Concurrence : l’UE enfin armée pour dompter les GAFAM
Six champions de la tech ont jusqu’à jeudi pour se mettre en conformité avec le nouveau règlement européen sur les marchés numériques, sous peine de lourdes sanctions.
Agir plus vite et plus fort contre les abus de position dominante des géants du numérique, c’est la promesse du nouvel arsenal juridique de la Commission européenne qui entre pleinement en vigueur cette semaine mais doit encore tout prouver. Six champions de la tech – les américains Alphabet (Google), Amazon, Apple, Meta (Facebook, Instagram) et Microsoft, ainsi que le chinois ByteDance, propriétaire de TikTok – devront être jeudi en conformité avec le nouveau règlement sur les marchés numériques (DMA), sous peine de lourdes sanctions. Il s’agit d’une révolution pour le droit de la concurrence.
Après des années de procédures interminables – et souvent vaines – pour tenter de mettre fin à leurs pratiques anticoncurrentielles, l’Union européenne semble avoir tiré les leçons de ses échecs. Le DMA fixe une série d’obligations et d’interdictions sur mesure pour endiguer le type d’actions déloyales qui ont abouti à évincer ou brider la concurrence.
Parmi de nombreux exemples, Google a désormais interdiction d’exploiter le quasi-monopole de son moteur de recherche pour mieux référencer ses propres services comme le comparateur de prix Google Shopping. Apple doit ouvrir ses iPhones à des boutiques d’applications alternatives à son App Store et à des systèmes de paiements concurrents d’Apple Pay…
«Vu la vitesse à laquelle les marchés numériques évoluent, et vu le temps que prennent les procédures classiques de concurrence, il fallait une capacité d’intervention en amont, au lieu de venir après que le dommage soit matérialisé», explique à l’AFP l’avocat Romain Rard, associé au cabinet Gide.
Les groupes ciblés, désignés en septembre, ont eu six mois pour se préparer et ont multiplié les annonces sur l’adaptation de leurs services aux nouvelles règles, jurant qu’ils les respecteraient. Le doute subsiste néanmoins: «Est-ce une conformité a minima sans vrai changement des comportements des entreprises et, si c’est le cas, jusqu’où la Commission sera-t-elle prête à aller dans l’utilisation du DMA et de ses sanctions les plus élevées?», s’interroge Romain Rard. Vendredi, 34 entreprises et associations professionnelles ont invité la Commission européenne à sévir contre Apple, affirmant que son plan «tourne en dérision» le DMA.
Le nouveau règlement renforce en tout cas les pouvoirs de Bruxelles. Les règles de concurrence classiques prévoient des amendes pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial ; avec le DMA, ce sera jusqu’à 20%, en cas de récidive. Depuis 2017, Google a cependant déjà été condamné à plus de 8 milliards d’euros d’amendes dans l’UE, sans résoudre les abus identifiés. Mais ses profits s’élèvent à près de 20 milliards… par trimestre. C’est pourquoi la Commission s’est aussi dotée, avec le DMA, du pouvoir de démanteler le contrevenant, en lui imposant la vente d’une partie de ses activités. La mesure s’apparente à une «bombe atomique». L’UE osera-t-elle l’employer?
«Nous discutons depuis des mois avec les entreprises pour leur faire comprendre que les règles du jeu ont changé. Toute entreprise non conforme s’exposera à des sanctions sévères», a prévenu le commissaire européen au Numérique, Thierry Breton.
L’exécutif européen va désormais analyser les plans de conformité et poursuivre le dialogue avec les géants et tiers concernés. Outre des sanctions «a posteriori» des abus de position dominante, les nouvelles règles imposent des règles en amont, permettant à la Commission d’intervenir plus vite, et simplifient la charge de la preuve. Les poursuites contre Google pour pratiques anticoncurrentielles sur le marché des comparateurs de prix avaient démarré en 2010: il a fallu attendre 2017 pour que Bruxelles inflige une amende de 2,4 milliards d’euros.
Et après de nombreux recours, on attend encore le verdict final de la justice européenne sur ce dossier. Le nouveau règlement, désormais, fixe un délai de 12 mois entre l’ouverture d’une procédure et une décision. Pour éviter les stratégies d’étouffement des avocats qui inondent le régulateur avec des centaines de pages de dossiers, une limite de 50 pages est désormais fixée.
«C’est une étape importante qui va permettre des progrès», estime Andrea Collart, spécialiste de l’antitrust pour le cabinet Forward Global. «Le DMA tente de répondre de façon concrète aux besoins des concurrents qui aujourd’hui ne peuvent pas rivaliser avec les géants du numérique».
Sami Nemli Avec Agence / Les Inspirations ÉCO