En zone euro, elle se maintiendrait autour de 2,2%, tandis qu’aux États-Unis les nouvelles mesures protectionnistes pourraient raviver les tensions inflationnistes, jusqu’à 3,3%. Une trajectoire que Jouahri estime potentiellement contre-productive, du fait qu’elle pourrait fragiliser l’économie américaine elle-même.

Lente transmission monétaire
Cela dit, la baisse du taux directeur, entamé en 2024, commence à produire ses effets, mais pas assez à en croire BAM. Depuis juin, les taux débiteurs appliqués au secteur non financier ont reculé de 45 points de base, soit un peu moins que l’ajustement attendu. Une évolution jugée toutefois «globalement en ligne» avec les attentes par Bank Al-Maghrib, même si des disparités subsistent selon les produits.

« Il n’y a pas de transmission automatique. Chaque taux appliqué doit refléter une appréciation du risque», relativise Abdellatif Jouahri.

Le régulateur se dit, en ce sens, prêt à exiger des explications bancaires dossier par dossier, si nécessaire, notamment sur les crédits d’équipement, dont les conditions sont parfois déconnectées de l’orientation monétaire.

Jouahri rappelle que le taux préférentiel destiné aux TPE reste quand à lui fixé à 2%, dans le cadre du programme lancé en mars, et qu’une charte censée encadrer l’accompagnement de ces structures «au-delà du seul accès au financement», —appui sur les plans logistique, entrepreneurial et de formation— serait en cours de finalisation.

Pour ce qui est du crédit bancaire, le ralentissement observé au printemps (–0,4% en avril) tient pour l’essentiel à un recul des concours aux ménages et aux entreprises privées. Le ratio des créances en souffrance demeure élevé, atteignant 13% pour les entreprises et 17% pour les particuliers. Pour autant, les projections tablent sur une reprise modérée, autour de 6% par an entre 2025 et 2026, portée notamment par les crédits d’équipement.

Contexte international frileux
Mais au-delà des déterminants internes, la dynamique du crédit ne peut être pleinement appréhendée sans tenir compte des incertitudes extérieures, qui pèsent elles aussi sur les anticipations et les conditions de financement.

À cet égard, le regard porté sur la conjoncture internationale, longuement développé par le gouverneur, vient prolonger le diagnostic d’ensemble. Jouahri dresse le tableau d’une économie mondiale prise en étau entre conflits persistants, crispations commerciales et ralentissement latent. La croissance mondiale devrait s’effriter, passant de 3,2% en 2024 à 2,6% en 2026.

Dans ce climat incertain, les grandes banques centrales ajustent prudemment leur cap. La Réserve fédérale maintient, pour la quatrième fois, sa fourchette de taux directeurs inchangée, tout en poursuivant la contraction de son bilan.

La BCE opte, elle, pour une détente progressive, amorcée dès 2021. Si les marchés du travail résistent, de forts écarts subsistent : 3,2 % de chômage en Allemagne, contre plus de 11 % en Espagne. La nervosité touche aussi les marchés de matières premières. Les projections sur le pétrole tablaient sur un recul à 66,8 dollars le baril en 2025, mais ce scénario se fragilise.

Le risque d’un blocage du détroit d’Hormuz dans le sillage du conflit israélo-iranien pourrait entraîner une brusque reconfiguration des prix. Jouahri prévient que cette variable géopolitique «pèse lourdement sur les anticipations», en dépit des niveaux élevés de stocks aux États-Unis.

Nouveaux virages technologiques
Ces tensions n’ont pas empêché l’économie nationale de conserver une relative stabilité externe. Le déficit courant resterait contenu à 2,8% du PIB sur les deux prochaines années tandis que les exportations progressent, portées notamment par les dérivés de phosphate. Le recul des exportations automobiles depuis le début de l’année, évalué à 7%, suscite des interrogations.

Jouahri relativise ce repli qu’il attribue à des facteurs conjoncturels, en lien avec l’Europe et la pression chinoise sur les segments électriques. Les scénarios les plus optimistes évoquent une reprise attendue dès 2026, tirée par de nouveaux modèles et une meilleur viabilité quand aux virages technologiques entrepris par les constructeurs. Les importations, quant à elles, suivent une courbe ascendante, tirées par la demande en biens d’équipement.

La facture énergétique continue toutefois de s’alléger. L’économie reprend des couleurs, portée par une reprise non agricole solide et une amélioration progressive des fondamentaux externes. Les envois de fonds des MRE, après une légère inflexion, repartent à la hausse pour atteindre 121 milliards de dirhams en 2026. Les réserves de change frôleraient les 423 milliards, soit l’équivalent de 5,5 mois d’importations de biens et services, un niveau jugé confortable par Bank Al-Maghrib.

À mesure que le tissu productif se réorganise, le financement de l’économie retrouve progressivement des marges de croissance sans parvenir à un nouvel équilibre durable. La trajectoire macroéconomique paraît tenir, mais le gouverneur, fidèle à sa ligne de prudence, appelle à ne pas perdre de vue la fragilité du contexte, susceptible d’évoluer en deux temps.

Cybermenaces : les banques sur le qui-vive

Interrogé sur la résilience du secteur face aux risques cyber, Abdellatif Jouahri assure que les établissements bancaires font désormais parties des infrastructures jugées critiques, supervisées conjointement par Bank Al-Maghrib et la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information (DGSSI).

De ce fait, un centre de coordination a été mis en place pour faciliter la circulation rapide de l’information en cas d’incident, enclencher les protocoles de réponse et renforcer la détection des vulnérabilités.

Ce dispositif s’accompagne de sessions de formation régulières, tandis qu’un ajustement du cadre juridique est actuellement à l’étude. Le gouverneur de la banque centrale assure par ailleurs que les risques cyber sont pris en compte dans les stress tests, et que les échanges avec les autorités techniques et les banques se sont renforcés pour mieux anticiper d’éventuelles failles.

Bientôt un scoring national pour le TPE

Autre annonce de Jouahri: l’élaboration d’une méthodologie nationale de scoring dédiée aux très petites entreprises (TPE). La banque centrale travaille, en coordination avec le secteur bancaire, Tamwilcom et Maroc PME pour ce futur référentiel qui vise à unifier les pratiques d’évaluation entre les différents acteurs du système financier, afin de mieux cerner le profil de risque de ces entreprises souvent exclues du financement classique. Le but est de faciliter l’accès au crédit pour les TPE et améliorer l’efficacité des mécanismes d’accompagnement existants.

Bank Al-Maghrib a, à ce titre, examiné l’état d’avancement du nouveau programme de soutien bancaire aux TPE, lancé en mars dernier, ainsi que le projet de charte dédiée à cette catégorie. Une charte qui prévoit notamment une offre de crédit adaptée, la simplification des démarches, l’optimisation des garanties, un accompagnement non financier et des outils de suivi pour garantir la mise en œuvre effective du dispositif.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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