Droit de grève : un projet de loi qui “passe” en travers de la gorge
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Le Maroc a connu, hier mercredi, une grève nationale qui a touché plusieurs secteurs stratégiques. Une mobilisation inédite qui reflète les tensions croissantes entre les syndicats et le gouvernement autour de cette réforme, que le ministère continue de défendre, affirmant qu’elle «renforce les droits des grévistes et instaure des obligations pour les employeurs».
Dès les premières heures de la journée, les effets de la grève générale étaient bien visibles. Les transports publics ont connu un ralentissement significatif, perturbant la circulation dans les grandes villes. Les administrations ont fonctionné au ralenti, avec de nombreux guichets fermés, et les établissements scolaires ont été partiellement paralysés.
Le secteur industriel, en particulier l’agroalimentaire et le textile, a également enregistré une réduction notable de la production. Cette grève générale, orchestrée par l’Union marocaine du travail (UMT), la Confédération démocratique du travail (CDT), l’Organisation démocratique du travail (ODT) et la Fédération des syndicats démocratiques (FSD), a touché une large gamme de secteurs.
Selon les syndicats, plus de 80% des travailleurs ont cessé leurs activités dans l’industrie, les services, l’éducation et la fonction publique, faisant de cette journée l’une des plus grandes mobilisations sociales depuis plusieurs années. La dernière grève de cette envergure remonte à 2016, lorsque les syndicats avaient protesté contre la réforme des retraites.
Une réforme qui divise
Les syndicats dénoncent plusieurs aspects du projet de loi, qu’ils jugent contraires aux droits des travailleurs. Toutefois, après de longues négociations, des modifications importantes ont été apportées au texte, notamment lors de son passage à la Chambre des conseillers. L’une des avancées majeures est la révision de l’article 1, qui stipule désormais que «la priorité est donnée aux dispositions les plus favorables aux travailleurs et aux syndicats» en cas de conflit avec d’autres législations.
Ce changement renforce la protection des droits des salariés et place la réforme sur des bases plus équilibrées. L’article 2, de son côté, élargit la définition du droit de grève pour inclure non seulement les revendications économiques, mais aussi les revendications indirectes et morales des travailleurs. Ce texte reconnaît désormais la légitimité des grèves solidaires et politiques, s’alignant ainsi sur les normes internationales de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Cependant, les syndicats n’ont pas réussi à obtenir l’autorisation des grèves à durée illimitée, une revendication jugée incompatible avec les principes de l’OIT. Autre nouveauté importante, l’extension du droit de grève à de nouvelles catégories de travailleurs. L’article 4 introduit une modification majeure en ouvrant ce droit aux travailleurs domestiques, indépendants et non-salariés, une revendication vieille de plusieurs années pour les syndicats.
Une réforme plus souple et protectrice pour les grévistes
Le projet de loi modifie également les délais de négociation et de préavis. Dans le secteur privé, le délai de négociation préalable est réduit à 7 jours, contre 30 jours auparavant. En cas de danger imminent, la grève pourra être déclenchée immédiatement, sous la supervision de l’inspection du travail. Quant au préavis de grève, il est désormais fixé à 5 jours, à l’exception des grèves nationales où il demeure à 7 jours.
L’une des principales avancées de cette réforme concerne la protection des grévistes.
Désormais, les employeurs ne pourront plus sanctionner, licencier ou remplacer les travailleurs en grève. Toute tentative de contournement par la sous-traitance sera désormais sanctionnée d’amendes pouvant aller de 20.000 à 200.000 dirhams.
Ce renforcement des sanctions est un progrès par rapport aux mesures précédemment en vigueur. Les grévistes qui enfreindraient les règles seront, en revanche, moins sévèrement sanctionnés. Les amendes sont réduites et une nouvelle disposition interdit la contrainte par corps en cas d’insolvabilité, une mesure longtemps demandée par les syndicats.
Des avancées, certes mais des ajustements restent nécessaires
Le projet de loi marque un pas important en faveur des droits des travailleurs, en s’inspirant des pratiques européennes, notamment en ce qui concerne la protection des grévistes. Cependant, certains points restent perfectibles.
Les sanctions financières contre les grévistes demeurent plus sévères qu’en France ou en Espagne, et le cadre du droit de grève dans la fonction publique pourrait être encore assoupli. Dans ce contexte, Hicham Zouanat, président de la Commission sociale de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), a exprimé un point de vue nuancé.
«Notre conviction pour le droit de grève est bien ancré. Nous avons contribué activement à cette loi organique, qui représente un équilibre entre les droits et obligations des grévistes et la nécessité de garantir un service minimum dans les secteurs vitaux», a-t-il expliqué.
Et d’ajouter : «Bien que nous n’ayons pas obtenu tout ce que nous souhaitions, nous avons fait des concessions pour faire aboutir une loi attendue depuis 62 ans. »
Un projet défendu comme une avancée historique
L’adoption de cette réforme a été saluée par le ministre du Travail et de l’Insertion professionnelle, qui l’a qualifiée d’«historique». Selon lui, cette loi représente une avancée majeure pour le dialogue social et la protection des travailleurs grévistes.
«Cette loi met fin aux licenciements abusifs des grévistes, une pratique jusque-là tolérée dans certains cas. Désormais, un employeur qui licencie un gréviste encourt des sanctions», a souligné le ministre.
Il a également mis en avant l’élargissement du droit de grève, qui inclut désormais les travailleurs indépendants et les employés de maison, jusque-là exclus de ce droit constitutionnel.
De plus, le texte introduit des sanctions sévères contre les employeurs qui tenteraient de contourner la grève en remplaçant les grévistes.
«Nous avons mis en place des sanctions rigoureuses pour garantir le respect des droits des travailleurs», a ajouté le ministre.
Vers un bras de fer prolongé ?
Si aucun compromis n’est trouvé, la grève de ce mardi pourrait n’être qu’un premier avertissement. Les syndicats prévoient d’ores et déjà de nouvelles actions, réclamant une revalorisation des salaires et des garanties solides sur les contrats de travail. L’issue de ce conflit social dépendra de la volonté des parties prenantes à engager un dialogue véritablement constructif.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO