Chiffres de l’Emploi : le pourquoi d’une controverse
À priori, la hausse des premières immatriculations dans les registres de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), 300.000 en 2023, aurait pu laisser penser qu’elle ferait reculer le chômage. C’est tout le contraire qui ressort de l’enquête annuelle du Haut-commissariat au plan (HCP). Décryptage…
Le gouvernement avait l’ambition de créer 500.000 emplois par an et d’afficher un taux de chômage à plus de 13% de la population active en 2023. Or, le paradoxe est saisissant avec les nouveaux salariés immatriculés à la CNSS, avec 300.000 au total pour la seule année dernière. Ce qui pousse d’ailleurs des voix au gouvernement à dénoncer «le décalage des données du Haut-commissariat au plan (HCP) par rapport à la réalité qui ressort des inscriptions à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS)».
À fin 2023, 4 millions de salariés (seul un sur deux était déclaré sur l’ensemble de l’année) étaient immatriculés dans les registres de la CNSS. Sur le plan technique, on ne peut pas en conclure que le volume d’emplois créés en 2023 équivaut à ce différentiel car si les données du HCP et les inscriptions à la CNSS renseignent sur l’état du marché de l’emploi, leur contenu ne signifie pas la même chose.
D’abord parce que dans les 300.000 inscriptions de plus à la CNSS, il faut composer avec les fluctuations des entrées-sorties et l’impact du travail non déclaré. Ensuite, seule une faible proportion de la population des «affiliés entrants», soit 9% qui ont déclaré leurs salariés durant les 12 mois de l’année. En moyenne, ces salariés sont déclarés 95 jours par an.
Au-delà de l’effet des activités saisonnières, des défaillances et des liquidations d’entreprises, ce chiffre trop bas donne une première indication sur l’ampleur du travail non-déclaré qui sévit encore malgré l’estocade que lui portent les contrôles de plus en plus musclés de la CNSS. Si l’on retranche les départs à la retraite, les décès et les «nouveaux inactifs», beaucoup de «passagers clandestins» sont à chercher dans les 480.000 qui n’apparaissent nulle part dans les livres de la CNSS.
Pour l’année 2023, l’enquête du HCP sur le marché de l’emploi relève que l’économie marocaine a perdu 157.000 postes, conséquence d’une baisse de 209.000 emplois non rémunérés et d’une création de 50.000 emplois rémunérés. C’est ce constat qui fait bondir les responsables gouvernementaux lorsqu’ils rapprochent ce chiffre avec l’« embellie » des immatriculations dans les registres de la CNSS.
En fait, cette différence d’interprétation est due à une question de méthodologie, expliquent des experts en statistiques. Pour faire dans l’analogie avec la trésorerie d’une PME, le HCP établit l’état de rapprochement bancaire tandis que les immatriculations à la CNSS reflètent les opérations d’un relevé bancaire. Le premier est plus proche de la réalité car il comprend aussi les opérations d’encaissement et de décaissement en cours mais qui n’apparaissent pas dans un extrait bancaire. Le bilan du HCP comprend pour une période donnée, non seulement les emplois effectifs mais aussi les postes non pourvus.
L’enquête du HCP confirme que le secteur des services demeure le principal pourvoyeur d’emplois au Maroc concentrant plus de 48%, soit plus d’un emploi sur deux. C’est aussi celui où se trouvent les bastions du travail dissimulé, une palme qu’il se dispute avec le BTP et l’agriculture.
Par ailleurs, le marché du travail se caractérise par la prédominance de l’emploi peu qualifié puisque près d’un actif occupé sur deux (51,2%) est sans diplôme. Toutefois, il convient de signaler que la part de l’emploi des diplômés (niveaux moyen et supérieur) dans l’emploi total a connu , une amélioration importante en 2023 par rapport à la situation d’avant pandémie.
En effet, la part du niveau moyen est passée de 29,6% en 2019 à 32% en 2023 et celle du niveau supérieur s’est améliorée en passant de près de 15% à plus de 18%.
Chômage : 4 points de plus en dix ans !
La population active en chômage, est constituée des personnes âgées de 15 ans et plus, qui n’ont pas une activité professionnelle et qui cherchent activement ou passivement un emploi (c’est le cas, par exemple, des personnes qui ne cherchent pas activement un emploi à cause d’une promesse d’embauche).
Ainsi une personne en chômage est une personne qui, au moment de l’enquête, est : sans travail ; à la recherche d’un travail (qui a pris des dispositions appropriées) et disponible pour travailler. La notion de recherche d’un emploi est utilisée au sens large (la recherche n’est pas forcément active). Le taux de chômage a augmenté de 3,9 points (de pourcentage), entre 2010 et 2023, passant de 9,1% à 13%.
En 2023, la hausse du taux de chômage de 1,2 point de pourcentage par rapport à 2022 est imputable essentiellement à la perte de 157.000 postes. Cet écart aurait été plus élevé si la population active avait maintenu son rythme d’accroissement connu avant la pandémie (77.000 personnes en moyenne par an entre 2010 et 2019) au lieu d’une régression de 20.000 personnes en 2023, relèvent les analystes du HCP.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO