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Stabilité financière : risques émergents, un défi pour la politique macroprudentielle

À la 4e édition du Symposium sur la stabilité financière, les débats ont mis en lumière l’urgence pour les économies émergentes d’adapter leurs cadres financiers face aux mutations globales et aux éventuels chocs systémiques.

Le spectre menaçant d’une possible crise financière mondiale a été brandi à Rabat lors de la 4e édition du Symposium régional sur la stabilité financière, où experts et régulateurs se sont réunis pour analyser les défis d’un système mondial interconnecté, mais profondément exposé à moult risques. Si le Maroc, en tant qu’hôte, a pris une place centrale dans les discussions, les enjeux africains ont été davantage mis en lumière dans un contexte mondial marqué par les pressions inflationnistes et les mutations technologiques accélérées.

Pour cette édition, la première de l’ère post-pandémique, le thème retenu, «Stabilité financière en Afrique à l’épreuve des incertitudes géoéconomiques et des risques émergents», a permis de mettre en lumière les fragilités et les défis d’un système global interconnecté.

Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, a ouvert les débats en analysant la succession des chocs récents, de la pandémie à la guerre en Ukraine, en passant par les phénomènes climatiques extrêmes.

«Ces événements ont profondément reconfiguré l’échiquier économique, social et financier mondial, confrontant les décideurs à des niveaux d’incertitude sans précédent», a-t-il souligné.

Dans un contexte marqué par la sécheresse et le stress hydrique, le Maroc a cherché à intégrer assez tôt les risques environnementaux dans ses cadres financiers, multipliant les initiatives pour renforcer la résilience du secteur bancaire. Ces efforts traduisent en filigrane les défis structurels auxquels les économies émergentes doivent faire face pour s’adapter à un monde en perpétuelle mutation.

L’interdépendance, force ou faiblesse ?
Dans ce contexte, l’interconnexion économique, généralement considérée comme un atout, expose également les systèmes financiers à des vulnérabilités accrues, en amplifiant la propagation des crises au-delà des frontières. «Un fermier au Maroc et un trader à Wall Street sont connectés par les fils invisibles de l’économie mondiale», a relevé Martin Moloney, secrétaire général adjoint du Financial stability board (FSB).

Cette interdépendance, a-t-il insisté, rend la gestion des crises financières plus complexe, tout en soulignant l’importance d’initiatives globales pour renforcer les paiements transfrontaliers. En Afrique, où les transferts d’argent jouent un rôle essentiel pour les populations, les systèmes actuels demeurent coûteux, lents et opaques. Ces lacunes, pourtant bien identifiées, illustrent la difficulté d’aligner innovation et inclusion financière. Elles reflètent également les défis auxquels fait face l’ensemble du système financier, où chaque secteur fait face à des risques émergents.

Le cas du secteur des assurances est en proie à des transformations profondes. «Les risques systémiques liés au secteur des assurances demeurent plus faibles que ceux du secteur bancaire, mais leur montée en complexité exige une vigilance accrue», soutient pour sa part Romain Paserot, secrétaire général adjoint de l’International Association of Insurance Supervisors (IAIS).

En cause, l’accumulation d’actifs complexes et illiquides dans les portefeuilles des assureurs, qui amplifie les vulnérabilités face à des chocs économiques ou climatiques. À cela s’ajoutent les effets croissants des tensions géopolitiques sur la solvabilité et la liquidité des compagnies, ce qui exige d’après l’IAIS, une supervision renforcée.

Vulnérabilité climatique
Au-delà des diagnostics, le symposium a rappelé un constat propre aux spécificités africaines, et largement admis par les différentes parties prenantes. Si le continent est l’un des moins contributeurs aux émissions de gaz à effet de serre, il subit de plein fouet les effets du changement climatique, amplifiés par une dépendance accrue aux marchés internationaux pour les produits alimentaires et énergétiques, dont il est paradoxalement à l’origine.

En témoignent les chocs inflationnistes consécutifs et les conséquences de la guerre en cours en Ukraine qui se répercutent sur le pouvoir d’achat des populations les plus vulnérables et favorisent l’accroissement des inégalités criantes au sein des sociétés africaines. Une situation aggravée par le fardeau de la dette qui pèse sur de nombreuses nations africaines et qui, comme l’a rappelé le wali de BAM dans son allocution, constitue une menace sérieuse.

«La dette publique africaine a atteint, selon les données du FMI, près de 1.800 milliards de dollars à la fin de l’année 2023, représentant 60% du PIB pour les pays subsahariens et près de 77% pour les pays d’Afrique du Nord, soit le double de son niveau de 2010. En l’espace d’une dizaine d’années, la dette extérieure de l’Afrique est passée de moins de 20% du PIB à près de 30% et son ratio aux exportations a pratiquement doublé à 140%», a rappelé Jouahri.

Pourtant, les perspectives ne sont pas uniquement sombres. Le continent dispose de ressources naturelles abondantes et d’un capital humain, offrant un potentiel considérable pour répondre aux défis. La ZLECAF (Zone de libre-échange continentale africaine) incarne cette ambition collective, bien que sa mise en œuvre nécessite une coordination accrue entre les économies africaines.

Cette dynamique d’intégration régionale, bien qu’essentielle, doit s’accompagner d’une adaptation rapide aux bouleversements technologiques et financiers qui redéfinissent les systèmes économiques. Dans ce cadre, l’innovation technologique, bien qu’elle constitue un levier puissant pour l’inclusion financière, elle soulève aussi des défis majeurs.

Au Maroc, cette dynamique s’inscrit dans une démarche structurée, portée par la préparation d’un projet de loi encadrant les cryptoactifs, élaboré avec l’appui de la Banque mondiale et actuellement en cours d’adoption, comme l’a rappelé le gouverneur de Bank Al-Maghrib dans son discours. Parallèlement, la réflexion autour d’une monnaie digitale de banque centrale (MDBC) témoigne de la volonté d’exploiter ces opportunités tout en maîtrisant les risques associés. Jouahri a rappelé que cette transition exige «une approche collective, nationale et régionale, pour conjuguer innovation et stabilité».

Cette approche s’inscrit dans un débat plus large sur les technologies financières, où l’émergence des FinTech redéfinit les priorités en matière de régulation. L’émergence des technologies financières (FinTech) offre, en effet, des opportunités inédites pour dynamiser les systèmes financiers tout en posant des défis importants en termes de régulation.

À Rabat, Martin Moloney, secrétaire général adjoint du Financial Stability Board (FSB), a insisté sur l’urgence d’établir un cadre réglementaire adapté pour équilibrer innovation et stabilité. Cette réflexion s’inscrit dans une dynamique plus large, où l’intégration des économies émergentes dans les initiatives de régulation mondiale s’impose comme une nécessité pour préserver une stabilité financière à l’échelle globale, un constat sur lequel s’accordent les experts réunis lors du symposium.

Abdellatif Jouahri
Wali de Bank Al-Maghrib

«Au Maroc, les régulateurs du secteur financier sont particulièrement sensibles au risque climatique et ont lancé de nombreuses initiatives visant à intégrer cette dimension dans les stratégies, les processus décisionnels et les cadres de régulation financière.»

Martin Moloney
Secrétaire général adjoint du FSB

«Un agriculteur au Maroc et un trader à Wall Street sont connectés par les fils invisibles de l’économie mondiale.»

Bank Al-Maghrib renforce sa vigilance climatique

Lors du 4e Symposium régional sur la stabilité financière, Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, a souligné l’impact des risques climatiques sur les systèmes financiers africains. Sécheresses, inondations et stress hydrique affectent durement un continent pourtant faiblement émetteur de gaz à effet de serre.

Le Maroc s’illustre par des initiatives pionnières, comme une directive intégrant le risque climatique dans les stratégies bancaires et une étude réalisée avec la Banque mondiale.

Avec des besoins estimés à 78 milliards de dollars d’ici 2050, Jouahri a plaidé pour une mobilisation équilibrée des financements climatiques, qui ne doit pas entraver le développement économique. Ce défi appelle à une coopération renforcée pour allier résilience environnementale et stabilité financière.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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