Source to Pay : une nécessité stratégique face à la loi sur les délais de paiement

Face à la loi 69-21, l’optimisation du cycle Source to Pay s’impose comme un pilier stratégique pour éviter les sanctions et renforcer la résilience financière des entreprises. Détails.
Factures perdues, fournisseurs énervés, pénalités qui grimpent, Oups, j’ai oublié de payer! Et si vos retards de paiement révélaient une opportunité cachée d’innovation? La loi n°69-21, entrée en vigueur progressivement depuis juillet 2023, a redéfini les règles du jeu pour les entreprises en matière de délais de paiement.
Avec des pénalités pouvant atteindre 2,5% dès le premier mois de retard, puis 0,85% par mois supplémentaire, le coût financier des retards devient dissuasif, rendant plus avantageux le recours à des solutions de financement bancaire à court terme.
Dans un tel contexte, les entreprises doivent désormais hisser la gestion des délais fournisseurs au rang de priorité stratégique, sous peine de subir des amendes pouvant aller jusqu’à 250.000 DH pour non-déclaration des retards.
Les racines invisibles des retards de paiement
Les retards de paiement, souvent perçus comme une simple négligence managériale, trouvent en réalité leur source dans des dysfonctionnements structurels du processus Source to Pay (S2P). Selon Laila Zhiri, experte-comptable, trois catégories de facteurs critiques expliquent ces lacunes.
Premièrement, les erreurs opérationnelles: des factures rejetées pour non-conformité (références erronées, dates incohérentes), des délais d’approbation chronophages ou une absence d’intégration entre les systèmes achats et comptables génèrent des blocages en cascade.
Deuxièmement, les défaillances systémiques : le manque de fluidité entre les sous-processus (commandes, réceptions, facturations), exacerbé par des outils informatiques cloisonnés, crée des silos inefficients. Enfin, les faiblesses de gouvernance, comme l’absence de contrôles proactifs sur les délais contractuels ou de mécanismes de suivi des Factures Non Parvenues (FNP), laissent des risques non maîtrisés.
«Les retards ne dépendent pas uniquement de la bonne volonté des entreprises. Des obstacles structurels, comme des bases de données fournisseurs non conformes aux contrats, peuvent compromettre même les intentions les plus sincères», souligne Zhiri.
Ces dysfonctionnements, souvent invisibles en surface, révèlent une inadéquation entre les processus existants et les exigences légales croissantes.
Une optimisation en trois temps : évaluer, analyser, agir
La transformation du cycle S2P repose sur une méthodologie rigoureuse en trois phases interdépendantes.
La première étape consiste en une évaluation exhaustive des contrôles internes. Il s’agit de cartographier les risques liés au S2P — non-respect des délais légaux, erreurs de saisie, absence de traçabilité — et d’identifier les lacunes des contrôles existants, tels que des validations trimestrielles trop espacées ou l’absence d’automatisation des vérifications légales dans les ERP.
La deuxième étape mobilise les outils de Data Analytics (Power BI, Tableau) pour une analyse stratégique des données historiques.
«En croisant les données de commandes, de réceptions et de factures, on détecte des corrélations invisibles à l’œil nu : fournisseurs récurrents en retard, services responsables des goulots d’étranglement», précise Zhiri. Des insights qui permettent de prioriser les actions correctives.
La troisième étape, enfin, déploie un plan de remédiation sur mesure, articulé autour de trois leviers : le renforcement des contrôles internes (passage à des vérifications mensuelles des FNP), l’optimisation des systèmes d’information (paramétrage des délais légaux dans les ERP) et l’amélioration de la gouvernance via des tableaux de bord dynamiques mesurant des KPI clés (taux de factures réglées à temps). Une approche holistique qui assure une réponse adaptée aux spécificités de chaque entreprise, tout en alignant le S2P sur les impératifs de la loi 69-21.
Les leviers technologiques et organisationnels
L’optimisation du cycle S2P repose sur une synergie entre technologie et gouvernance. En premier lieu, l’ERP constitue la colonne vertébrale du processus. Correctement paramétré, il automatise des contrôles critiques : validation des références de commandes, blocage des factures sans bon de commande, ou alerte en cas de modification non autorisée des délais de paiement.
«Une revue systématique des bases fournisseurs permet d’identifier les fournisseurs non contractuels paramétrés avec des délais illégaux», rappelle Laila Zhiri, soulignant l’importance d’aligner les données système sur les contrats physiques.
Parallèlement, les outils de Data Analytics (Power BI, Tableau) transforment les données historiques en leviers d’action stratégiques. Un dashboard interactif peut, par exemple, révéler que 30% des retards proviennent d’un service spécifique, ou que 15% des factures sont rejetées pour des erreurs de prix, permettant des corrections ciblées et une réduction des risques légaux.
Enfin, la gouvernance collaborative complète ce dispositif : une charte fournisseurs formalise les attentes (modalités de facturation, références obligatoires), tandis que des formations transversales (achats, comptabilité, logistique) et des canaux de communication dédiés renforcent la coordination interne.
«Sensibiliser les équipes aux enjeux légaux et opérationnels du S2P est aussi crucial que de moderniser les outils», insiste Zhiri, rappelant que la performance du processus dépend autant des humains que des machines.
L’expert-comptable : un partenaire stratégique
Face à la complexité croissante du S2P, les entreprises marocaines, souvent absorbées par leurs impératifs opérationnels, peinent à identifier leurs propres vulnérabilités. Disons qu’elles manquent de recul pour déceler leurs inefficacités.
Dans ce contexte, l’expert-comptable émerge comme un acteur clé, combinant des compétences pluridisciplinaires (droit, audit, data, supply chain) à une vision systémique. Son rôle transcende le conseil comptable traditionnel : il conduit des audits processuels pour identifier les risques cachés via des tests de contrôles et des analyses de données, intègre des outils d’analyse avancés dans les ERP existants pour moderniser les flux, et orchestre une transition culturelle vers une organisation data-driven et collaborative. En formant les équipes aux enjeux du S2P et en instaurant des indicateurs de performance transparents, il transforme les contraintes légales en leviers de performance.
«L’optimisation du S2P n’est pas un projet ponctuel, mais une dynamique continue», résume Zhiri.
«Elle exige une vision systémique, où la technique, l’humain et la conformité convergent». Ainsi, l’expert-comptable se positionne non seulement comme un garant de la conformité, mais aussi comme un catalyseur de résilience économique, essentiel pour naviguer dans un environnement réglementaire en mutation rapide.
Un impératif de résilience économique
Dans un environnement où 40% des entreprises marocaines déclarent encore des difficultés de trésorerie, contre 8% ayant une réserve permettant de tenir moins d’un mois (enquête du Haut-Commissariat au Plan – HCP, 2020), voire pire, dans un contexte où des rapports et analyses économiques évoquent une hausse record des défaillances d’entreprises (+7 %, soit 16 800 faillites attendues), selon les prévisions d’Allianz Trade, en lien avec des difficultés structurelles telles que les retards de paiement, ou encore l’accès au financement et un environnement économique contraignant, maîtriser les délais de paiement devient un levier de compétitivité.
L’optimisation du S2P, combinant rigueur légale, innovation technologique et agilité organisationnelle, n’est plus une option, mais une nécessité pour éviter les sanctions, préserver la confiance des fournisseurs et sécuriser la trésorerie. En transformant le S2P d’un centre de coûts en un pilier de performance, les entreprises marocaines peuvent passer d’une logique de conformité subie à une dynamique de valeur partagée.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO