Opinions

Choisir une structure juridique pour une petite et moyenne entreprise

Par Wassim Benzarti
Avocat au barreau de Paris et associé gérant du cabinet Westfield Morocco ( * )

& Soukaina El Guermai
Associée.

Le processus de sélection de la structure juridique revêt une importance capitale pour toutes les entreprises, particulièrement les petites et moyennes entreprises (PME) au Maroc. La préférence générale des PME marocaines va vers la Société à responsabilité limitée (SARL), en raison de sa simplicité et de ses coûts opérationnels réduits.

Cependant, l’évolution récente du cadre juridique a introduit la Société par actions simplifiée (SAS), offrant ainsi de nouvelles options et perspectives innovantes. Cet article examine en détail les avantages et spécificités de la SARL et de la SAS, mettant en évidence les différences significatives susceptibles d’influencer les choix des entrepreneurs.

La SARL est particulièrement appréciée pour sa souplesse opérationnelle. Son fonctionnement, nécessitant uniquement un gérant, élimine l’obligation de constituer un conseil d’administration. Associée à l’absence de nécessité de nommer un commissaire aux comptes, la SARL devient une option économique. Sa constitution peut se faire avec une seule personne physique ou morale, offrant ainsi une flexibilité considérable dans la structure d’actionnariat, sans obligation de capital social minimum. La loi n° 19-20, complétant et modifiant la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, a récemment introduit la SAS dans le paysage juridique marocain, élargissant ainsi le panel de structures disponibles pour les PME.

Les articles pertinents à la SAS se trouvent désormais aux articles 43-1 et suivants de la même loi. Les associés d’une SAS limitent leur responsabilité aux apports, assurant une protection renforcée. La SAS se démarque par sa gouvernance flexible, laissant aux associés la possibilité de définir les règles de fonctionnement. Cette flexibilité autorise la personnalisation de la gouvernance et la séparation du pouvoir du capital, offrant une adaptabilité rarement observée dans d’autres structures.

Représentation légale dans les Sociétés à responsabilité limitée et les Sociétés par actions simplifiées
En ce qui concerne la SARL, elle est administrée par une ou plusieurs personnes physiques, généralement désignées en tant que gérant(s), investi(s) de pouvoirs étendus pour agir au nom de la société. En cas de cogérance, chaque cogérant dispose des mêmes pouvoirs.

Toutefois, il est recommandé d’insérer des précisions dans les statuts pour définir si une seule signature suffit pour engager la société ou si une cosignature est requise. Quant à la SAS, sa direction est assurée par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, et elle est représentée à l’égard des tiers par un président, dont les pouvoirs sont très étendus, «dans la limite de son objet social». Les clauses statutaires limitant les pouvoirs du président ne sont pas opposables aux tiers. Une SAS ne peut avoir qu’un seul président, excluant la coprésidence. Néanmoins, des stratégies existent pour contourner cette règle, telles que la nomination d’une SARL avec deux cogérants comme présidente de la SAS, ou l’instauration d’une présidence tournante. La SAS peut comporter, en plus du président, d’autres dirigeants statutaires dont le régime juridique applicable est prévu par les statuts. Par exemple, il est possible de prévoir un dirigeant ayant la qualité de «directeur général».

Ce dernier exercera son mandat dans les conditions définies dans les statuts. Il est crucial de noter que le président et les dirigeants statutaires de la SAS peuvent être des personnes morales, une option non prévue pour le gérant de SARL. Un exemple concret illustrant la flexibilité de la SAS est la possibilité d’avoir une personne morale comme présidente.

Cette approche peut être avantageuse dans le cadre de groupes de sociétés, offrant une alternative aux «management fees» pour transférer des fonds des filiales vers la société mère. Par exemple, désigner la société mère «présidente» de ses filiales constituées sous forme de SAS peut justifier une partie des montants versés par la filiale à la société mère, et ce, sans formalité particulière en cas de changement de dirigeant au niveau de la société mère.

Gestion des conventions réglementées : SARL vs. SAS
La gestion des conventions réglementées présente des nuances significatives entre la Société à responsabilité limitée et la Société par actions simplifiée, offrant une certaine flexibilité particulière à cette dernière en l’absence de commissaire aux comptes.

