Balance courante : un grand merci aux MRE !
Sans les 93 milliards de dirhams que les Marocains résidant à l’étranger vont envoyer cette année, les comptes extérieurs du Royaume se seraient retrouvés en grande difficulté, tout comme le dirham. Merci qui ?
Il est loin, très loin, le début des années quatre-vingt (les plus anciens s’en souviendront) lorsque la dotation touristique était fixée à l’équivalent de 50 euros (oui, cinquante euros) pour les personnes physiques ! C’était l’époque où les réserves de change couvraient difficilement 3 mois d’importations des biens et services, et le marché noir du change servait de repère à la parité du dirham, y compris pour les opérateurs économiques. Quarante-deux ans après, toute personne désirant voyager à l’étranger peut mobiliser jusqu’à 200.000 dirhams dans la limite de l’impôt sur le revenu (IR) qu’il supporte ou 45.000 dirhams, au minimum.
Ce «miracle», le Maroc le doit aussi aux transferts de fonds de sa diaspora qui permettent de contenir le déficit de la balance des opérations courantes et indirectement, d’assurer la stabilité du dirham en alimentant les réserves en devises du pays.
À fin août 2022, les transferts des MRE, selon la nomenclature officielle, ou Marocains du monde, selon le jargon marketing des banques, s’élevaient à 71,42 MMDH. D’ici la fin de l’année, ils devraient atteindre 93 milliards, selon les projections de la Banque centrale. De quoi financer la facture des importations des produits énergétiques attendue à 125 MMDH cette année. Avec le temps, ces flux financiers pèsent très lourd dans les bilans des banques. Les comptes des MRE abritent 40% des dépôts bancaires, ce qui souligne leur caractère stratégique et explique la compétition à laquelle de livrent les banques.
En 1980, ce que l’on appelait encore les TME (Travailleurs marocains à l’étranger) avaient envoyé 4,15 MMDH au Maroc dont l’essentiel sous forme d’aide familiale. En quatre décennies, ces transferts ont été multipliés par plus de 22 ! Bien sûr que le poids démographique n’est pas le même, mais c’est la trajectoire de la croissance de ces revenus qui est impressionnante. Par palier décennal, le bond le plus spectaculaire est intervenu entre 2000 et 2010.
En l’espace de dix ans, les transferts des MRE sont passés de 22,96 à 54,35 MMH avec, pour la première fois en 2007, le franchissement du seuil symbolique de 50 MMDH. Cette progression, de plus du double, coïncide également avec la décennie folle de l’immobilier et l’âge d’or des sociétés de transfert rapide d’argent sur le marché marocain. Avec la Turquie et la Chine, le Maroc est l’un des marchés stratégiques des opérateurs de transfert instantané d’argent.
Aux guichets de Western Union, Money Gram et autre Ria en Europe, la destination marocaine se positionne en très bonne position dans les radars, et fait l’objet de promotions régulières sur les frais d’envoi. L’investissement dans la pierre, soutenu par des valorisations toutes aussi folles à l’époque, était alimenté par un énorme mouvement de spéculation lorsque les ventes sur plan explosaient et que les banques prêtaient jusqu’à 100% du prix d’acquisition du bien.
Cette fièvre se calmera quelques années plus tard après que certains promoteurs immobiliers et clients y aient laissé des plumes. Ce retournement va toucher de plein fouet les banques dont l’immobilier représente 1/3, voire 40% des engagements au bilan au point d’inquiéter la Banque centrale qui leur imposera une réglementation sur les dations en 2021 et des mesures de précaution afin de rester dans le clou des règles prudentielles de Bâle II. Par origine, la France, l’Espagne et l’Italie, trois foyers historiques de la diaspora marocaine, loin devant le Canada et les États-Unis, forment le trio de tête de provenance des transferts de fonds des MRE.
À noter la montée en puissance des pays du Golfe depuis cinq ans. Il y a huit ans (en 2014), le Gabon était 21e pourvoyeur de transferts des MRE devant la Suède et le Danemark. La Côte d’Ivoire, qui abrite une importante communauté marocaine, pointait au 24e rang tandis que le Congo-Brazzaville figurait dans le top 20 à la dix-neuvième position avec 249 MDH (source Office des changes). C’est une des surprises de la mondialisation des MRE.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO