Importations alimentaires : jusqu’où tiendra la réduction de la TVA?
A défaut d’une exonération de taxes sur les importations d’aliments pour leur cheptel, les éleveurs de bétail et animaux de basse-cour accueillent d’un bon œil la réduction de la TVA à l’import des prémélanges. La décision tombe à pic, notamment dans un contexte où le bétail manque de fourrage !
Face aux coûts de plus en plus élevés des importations d’aliments pour bétail et animaux de basse-cour, le gouvernement sort la carte de la réduction de la TVA appliquée aux importations. Les éleveurs de bétails et animaux de basse-cour peuvent se réjouir du fait que les prémélanges (prémix) soient désormais éligibles au taux réduit de 10%, au titre de la TVA à l’importation conformément à l’article 121-2° du Code général des impôts. La mesure vient de faire l’objet d’une circulaire de la douane (n°6335/211 du 10 juin 2022).
Contacté par Les Inspirations ÉCO, Dr Abderrahman Benlekhal, directeur de la Fédération des éleveurs producteurs laitiers (FEMAPROL), réagit : «C’est une mesure classique, normalement en pareille circonstance. Lorsque les prix augmentent, on diminue les taxes. C’est une décision importante pour atténuer la hausse des coûts», explique-t-il. De quoi s’agit-il ? Les premix sont des produits que les éleveurs incorporent dans l’alimentation animale, en particulier de la vache laitière et de la volaille.
En effet, pour ce qui est des vaches laitières, leur alimentation est composée de trois type de produits : le fourrage vert, le fourrage sec (foin, paille…), les aliments concentrés ou composés fabriqués par des industriels et constitués de matières premières comme le maïs, les tourteaux de tournesol, l’orge… En plus de ces éléments, qui constituent la base de l’alimentation du bétail et des animaux de basse-cour, s’ajoutent les prémélanges qui constituent un apport important en sels minéraux et vitamines pour ces animaux. La décision tombe à pic, notamment dans un contexte où le bétail manque de fourrage !
Manque de fourrage dû à la sécheresse
Importés à hauteur de 197,746 MDH à fin 2021, la France, l’Allemagne, l’Espagne et les États-Unis sont nos plus gros fournisseurs de prémélanges (prémix) destinés à l’alimentation du bétail et des animaux de basse-cour. En 2021, la France à elle-seule représentait 31% de nos importations, suivie de l’Allemagne (16%), de l’Espagne (13%) et des États-Unis (12%). Ces quatre pays contribuent à hauteur de 72% aux importations marocaines. Pour faire face à la hausse des prix de leurs intrants alimentaires, les éleveurs producteurs laitiers affirment avoir demandé plusieurs exonérations sur les importations d’aliments pour leur cheptel.
Mais, à défaut d’une exonération de taxes, une réduction de la TVA à l’import sera la bienvenue. «Les éleveurs producteurs laitiers ont toujours réclamé à ce qu’ils aient une exonération de TVA sur les matières premières entrant dans l’alimentation animale étant donné qu’il s’agit, d’une part, d’un domaine très sensible et que, d’autre part, l’alimentation de ces animaux varie énormément avec les conditions climatiques. Par exemple, cette année, nous allons avoir un problème de manque de fourrage du fait de la sécheresse», explique notre source.
Si l’on combine le manque de fourrage à la hausse des prix de produits comme le maïs, l’orge, il va sans dire que les éleveurs auront une équation difficile à résoudre.
Contexte marqué par un bond en avant de l’indice FAO des prix alimentaires de référence
Selon la FAO, les prix des denrées alimentaires ont commencé à augmenter fortement il y a près de deux ans, avec pour point culminant un bond en avant de l’indice FAO des prix alimentaires de référence, qui a atteint un sommet historique en mars 2022. Cet indice n’a pas connu de baisse significative depuis lors et reste 22,8% plus élevé qu’en mai 2021. Les principaux facteurs à l’origine de la trajectoire ascendante des prix alimentaires sont, notamment, une demande robuste soutenue par la reprise rapide et forte après les contractions économiques liées au Covid.
Parallèlement à la croissance de la demande, la progression des prix des engrais et des carburants a alourdi le coût de production des denrées alimentaires et contribué à l’augmentation des prix. La hausse des coûts se manifeste sur les marchés internationaux par des obstacles logistiques et des coûts de transport plus élevés. Ensemble, les contraintes d’approvisionnement et la demande robuste ont catapulté les prix des denrées alimentaires vers des sommets sans précédent en mars 2022.
La guerre en Ukraine n’a fait qu’exacerber la situation ces derniers mois. D’autant plus que les deux pays sont d’importants producteurs et exportateurs de blé et autres produits de base, ce qui laisse planer le doute sur la capacité des marchés internationaux à fournir suffisamment de nourriture pour répondre aux besoins d’importation d’une population mondiale qui atteint rapidement les 8 milliards d’habitants.
Des perspectives inquiétantes, selon le FAO
Selon un nouveau rapport publié le 9 juin dernier par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la facture des importations alimentaires dans le monde pourrait bien cette année atteindre la somme record de 1.800 milliards de dollars, mais cette hausse attendue s’explique en premier lieu par l’envolée des prix et des frais de transport plutôt que par l’augmentation des volumes.
«Le constat a de quoi inquiéter: bon nombre de pays vulnérables dépensent davantage sans toutefois recevoir plus de nourriture», indique la FAO dans la dernière édition de «Perspectives de l’alimentation». Les dépenses mondiales d’importations alimentaires devraient enregistrer une hausse de 51 milliards de dollars par rapport à 2021, dont 49 milliards du seul fait de la progression des prix.
D’après les prévisions, les pays les moins avancés (PMA) subiront cette année une contraction de 5% de leur facture d’importations alimentaires, tandis que l’Afrique subsaharienne et le groupe des pays en développement importateurs nets de produits alimentaires verront le total grimper en dépit d’un recul des volumes importés.
«Ce sont des signes alarmants du point de vue de la sécurité alimentaire, car ils indiquent que les importateurs ont du mal à financer ces coûts internationaux toujours plus élevés, ce qui annonce peut-être la fin de leur résilience face à la hausse des prix», souligne le rapport.
«Compte tenu de la flambée des prix des intrants, des inquiétudes à l’égard de la météo et de l’instabilité croissante des marchés due à la guerre en Ukraine, les dernières prévisions de la FAO vont dans le sens d’un resserrement des marchés alimentaires et de montants inédits pour les factures d’importations d’aliments», a indiqué Upali Galketi Aratchilage, économiste de la FAO en charge de la coordination de l’édition du rapport.
Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO