Maroc

Métaux précieux/PLF 2025 : les affineurs dans le viseur

Pour lutter contre la fraude et valoriser ce secteur d’excellence, le Maroc va serrer davantage les vis via un cadre réglementaire renforcé ciblant le secteur de la bijouterie-joaillerie, avec la traçabilité comme principale priorité. En ligne de mire, les affineurs de métaux précieux. Détails.

Les brebis galeuses dans le secteur de la bijouterie marocaine n’auront plus d’autre choix que la transparence totale ! Exit les cachotteries sur l’origine des métaux précieux et gemmes qui seront scrupuleusement tracés. La filière de la bijouterie-joaillerie en métaux précieux est un secteur crucial pour l’économie marocaine. Cependant, le manque de traçabilité demeure un frein majeur à son plein essor.

L’Administration des douanes et impôts indirects (ADII) a donc décidé de mener plusieurs réformes, comme l’indique le rapport d’exécution budgétaire et de cadrage macroéconomique triennal relatif au projet de Loi de finances pour l’année budgétaire qui s’annonce : «Le PLF 2025 prévoit la poursuite de la mise en place du cadre réglementaire du métier d’affineur des métaux précieux afin de garantir la traçabilité des opérations de la chaîne de valeur.»

Problématiques liées au manque de traçabilité
Le manque de traçabilité engendre de nombreux problèmes pour cette filière. D’une part, il favorise la fraude avec l’utilisation de métaux non conformes ou le blanchiment d’origine douteuse. En effet, sans traçabilité, il est plus facile d’introduire des métaux non conformes aux normes (alliages douteux, métaux moins précieux) ou du métal d’origines douteuses voire illégales (blanchiment). Cela nuit à l’intégrité et à la réputation de la filière.

D’autre part, il nuit à la confiance des consommateurs qui n’ont aucune garantie sur la qualité et la provenance des bijoux achetés.

Ce qui contribue à éroder la confiance dans le secteur. «Dans ce cadre, il a été constaté que le métier d’affineur constitue le premier maillon de la chaîne (…) Bien que leur rôle est essentiel, aucune disposition n’est prévue pour encadrer ce métier», précise l’ADII dans sa circulaire n°6451/214 publiée le 27 avril 2023.

Un enjeu majeur : la traçabilité de bout en bout
Instaurer une traçabilité efficace de bout en bout représente donc un défi de taille pour le Maroc. Cela implique de suivre et contrôler chaque étape, de l’extraction minière à la vente au consommateur final, en passant par l’affinage, la transformation et le commerce. Une traçabilité rigoureuse permettrait de lutter contre la fraude, de protéger les consommateurs et d’accroître la crédibilité de la filière marocaine. Autant dire que cette traçabilité rigoureuse de l’amont à l’aval implique de robustes systèmes d’identification, de documentation, de vérification et de certification à chaque maillon. Des audits réguliers par des organismes indépendants sont indispensables.

Des exemples à suivre
Certains pays ou entreprises ont déjà mis en place des systèmes exemplaires de traçabilité dans la filière des minerais et métaux précieux. Entre autres exemples concrets, l’on peut citer le processus de Certification régionale de la CEDEAO.

Ce système mis en place par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest permet de tracer avec précision l’origine des minerais précieux comme l’or, les diamants ou d’autres pierres précieuses extraits dans la région. Chaque lot extrait reçoit des certificats et des identifiants uniques permettant d’en garantir la provenance tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Autres exemples : la blockchain de traçabilité de Cartier.

La célèbre maison de joaillerie Cartier a développé une plateforme basée sur la technologie blockchain pour assurer une traçabilité totale de ses diamants. Dès l’extraction minière, chaque pierre est répertoriée et suivie à la trace avec une fiche d’identité numérique inviolable. Le parcours complet du diamant (taille, polissage, sertissage, etc.) est donc certifié jusqu’au produit fini vendu au client. Des entreprises comme De Beers, Tiffany & Co ou Chow Tai Fook travaillent sur des systèmes similaires de traçabilité numérique pour leurs diamants et pierres précieuses.

L’objectif est de garantir une origine éthique et durable tout en luttant contre le trafic de «diamants du sang». Ces systèmes exemplaires, qu’ils soient publics (CEDEAO) ou privés (Cartier, etc.), montrent la voie en apportant transparence et crédibilité à l’industrie. Leur développement permet de mieux réguler la filière tout en rassurant les consommateurs soucieux d’acheter des bijoux d’origine certifiée.

Métiers de la filière : Un cadre à renforcer
La circulaire n°6451/214 du 27 avril 2023 de l’ADII soulève un point essentiel : la nécessité de mieux encadrer et réglementer les activités des affineurs de métaux précieux, qui constituent le maillon initial de la chaîne d’approvisionnement. Jusqu’à un passé récent, les affineurs échappaient à la plupart des obligations réglementaires applicables aux autres acteurs comme les fabricants ou commerçants de bijoux.

Or, leur rôle est stratégique puisqu’ils fournissent les métaux nobles (or, argent, platine…) qui seront ensuite transformés. En imposant aux affineurs les mêmes exigences que les autres maillons, comme la déclaration officielle de leur profession et la tenue obligatoire d’un registre traçant leur activité, on pourra mieux contrôler et suivre leurs opérations dès la base. De quoi limiter les risques d’introduction de métaux d’origines douteuses ou non-conformes dans le circuit.

Cette réglementation accrue vise aussi à mieux identifier et recenser cette nébuleuse d’acteurs gravitant autour des métaux précieux mais souvent méconnus : affineurs, fondeurs, récupérateurs… En les soumettant aux mêmes règles que les bijoutiers et les joailliers, les autorités veulent créer un cadre harmonisé propice à la traçabilité sur l’ensemble de la filière. Ce qui constitue une étape cruciale pour assainir le secteur, lutter contre la fraude et renforcer la crédibilité de la filière nationale des métaux et bijoux précieux dans son ensemble.

Le secteur de la bijouterie-joaillerie revêt une importance économique considérable au Maroc, comme en témoignent les chiffres de l’étude présentée lors de la Semaine nationale de l’artisanat 2020 (SNA-2020) : plus de 8.000 artisans employés dans la filière ; un chiffre d’affaires annuel de 1,59 milliard de dirhams, représentant 2,2% du CA de l’artisanat productif et artistique traditionnel. Cela en fait une composante majeure du tissu économique artisanal et une source d’emplois non négligeable.

Cependant, les conditions de travail dans ce secteur sont souvent précaires et doivent être améliorées. Les réformes en cours visent donc à valoriser ce métier ancestral en modernisant les ateliers et outils de production, en formant les artisans aux nouvelles techniques, en assurant de meilleures protections sociales et en promouvant les savoir-faire traditionnels.

Parallèlement, ces réformes cherchent aussi à soutenir le développement de cette filière d’avenir porteuse, en renforçant notamment sa crédibilité par une traçabilité accrue des métaux et gemmes utilisés ; une certification des procédés de production ; la lutte contre la fraude et le travail illégal et la valorisation de l’artisanat d’excellence.

Avec une bijouterie-joaillerie marocaine plus moderne, mieux encadrée et jouissant d’une image de marque renforcée, les perspectives de croissance sont prometteuses, tant sur le marché intérieur qu’à l’export. C’est un enjeu économique mais aussi culturel, pour pérenniser ce riche artisanat et permettre au Maroc de s’imposer durablement dans le secteur mondial du bijou.

Innovations et perspectives prometteuses

Loin d’être dépassés, ces métiers traditionnels recèlent un fort potentiel d’innovation grâce aux nouvelles technologies. On peut imaginer par exemple l’utilisation généralisée de la blockchain, des puces RFID ou de l’intelligence artificielle pour tracer de façon infaillible chaque bijou.

«La dématérialisation de la déclaration D19 des ouvrages métalliques est un premier pas dans cette direction», souligne un fiscaliste.

En effet, avant avril 2024, les professionnels concernés devaient remplir manuellement ce document recensant les ouvrages en métaux précieux (bijoux, pièces d’orfèvrerie, etc.) fabriqués ou commercialisés. Un processus long, fastidieux et propice aux erreurs ou omissions.

La dématérialisation de cette déclaration obligatoire apporte plusieurs avantages : simplification des démarches administratives pour les artisans et commerçants ; gain de temps et d’efficacité grâce à la saisie numérique ; meilleure traçabilité avec un suivi informatisé des ouvrages déclarés ; possibilité de recouper plus facilement ces données avec d’autres (importations, achats de métaux, etc.). L’objectif étant de mettre en place progressivement un système d’information et de traçabilité complet, permettant de suivre électroniquement chaque maillon : de l’achat des matières premières à la vente du bijou fini.

Ce dit, «il reste encore beaucoup à faire pour hisser cette filière d’excellence au niveau qu’elle mérite», ajoute un analyste.

Nul doute que la traçabilité accrue des métaux précieux représente une formidable opportunité de développement pour le Maroc. En relevant ce défi, le Royaume se doterait d’un secteur crédible et compétitif, capable de briller sur la scène internationale. La voie est toute tracée.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO

 


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