Lutte contre l’inflation : Bank Al-Maghrib ajuste sa politique
Dans un contexte global marqué par des incertitudes persistantes, Bank Al-Maghrib affine ses leviers pour contenir les effets de l’inflation et relancer la croissance. Analyse des choix stratégiques qui redéfinissent les équilibres financiers du Royaume.
Lors d’un point de presse très attendu, Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib (BAM), a dévoilé les grandes orientations monétaires et économiques de la Banque centrale dans un contexte marqué par de fortes incertitudes mondiales. La décision de ramener à 2,5% le taux directeur s’inscrit dans un contexte économique teinté d’incertitudes.
La réunion de BAM a porté sur les mesures d’adaptation à un environnement international marqué par des tensions géopolitiques accrues et la nécessité de se préparer à l’arrivée du nouveau locataire de la Maison blanche.
L’Europe montre des signes de fragilité économique, accentués par les déboires de l’industrie automobile allemande et par les troubles politiques en France, brouillant toute prévision économique claire jusqu’à mi-2025. En conséquence, l’équipe de BAM anticipe une croissance modeste de 0,8% dans la zone euro pour la période à venir.
Par ailleurs, les prix du pétrole semblent se diriger vers une baisse, avec une projection qui voit le baril passer sous la barre des 70 dollars, influencé par la production en Alaska et les schistes bitumineux.
Abdellatif Jouahri, wali de BAM, a souligné le caractère répétitif et imprévisible des crises qui ne sont pas sans conséquence pour le Maroc. Tandis que les prévisions de l’autorité monétaire tablent sur une croissance modérée de 0,8% dans la zone euro, le recul attendu des prix du pétrole pourrait alléger la facture énergétique nationale. Les projections nationales prévoient une économie significative sur les importations de pétrole, dont la facture devrait baisser de 150 à 110 milliards de dirhams (MMDH), renforçant les réserves de change.
Maîtrise de l’inflation
Dans son intervention, Jouahri a insisté sur l’importance d’une gestion proactive face aux crises systémiques. Sur le plan national, les signes de résilience contrastent avec des vulnérabilités sectorielles. L’activité non agricole progresse légèrement (+3,5% attendu en 2024), soutenue par les grands projets d’infrastructure. À l’inverse, la valeur ajoutée agricole recule de 4,6%, sous l’effet d’une campagne céréalière limitée à 31,2 millions de quintaux.
Malgré une inflation maîtrisée, ramenée à 1% en 2024 après un pic à 6,1% en 2023, les perspectives économiques demeurent fragiles. Si la croissance globale devrait atteindre 2,6% en 2024, elle reste en deçà des attentes et illustre la difficulté de maintenir un équilibre entre soutiens internes et pressions externes.
BAM s’efforce d’accompagner cette transition avec des mesures structurelles, notamment la création d’un marché secondaire des créances en souffrance. Ce dispositif, en réduisant un encours toxique de près de 94,8 MMDH, vise à libérer des marges pour le financement de l’économie réelle tout en attirant des investisseurs étrangers.
Politique de prudence
Dans le cadre de cette politique de prudence, la gestion des créances en souffrance devient cruciale. L’initiative de créer un marché secondaire pour ces actifs toxiques, dont l’encours global a culminé à 94,8 MMDH fin 2023, marque un tournant décisif. Cette stratégie vise à purifier le bilan des banques, améliorant ainsi leur capacité à soutenir l’économie. Le marché promet non seulement de réduire les risques mais aussi d’attirer les investisseurs étrangers, intéressés par les opportunités de rendement dans un cadre réglementé.
Parallèlement, la régulation des crypto-actifs par BAM positionne le Maroc comme un leader dans la gestion des innovations financières. En préparant des réglementations strictes, la Banque centrale cherche à encadrer les risques tout en exploitant le potentiel de ces technologies émergentes.
Cette approche proactive est essentielle car l’inflation, influencée par des facteurs externes, est attendue en hausse après un repli. Les mesures prises doivent donc équilibrer innovation et sécurité, en garantissant que l’adoption des technologies numériques soutienne durablement l’économie.
Malgré des perspectives de croissance modérée, portées par une progression des secteurs non agricoles et un recul maîtrisé de l’inflation à 1%, l’économie reste étroitement tributaire des dynamiques globales. La dépendance aux importations énergétiques, bien que réduite grâce à la baisse des cours du pétrole, et les incertitudes pesant sur les flux commerciaux internationaux, soulignent la fragilité des équilibres macroéconomiques.
Dans ce contexte, la stratégie de BAM traduit une quête de stabilité dans un environnement où les chocs externes redéfinissent en permanence les marges de manœuvre des économies émergentes.
Jouahri au sujet de la libéralisation du dirham : «Nous irons lentement mais sûrement.»
Face aux incertitudes économiques, géopolitiques et climatiques, BAM maintient une approche prudente en vue de préparer la transition vers la flexibilité du dirham. Lors de la dernière réunion de son conseil, Jouahri a affirmé que «les préalables sont là», tout en rappelant que cette réforme exige du temps et une maîtrise des conditions.
«Dans certains contextes, cela peut prendre jusqu’à neuf ans», affirme celui qui a été nommé au titre de l’exercice 2024, meilleur «banquier central» en Afrique.
Le gouverneur de Bank Al-Maghrib affirme que la libéralisation du dirham progresse par étapes. Parmi les avancées majeures, figurent la programmation budgétaire triennale, la réforme de la Loi organique des finances et le renforcement du marché interbancaire. À cela s’ajoute la création d’un marché à terme, perçu comme un jalon déterminant pour soutenir cette transition. Soutenu par des données actualisées et un dialogue continu avec les opérateurs économiques, ce processus s’inscrit dans une dynamique de moyen et long terme.
Pour Jouahri, cette approche graduelle est le gage d’une libéralisation réussie, capable d’assurer à la fois la soutenabilité budgétaire et la stabilité macroéconomique.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO