Emploi agricole : inquiétante fuite de la main-d’œuvre
Le secteur de l’agriculture, forêt et pêche a subi une perte de 247.000 postes rien que pour le premier trimestre 2023. Une hémorragie qui risque d’accentuer les phénomènes de l’exode rural.
Les moissons de la campagne agricole ont débuté dans certaines régions avec des rendements très prometteurs. Mais ces bons résultats cachent mal en réalité le ralentissement tendanciel de la croissance et de la productivité de l’économie nationale, marqué par des pertes importantes notamment dans le secteur. Si par secteur, les BTP ont connu une création de 28.000 postes et autant dans les activités industrielles, le secteur de l’agriculture, forêt et pêche a subi une perte de 247.000 postes rien que pour le premier trimestre de 2023.
Or, le secteur de l’agriculture joue un rôle important dans la détermination de la croissance et de l’emploi et contribue à hauteur de 12% à la valeur ajoutée totale tout en employant 39,7% de l’emploi total. Une hémorragie qui risque de s’aggraver quand on sait que l’emploi dans ce secteur, qui ne s’améliore et ne se modernise que très faiblement, reste peu rémunéré et peu qualifié et majoritairement informel en représentant d’ailleurs 97% de l’emploi dans ce secteur, selon les récentes estimations du CSE. D’autres chiffres sont plus inquiétants.
Emigration, exode rural…
«L’évolution de l’emploi dans le secteur de l’agriculture caractérisée par la réduction continue du nombre de personnes employées est devenue de plus en plus récurrente sur fond de conditions climatiques difficiles que connaît notre pays. La libération de ce surplus de main-d’œuvre a été traduite par une prolifération du secteur des services qui représente 41,3% de l’emploi total, et qui reste, en dehors de certaines activités modernes, dominé par les petits métiers dans le commerce et l’artisanat», a indiqué, mardi à Rabat, le Haut-Commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi Alami, à l’occasion de la présentation des travaux de la rencontre sur le Compte Satellite de l’Emploi.
Aujourd’hui, la question que tout le monde se pose est de savoir où vont atterrir ces jeunes qui quittent le secteur de l’agriculture. Les spécialistes redoutent un accru massif du phénomène de l’exode rural déjà très complexe, d’autant plus que la rémunération moyenne par salarié dans l’agriculture est inférieure de 60% à celle de l’industrie et de 73% à celle des services. Les chiffres du HCP sont alarmants. On estime l’effectif total des personnes ayant migré des zones rurales pour s’installer dans les villes entre 2009 et 2014 à 760.000 personnes, soit un flux moyen de 152.000 migrants par an. L’autre alternative qui s’offre aux jeunes qui ne trouvent plus leur compte dans les activités agricoles, c’est l’émigration.
Diminution de la main-d’œuvre agricole
Dans l’un comme dans l’autre cas, redoutent les experts, l’impact sur l’agriculture sera sans doute important. Selon eux, il faut s’attendre à une diminution de la main-d’œuvre agricole et au vieillissement de la population agricole.
Pire encore, la migration des populations rurales vers les zones urbaines réduit la disponibilité de travailleurs agricoles, ce qui entraîne une baisse de la productivité et de la rentabilité des exploitations. Il faut par ailleurs s’attendre à un surpeuplement des grandes villes avec tout ce qui va avec, notamment la prédominance du travail informel, entraînant d’importantes disparités en termes de durée de travail, de rémunération et de productivité.
Notons que les employés informels travaillent en moyenne annuelle 145 heures de plus que leurs homologues formels, tout en recevant une rémunération moyenne cinq fois inférieure. Il est donc urgent de repenser le secteur agricole en mettant en place des mesures pour soutenir l’agriculture dans les zones rurales.
Si l’investissement public a connu une augmentation importante entre 2008 et 2019, cumulant 47 milliards de dirhams, le gouvernement multiplie les mesures incitatives et promeut les investissements publics pour l’agriculture. Rien que pour l’année en cours, l’exécutif prévoit d’injecter au total 4,2 milliards de dirhams (MMDH) dans le Fonds de développement agricole, et 1,8 MMDH pour promouvoir et diversifier les projets agricoles solidaires tandis que 5 MMDH ont été dédiés aux programmes d’irrigation et d’aménagement de l’espace agricole. Mais le pays fait face à un manque d’eau sans précédent.
Khadim Mbaye / Les Inspirations ÉCO