Stockage d’énergie : pourquoi le Maroc doit accroître ses investissements

Doté d’un important potentiel pour la production de batteries lithium-fer-phosphates (LFP), le Maroc, qui a déjà lancé deux grands projets de stockage d’énergie par batteries, pilotés par Masen et l’ONEE, gagnerait à investir davantage dans ces dispositifs efficaces et précieux pour l’approvisionnement en électricité. Explications.
Portées par la forte production des énergies renouvelables, les installations de stockage d’énergie avec batterie (BESS) fleurissent au niveau mondial. Pour preuve, en 2024, ces sites ont atteint une capacité de 200 gigawattheures (GWh) à l’échelle mondiale, en hausse annuelle de 53%, selon le cabinet d’études Rho Motion. Et cette dynamique ne devrait pas s’essouffler.
D’après la même source, leur capacité devrait doubler pour se situer à 400 GWh cette année. Si les BESS sont tellement prisées, c’est parce qu’elles sont particulièrement efficaces et précieuses pour l’approvisionnement en électricité.
Majoritairement couplées à des centrales solaires ou éoliennes, ces installations permettent de stoker l’électricité excédentaire produite lors des heures creuses pour la restituer lors des pics de consommation, compensant l’intermittence de ces deux sources vertes.
Masen à la manoeuvre
Conscient de ces multiples avantages, le Maroc a décidé de prendre le train en marche afin d’accélérer sa stratégie de transition énergétique. Le 20 mai dernier, Masen, qui chapeaute le programme de développement des énergies renouvelables du Royaume, a annoncé avoir obtenu le feu vert de la Banque mondiale pour son plan de passation de marchés relatif à la mise en œuvre de la plateforme «Morocco energy storage testbed project», dédiée aux technologies de stockage d’énergie.
Concrètement, ce projet – qui sera développé au sein du méga-complexe solaire Noor Ouarzazate -, prévoit de tester des technologies innovantes afin de renforcer la flexibilité et la résilience du réseau électrique national. La passation des marchés se déroulera en deux phases.
D’abord, un premier appel d’offres international (3,25 millions de dollars) lancé en mai dernier et qui s’étalera jusqu’à mai 2026. Il porte sur l’acquisition d’équipements techniques nécessaires à la mise en place de la plateforme de test, prévue entre juin et décembre 2026, avec un déploiement jusqu’en avril 2027. Ensuite, un second marché budgétisé à 200.000 dollars, pour la conception et l’exploitation de la plateforme expérimentale, qui seront assurées par un cabinet de conseil international.
L’ONEE en appoint
L’annonce de Masen intervient quelques semaines après celle de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), en avril, sur le lancement d’un projet de développement d’un système de stockage d’énergie par batterie d’une capacité totale de 1.600 MWh. Réparti sur dix sites stratégiques, dont la Centrale thermique de Kénitra (270 MWh), le Poste de Settat (150 MWh), le Site hydraulique Al Massira (180 MWh), le Poste de Tit Mellil (300 MWh) et le Poste de Khouribga (150 MWh), ce dispositif devrait renforcer la résilience du réseau électrique national et favoriser l’intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique.
D’après l’institution dirigée par Tarik Hammane, cette BESS sera dotée de batteries lithium-fer-phosphate (LFP), d’une disponibilité annuelle de 98%, pouvant supporter des charges et décharges d’une durée de 2 à 4h. Dotées d’une puissance nominale de 400 à 800 MW selon les sites, elles auront aussi une durée de vie supérieure à 20 ans. Outre la stabilisation des réseaux électriques, ce système de stockage limitera l’usage des centrales existantes alimentées majoritairement au gaz et au fioul.
L’ONEE a lancé dans la foulée un appel à manifestation d’intérêt pour sélectionner les intégrateurs chargés de la conception, la fourniture du matériel et des équipements, la construction, les essais, la mise en service et la maintenance longue durée de la BESS. La durée d’exécution des travaux est fixée entre 13 et 15 mois. Les soumissionnaires devaient soumettre leurs dossiers avant le 18 avril.
BESS LFP : une aubaine pour le Maroc
Le principal moteur des systèmes de stockage d’énergie, ce sont les batteries LFP qui ont supplanté celles à base de nickel, manganèse et cobalt (NMC). L’année dernière, elles étaient utilisées dans 87% des installations de stockage d’énergie dans le monde, contre 83% en 2023, selon Rho Motion. Pourquoi ? Parce qu’elles sont «30% moins cher que les NMC» grâce au travail de R&D des industriels chinois, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Les auteurs du rapport «Lithium iron phosphate (LIP) battery market opportunity, Growth drivers, Industry trend analysis, and Forecast 2025-2034», de la plateforme Research and Markets, le confirment, en indiquant que «contrairement aux batteries lithium-ion traditionnelles qui reposent sur des matériaux coûteux et sensibles sur le plan géopolitique, tels que le nickel et le cobalt, les batteries LFP utilisent le fer et le phosphate, qui sont plus rentables et largement disponibles. Cet avantage en termes de coûts favorise leur adoption à grande échelle dans diverses applications».
Ces potentiels catalyseurs des BESS marocaines
Autant dire que le Maroc a une belle carte à jouer et devrait investir davantage dans les BESS, car disposant d’un important potentiel dans les batteries LFP. En attestent les lourds investissements dans ce domaine, notamment ceux prévus par le groupe OCP pour produire 30.000 tonnes de produits intermédiaires pour les batteries LFP d’ici 2027.
En septembre dernier, sa filiale Mera batteries, avait annoncé son ambition de produire 1 GWh de batteries LFP «Made in Morocco» d’ici 2026, destiné au secteur automobile et aux projets de stockage d’énergie.
L’usine de Jorf Lasfar, fruit d’une joint-venture entre Al Mada et le chinois CNGR – dont la production a démarré en janvier dernier – qui prévoit de produire 60.000 tonnes de LFP par an, le projet de production de 50.000 tonnes de LFP annoncé par LG Chem et Huayou, et la future gigafactory de Gotion High-Tech à Kénitra, constituent également de potentiels catalyseurs des futures BESS du Maroc.
Le marché mondial des BESS devrait atteindre 114 MM$ d’ici 2030
Le marché mondial des installations de stockage d’énergie par batterie est en forte croissance. Une embellie qui devrait se poursuivre au cours des cinq prochaines années.
D’après le cabinet Mordor intelligence, la filière devrait enregistrer un taux de croissance annuel moyen (TCAC) de 14,31% pour atteindre une valeur de 114 milliards de dollars (MM$) d’ici 2030, contre 58 MM$ en 2025.
Elimane Sembène / Les Inspirations ÉCO