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hydrogène vert à 2$/kg : un vœu pieux ?

Le Maroc peut-il produire de l’hydrogène vert à 2 dollars par kilogramme ? Cette estimation, qui ferait du pays un leader compétitif sur ce marché en pleine expansion, suscite cependant des doutes parmi les experts du secteur. Manque de données vérifiables, absence de projets pilotes, contraintes technologiques… l’analyse des spécialistes remet en question la faisabilité d’un tel objectif.

Produire de l’hydrogène vert à un coût inférieur aux standards internationaux serait un atout considérable pour le Maroc. Lors d’une intervention publique, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, a avancé le chiffre de 2 dollars par kilogramme, soit l’équivalent d’un baril de pétrole à 110 dollars.

Si cette estimation témoigne d’une ambition affirmée, elle est loin de faire l’unanimité parmi les experts du secteur. Entre enjeux technologiques, infrastructures encore embryonnaires et incertitudes sur le coût réel de l’électricité verte, plusieurs spécialistes appellent à la prudence.

Une estimation jugée peu crédible par les experts
Ali Amrani, expert en décarbonation et énergies renouvelables, doute fortement de la faisabilité d’une production d’hydrogène vert à un tel prix au Maroc.

«L’hydrogène à 2 dollars par kilogramme est hautement improbable compte tenu des standards mondiaux actuels, qui oscillent entre 5 et 10 dollars, même dans les scénarios les plus optimisés», affirme-t-il.

Plusieurs obstacles rendent cette estimation difficilement atteignable. Tout d’abord, la productivité des électrolyseurs reste un facteur limitant. Les projets pilotes internationaux, à l’instar de l’installation de 260 MW en Chine, fonctionnent avec un taux d’utilisation de 20%, ce qui aboutit à un coût avoisinant 6 dollars/kg. Ensuite, le coût de l’électricité renouvelable est un autre élément déterminant. Pour atteindre 2 dollars/kg, le prix de l’électricité devrait descendre à 20 $/MWh.

Or, l’électricité verte promise aux industriels marocains est toujours affichée à 50 $/MWh, un tarif qui reste à concrétiser. Enfin, l’absence de projets de démonstration au Maroc empêche toute validation concrète de ces projections.

L’expérience internationale en contrepoint
Saïd Guemra, expert en management de l’énergie, met en garde contre les projections trop optimistes : «Le ministre n’a pas annoncé de travaux expérimentaux faits au Maroc qui puissent expliquer ce coût. À ma connaissance, il n’existe aucun projet de démonstration permettant de valider une telle estimation», affirme-t-il.

Il rappelle l’exemple de la Chine, qui a testé un projet visant à produire 20.000 tonnes d’hydrogène par an.

«Après un an d’exploitation, le rendement réel n’était que de 4.000 tonnes, soit une productivité de 20%, ce qui a refroidi de nombreux investisseurs», explique-t-il.

Il ajoute que TotalEnergies a révisé à la baisse son projet au Maroc, passant de 10 GW à 0,3 GW, en raison des difficultés liées à l’intermittence des énergies renouvelables et aux incertitudes sur le coût réel de production.

Des perspectives plus mesurées pour le Maroc
Les études existantes affichent des projections plus prudentes. Un rapport de PwC estimait en 2020 que le coût de l’hydrogène vert au Maroc se situait entre 4,55 et 4,95 dollars/kg. Avec l’amélioration des technologies et la réduction des coûts de l’électricité renouvelable, ces prix pourraient descendre à 2,70-3,05 dollars/kg d’ici 2030 et 1,05-1,35 dollars/kg en 2050.

L’IRESEN, quant à lui, avance une fourchette actuelle comprise entre 1,99 et 2,82 dollars/kg, mais insiste sur la variabilité régionale et infrastructurelle de ces chiffres. Si l’on se base sur les expériences d’autres pays, notamment le Chili, qui bénéficie d’un excellent ensoleillement et d’un potentiel éolien élevé, la compétitivité du Maroc dépendra de la capacité à mettre en place des infrastructures robustes et à attirer des financements massifs.

Quel avenir pour l’hydrogène vert au Maroc ?
Pour éviter des attentes exagérées, les experts insistent sur la nécessité de projets pilotes et d’une transparence accrue. «Le coût de production ne se calcule pas, il se mesure sur le terrain», rappelle Saïd Guemra.

Sans installations en fonctionnement, les projections restent théoriques et sujettes à d’importantes variations liées aux conditions climatiques et aux capacités industrielles. Malgré ces doutes, le Maroc dispose d’atouts indéniables pour développer une filière compétitive, à savoir un potentiel solaire et éolien significatif, une stratégie industrielle favorable et un intérêt croissant des investisseurs étrangers.

Toutefois, pour transformer cette ambition en réalité, il faudra lever de nombreux obstacles techniques et économiques.L’équation du coût à 2 dollars/kg demeure donc suspendue à une question clé : à quel prix le Maroc pourra-t-il vraiment produire de l’hydrogène vert ?

Malgré les défis, la trajectoire reste favorable

Le coût de production de l’hydrogène vert varie fortement selon les régions et les conditions locales. Actuellement, en Europe, il oscille entre 3,3 et 6,5 euros par kilogramme, selon les conditions locales et les technologies employées. Des pays comme l’Allemagne, la France, les Pays-Bas et l’Irlande ont déjà initié des projets significatifs. Par exemple, l’Irlande prévoit de produire de l’hydrogène vert à un coût estimé à 3,50 euros par kilogramme d’ici 2030, grâce à des investissements dans l’éolien offshore couplé à des électrolyseurs.

Toutefois, certains pays européens, tels que l’Allemagne et les Pays-Bas, ont annoncé qu’ils ne pourront pas produire tout l’hydrogène vert nécessaire à leur demande intérieure et prévoient d’en importer massivement. À l’échelle mondiale, les experts estiment que le prix moyen pourrait chuter à environ 2,5 dollars par kilogramme d’ici 2030, grâce aux innovations technologiques et à l’augmentation de la production à grande échelle. Cependant, certains obstacles ralentissent cette dynamique.

Le coût des électrolyseurs, élément clé de la production d’hydrogène vert, a augmenté de plus de 50% en 2024 en raison de la hausse des prix des matériaux et d’une demande croissante. Cette tendance pourrait temporairement freiner la réduction des coûts.

Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO



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