Dans le contexte d’une SARL, les conventions conclues avec les gérants ou associés requièrent un rapport remis par le gérant ou le commissaire aux comptes, présenté ensuite aux associés. Ce processus vise à assurer une transparence dans les accords internes à la société. En revanche, la SAS adopte une approche différente. Les conventions avec le président ou les dirigeants font l’objet d’un rapport présenté par le commissaire aux comptes. Notablement, en l’absence de commissaire aux comptes, il n’y a pas d’obligation de présenter ce rapport aux associés. Il est important de souligner que la législation spécifie que les conventions réglementées s’appliquent exclusivement aux accords conclus avec le président ou les dirigeants, créant ainsi une lacune juridique concernant les conventions avec les associés.

Cette lacune souligne la nécessité pour les SAS de formuler des dispositions claires dans leurs statuts pour encadrer et définir les modalités des conventions avec les associés. La rédaction minutieuse des statuts devient donc un élément clé pour combler le vide législatif existant, assurant ainsi une gouvernance transparente, équitable et bien définie au sein de la SAS. Dans le cadre de cette gestion des conventions réglementées, la SAS offre une flexibilité aux entreprises, mais elle exige également une responsabilité accrue dans la rédaction des statuts pour garantir la conformité et la clarté dans les pratiques internes.

Parts sociales dans les SARL et SAS
La nature des parts sociales au sein d’une entreprise joue un rôle crucial dans la définition de sa structure capitalistique. Les Sociétés à responsabilité limitée et les Sociétés par actions simplifiées sont régies par des dispositions légales distinctes en ce qui concerne les parts sociales, influençant ainsi les choix des entrepreneurs.

Cette analyse met en lumière les différences significatives entre les SARL et les SAS dans la gestion des parts sociales. En SARL, les articles 54 et 55 de la Loi 5-96 établissent clairement que les parts sociales ne peuvent pas être représentées par des titres négociables, et il est interdit à une SARL d’émettre des valeurs mobilières. Cette approche traditionnelle souligne la stabilité et la confidentialité des relations au sein de la SARL.

À l’inverse, la SAS adopte une approche plus flexible. La cession des actions de la SAS est libre par défaut, sauf indication contraire dans les statuts. Contrairement à la SARL, aucune procédure d’agrément légale n’est prévue par la Loi 5-96 pour la SAS. La liberté contractuelle régit la SAS, permettant d’insérer des restrictions à la libre cessibilité des actions dans les statuts. Ainsi, la nature des parts sociales reflète la philosophie respective de la SARL et de la SAS en matière de structure capitalistique. La SARL privilégie la stabilité et la confidentialité, tandis que la SAS opte pour une approche flexible, mettant en avant la liberté contractuelle des associés.

Émission de valeurs mobilières dans le cadre de la SAS
La SAS offre une latitude significative en matière d’émission de valeurs mobilières composées, constituant un levier essentiel dans la structuration d’opérations complexes telles que les investissements en capital. Ces valeurs mobilières diverses ouvrent des perspectives stratégiques et financières pour les entreprises, offrant une souplesse exempte des formalités contraignantes généralement associées aux sociétés anonymes (SA).

Objectifs stratégiques des valeurs mobilières composées
L’utilisation de ces instruments dans des opérations de capital-investissement vise à atteindre trois objectifs principaux :
• Renforcer la confiance des dirigeants : En octroyant des titres tels que les BSA aux dirigeants, la SAS encourage la confiance en offrant un accès direct au capital de l’entreprise.
• Diversification des options de financement : L’émission de valeurs mobilières composées permet aux investisseurs de diversifier les sources de financement, combinant des éléments de dette et d’équité pour gérer les risques.
• Protection des Investissements : Les OCA et les mécanismes de rachat offrent des mécanismes de protection, permettant de relier la participation au capital dans des circonstances déterminées, protégeant ainsi les investissements principaux en equity.
La flexibilité dans l’émission des valeurs mobilières constitue un atout majeur pour les SAS, contribuant à la mise en place de structures financières innovantes et adaptées aux besoins spécifiques des entreprises et des investisseurs.

Flexibilité décisionnelle :
Avantages de la SAS et contraintes de la SARL dans l’augmentation du capital social
Dans le cadre d’une SAS, les associés bénéficient d’une latitude significative pour organiser leur prise de décision, précisée par les statuts. Ces derniers doivent aborder des éléments clés tels que le mode de prise de décision des associés, les modalités de convocation aux assemblées générales, la majorité requise, l’éventuel quorum, et la distinction des compétences entre les associés et le président. La Loi 5-96 ne contraint pas la manière dont certaines décisions, y compris l’augmentation du capital, doivent être prises, laissant une grande souplesse aux associés pour déterminer les procédures qui leur conviennent. Le contraste entre la flexibilité de la SAS et les contraintes formelles de la SARL dans le processus d’augmentation du capital social met en lumière la capacité d’adaptation et la rapidité de prise de décision offertes par la première, tandis que la seconde suit des procédures plus rigides. Les entrepreneurs doivent être conscients de ces différences lorsqu’ils choisissent la structure juridique qui convient le mieux à leurs besoins spécifiques de gestion du capital social.

Agrément de cession des parts/actions
Dans le cadre d’une SAS, les actions sont généralement librement cessibles, sans qu’une procédure d’agrément légale soit prévue par la Loi 5-96. Cependant, la liberté contractuelle inhérente à la SAS permet d’introduire des restrictions dans les statuts, telles que l’inaliénabilité des actions pour une durée maximale de dix ans ou une procédure d’autorisation préalable pour toute cession. Les statuts devront définir clairement le terme «cession» et préciser l’organe chargé d’agréer les cessions, ainsi que la procédure en cas de refus d’agrément. Contrairement à d’autres formes juridiques, l’agrément peut même être requis entre associés, introduisant ainsi une dimension d’intuitu personae au sein de la SAS. La SARL requiert un agrément des associés pour toute cession de parts à des tiers.

Ce processus implique une notification à la société et aux associés, avec un droit de revendication dans un délai de trente jours en cas de refus d’agrément. «Les parts sociales ne peuvent être cédées à des tiers qu’avec le consentement de la majorité des associés, représentant au moins les trois quarts des parts sociales. Lorsque la société comporte plus d’un associé, le projet de cession est notifié à la société et à chacun des associés, soit dans les conditions énumérées dans les articles 37,38 et 39 du code de procédure civile, ou par lettre recommandée avec accusé de réception. Si la société n’a pas fait connaître son droit de revendication dans le délai de trente jours à compter de la dernière des notifications prévues au présent alinéa, le consentement à la cession est réputé acquis. Si la société a refusé de consentir à la cession, les associés sont tenus dans le délai de trente jours, à compter de ce refus, d’acquérir ou de faire acquérir les parts à un prix fixé comme il est dit à l’article 14. Toute clause contraire est réputée non écrite.

A la demande du gérant, ce délai peut être prolongé une seule fois par ordonnance du président du tribunal, statuant en référé, sans que cette prolongation puisse excéder trois mois». La SARL impose des formalités spécifiques d’enregistrement au greffe du tribunal de commerce compétent et de publicité légale (Bulletin officiel et journal d’annonces légales).

Délégation de pouvoir en cas d’associé unique
Dans une SAS, le président peut déléguer le pouvoir d’effectuer des actes déterminés, sous réserve des dispositions statutaires. Cette délégation n’est pas soumise à des conditions de forme spécifiques imposées par la loi. En revanche, dans une SARL avec un associé unique, le gérant, en tant que seul associé, assume l’entière responsabilité de la gestion de l’entreprise. Le patrimoine personnel est distinct du patrimoine de l’entreprise, garantissant une séparation claire. L’associé unique d’une SARL ne peut pas déléguer ses pouvoirs de gestion, ce qui peut poser des défis, notamment lorsque l’associé est basé à l’étranger, limitant sa capacité à donner des procurations.

La SAS comme outil stratégique de filialisation
La Société par actions simplifiée se profile comme un choix stratégique privilégié pour la filialisation, offrant une structure souple qui répond efficacement aux besoins des entreprises désirant créer et détenir des filiales. Particulièrement avantageuse lors de la création d’une entreprise en greenfield, la SAS permet une personnalisation approfondie des statuts pour une adaptation précise à la politique du groupe.

Personnalisation des statuts pour la politique du groupe
• La SAS se distingue par sa capacité à permettre une personnalisation poussée des statuts, fournissant ainsi un cadre idéal pour intégrer les règles spécifiques liées à la politique du groupe. Cette approche proactive autorise la société mère à définir des paramètres clés pour la gestion de sa filiale. Parmi les éléments intégrables dans les statuts, citons :

• Clauses limitatives de pouvoir pour le président : La SAS offre la possibilité d’introduire des clauses limitant les pouvoirs du président, définissant ainsi clairement l’étendue de ses actions et préservant la cohérence avec la stratégie globale du groupe.

• Procédures spécifiques pour l’approbation de décisions : La personnalisation des statuts permet d’établir des procédures spécifiques pour l’approbation de décisions importantes, assurant une gouvernance conforme aux orientations stratégiques du groupe.

• Existence de comités thématiques spécifiques : Les statuts peuvent prévoir la création de comités thématiques dédiés à des domaines cruciaux tels que la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), la conformité, les investissements, renforçant ainsi la gestion spécialisée des enjeux propres à la filiale. La SAS, en tant qu’outil de filialisation, permet une adaptation précise de la structure organisationnelle, facilitant la mise en place de mécanismes de gouvernance en phase avec les objectifs et les valeurs du groupe.

Cette flexibilité statutaire renforce la capacité du groupe à exercer un contrôle stratégique sur ses filiales tout en offrant une certaine autonomie opérationnelle.

Joint-venture avec une SAS : Gouvernance structurée et avantages
Dans le contexte d’une joint-venture, les associés d’une SAS peuvent établir une gouvernance structurée autour d’organes collégiaux tels que des comités d’audit, des comités stratégiques ou financiers. Ces comités, en plus de mettre en place des contre-pouvoirs internes, offrent plusieurs avantages :
– Flexibilité statutaire : Les statuts organisant leur fonctionnement librement, les procédures peuvent être extrêmement flexibles.
– Gestion simplifiée de l’actionnariat :
Les membres des comités statutaires ne sont pas tenus de détenir des titres de l’entreprise, simplifiant ainsi la gestion de l’actionnariat. -Sécurisation de la gouvernance : La présence de comités chargés de contrôler le représentant légal permet de sécuriser la gouvernance de la société, offrant une protection accrue pour l’associé étranger sans nécessité de détenir un mandat social dans la société. En somme, la SAS émerge comme un choix stratégique polyvalent, adapté à la filialisation et à la mise en place de partenariats structurés tels que les joint-ventures, offrant une combinaison unique de flexibilité et de contrôle.

SARL vs SAS au Maroc : Un Choix crucial pour les entrepreneurs
La décision de choisir entre une Société à responsabilité limitée et une Société par actions simplifiée au Maroc revêt une importance stratégique, surtout pour les PME. Historiquement, la SARL a dominé le paysage en raison de sa simplicité et de ses coûts opérationnels modérés.

Cependant, l’émergence récente de la SAS a ouvert de nouvelles perspectives, offrant une alternative novatrice pour les entrepreneurs. L’étude comparative met en évidence des disparités significatives entre la SARL et la SAS, allant de leur fonctionnement à la gestion des conventions réglementées, en passant par la nature des parts sociales et l’émission de valeurs mobilières. La SARL, avec son orientation vers la stabilité et la confidentialité, se profile comme une structure classique, tandis que la SAS, caractérisée par sa gouvernance souple et sa liberté contractuelle, se distingue par son adaptabilité exceptionnelle.

La SAS s’impose également comme un outil stratégique pour la filialisation, permettant une personnalisation approfondie des statuts pour intégrer la politique du groupe. La flexibilité statutaire inhérente à la SAS facilite la mise en place de mécanismes de gouvernance alignés sur les objectifs et les valeurs du groupe, tout en préservant une certaine autonomie opérationnelle.

En ce qui concerne l’augmentation du capital social, la SAS offre une liberté étendue aux associés, contrastant avec les règles plus rigides de la SARL. Cette liberté statutaire représente un avantage significatif, favorisant des prises de décision rapides et moins formalistes. En conclusion, le choix entre SARL et SAS dépend des besoins spécifiques de chaque entreprise. La SARL demeure une option stable et économique, tandis que la SAS offre une flexibilité et une adaptabilité considérables. Les entrepreneurs doivent mener une réflexion approfondie sur les avantages et les spécificités de chaque structure juridique pour prendre une décision éclairée alignée sur leurs ambitions commerciales.

(*) Westfield Morocco est une société de conseil juridique et fiscal implantée à Casablanca et Rabat spécialisée dans l’accompagnement des sociétés marocaines désirant accroître leur présence à l’international, restructurer leurs activités pour atteindre une taille critique, ou ayant des projets de croissance interne (création de filiales, sociétés communes) ou externe (acquisitions, fusions). Elle est le représentant au Maroc du groupe d’avocats américains basés à Chicago, Alfa International.



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