Le Maroc, un champion post-covid en devenir
La crise de la covid-19 a, certes, ébranlé le Maroc, à bien des égards. Cependant, maintes opportunités, nées de la pandémie, s’offrent au royaume qui semble avoir toutes les cartes en main pour passer du statut de «champion de la résilience» à celui de nouvelle puissance économique régionale.
Le cabinet de conseil Deloitte rappelle, dans un rapport publié récemment, ce que le FMI et la BM ont déjà affirmé, à propos du Maroc, à savoir qu’il se pose désormais en «champion reconnu de la résilience». Toutefois, le document de 47 pages ne constitue pas qu’une simple compilation de rappels. On y apprend beaucoup sur l’«offre Maroc», dans la nouvelle donne mondiale post-Covid. En effet, si dans un contexte de crise mondiale causée par la Covid-19, le royaume a démontré une réactivité remarquable, aussi bien sur le plan sanitaire que sur les plans économique et financier, il lui reste un autre défi à relever, celui de réussir le pari d’un nouveau départ, après deux ans de Covid-19, en passant de la résilience à l’émergence. Il faut dire que le pays dispose de tous les arguments pour relever ce challenge.
En effet, comme le souligne le rapport, la crise sanitaire a mis en évidence les vulnérabilités liées au caractère asymétrique de certaines chaînes de production, et la dépendance excessive de l’économie mondiale vis-à-vis de capacités de production concentrées dans un nombre réduit de pays, notamment concernant certaines matières premières telles que les terres rares, ou produits intermédiaires, comme les principes actifs pharmaceutiques, ainsi que vis à vis de certains composants et produits manufacturés, tels que micro-processeurs, batteries électriques et consommables médicaux.
Cette réalité a fait émerger une nouvelle prise de conscience. C’est ainsi que le concept d’«autonomie stratégique», développé par l’UE face à ses deux rivaux systémiques que sont les États-Unis et la Chine, plaide pour une plus grande maîtrise des chaînes d’approvisionnement et une réduction de la dépendance vis-à-vis des pays extracommunautaires. Une aubaine pour le Maroc, en termes d’accroissement et diversification de la demande, d’intégration des filières de production et de développement de capacités d’innovation, notamment dans les secteurs de l’énergie renouvelable et de l’industrie 4.0, et ce, n’en déplaise aux discours nationalistes. «Il ne saurait obéir uniquement à des pressions politiques conjoncturelles, dictées par la situation sanitaire ou les rivalités géopolitiques. Il est donc plus probable que ce phénomène de proxi-localisation/re-régionalisation de l’économie mondiale, s’il devait se poursuivre, s’étalera sur plusieurs années, et concernera les différentes industries, de manière différenciée, en fonction de plusieurs critères de décision», ont souligné les rédacteurs de ce rapport avant d’ajouter, qu’au-delà des considérations sur les coûts de production, la justification principale des décisions d’investissement, réalisées par les firmes multinationales, demeure l’accès aux marchés.
Le Maroc, sur les pas de la Chine
De plus, dans ce contexte, le positionnement du Maroc en tant que hub régional, à la croisée de trois grands continents (Europe, Afrique, Amériques), adossé à des infrastructures «world class» et à un capital humain en pleine progression, constitue un atout majeur qu’il importe de valoriser. De toutes façons, les schémas de partage de la production et d’organisation industrielle, à l’échelle internationale, ont été construits sur des décennies, à travers des investissements significatifs réalisés par des multinationales qui dominent le commerce mondial. Mieux, dans certains secteurs à forte intensité capitalistique, comme l’aéronautique ou l’automobile, le coût d’une relocalisation ou d’une proxi-localisation est prohibitif. Outre ces deux domaines, le textile et les composants électroniques apparaissent comme des domaines susceptibles de profiter au mieux de cette aubaine, née de la crise. Le Maroc pourrait profiter, en effet, du rapatriement dans un espace Euro-Méditerranéen d’une partie des productions de ces secteurs, actuellement réalisées en Asie.
Ce mouvement pourrait d’ailleurs s’accompagner de flux, à destination du Maroc, d’IDE asiatiques soucieux de conserver leurs clients européens, selon le cabinet. Et s’il y a un pays qui pourrait inspirer le Maroc, c’est bien la Chine qui a changé de statut au lendemain de la crise financière de 2008 ayant coïncidé avec la fin d’une époque où l’actuelle deuxième puissance économique mondiale était devenue l’«usine du monde», drainant une part significative des matières premières et des produits intermédiaires échangés au niveau mondial et réexportés, ensuite, sous forme de produits manufacturés, vers le reste du monde. Aujourd’hui, ce grand pays asiatique est passé, en l’espace d’un demi-siècle, d’un «géant aux pieds d’argile» à une «puissance émergente», à partir des années 1990, puis à une «superpuissance», contestant aux Etats-Unis leur leadership mondial. Même si elle continue de produire et d’exporter à grande échelle, l’économie chinoise est désormais beaucoup moins tirée par l’export. Avec un taux de 2,3%, la Chine est l’unique pays du G20 à avoir connu un taux de croissance positif cette année. D’après la Banque mondiale, elle pourrait même devenir la première puissance économique mondiale, en détrônant les États-Unis avant 2030. Une autre aubaine pour le Maroc, le nouveau pacte vert, relatif à la neutralité carbone et l’économie circulaire.
En effet, pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, l’Union européenne a révisé à la hausse ses objectifs en matière de lutte contre le changement climatique, à travers le lancement, en décembre 2019, du Pacte vert pour l’Europe. Ces nouveaux objectifs ont été validés par les États membres, lors du Conseil européen de Décembre 2020. L’UE vise, désormais, un objectif de 55 % de réduction de ses émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030, par rapport à 1990, contre 40 % auparavant. Pour le royaume, ces objectifs ambitieux riment avec autant d’opportunités. Il faut le rappeler, le Maroc est le premier partenaire de l’UE en matière de coopération industrielle et de R&D au Sud de la Méditerranée, à travers sa participation aux grands programmes de R&D transeuropéens (Horizon Europe).
Dans le contexte post-Covid-19, il pourrait s’engager dans certaines alliances industrielles européennes, notamment dans l’hydrogène propre et les batteries électriques. Selon les spécialistes, l’accent mis par l’Union Européenne sur l’économie circulaire et la réduction de la dépendance externe pour les matières premières critiques, pourrait susciter le développement d’une filière nearshore du recyclage, à même, par exemple, de traiter des produits manufacturés usagés en provenance d’Europe. Cette activité pourrait être financée grâce aux financements mixtes déployés par l’UE dans le cadre de sa stratégie de coopération internationale. D’ailleurs, le gouvernement marocain a déjà amorcé le tournant de l’économie circulaire par la mise en place de plans sectoriels, comme le Programme national de valorisation des déchets (PNVD), lancé par le ministère de l’Énergie, et qui vise la promotion de la gestion intégrée et durable des déchets ainsi que l’organisation de filières de recyclage.
L’«offre Maroc»
Concernant le positionnement actuel de l’«offre Maroc», l’analyse des exportations marocaines fait apparaître un contenu élevé de valeur ajoutée, d’origine étrangère, intégré à ces exportations. Le rapport de Deloitte fait ressortir que ces vingt dernières années ont vu l’émergence des filières automobile et aéronautique, et le développement accéléré des industries mécanique, électrique et électronique. Les exportations correspondantes se sont cumulées à celles des produits traditionnellement exportés par le Maroc, tels les phosphates et dérivés, les produits agro-alimentaires et le textile et habillement. Quand aux exportations d’équipements de transport, incluant les automobiles et les aéronefs, elles ont aussi réalisé une percée «spectaculaire», passant de moins 100 M USD, au début des années 2000, à près de 4,5 MM USD, à la fin des années 2010. Pour ce qui est des exportations de produits mécaniques, électriques et électroniques, elles ont quintuplé en vingt ans, dépassant les cinq MM USD, à la fin des années 2010, contre moins d’un MMP USD, au début des années 2000. A cela, il faut ajouter la montée en gamme technologique des exportations marocaines grâce à l’émergence de nouvelles filières industrielles. En effet, le Maroc a réalisé une percée au niveau régional et mondial, en accroissant, significativement, la part des produits de moyenne et haute technologie dans les exportations totales de produits manufacturés. À l’aune de cet indicateur, indique la firme multinationale britannique dans son rapport, le Maroc a atteint le niveau de la Chine, et dépassé des concurrents régionaux tels que l’Egypte, la Turquie et la Tunisie. Néanmoins, l’essentiel de ce gain en «intensité technologique» a été réalisé dans la catégorie des produits de moyenne technologie, à travers la forte croissance des exportations automobiles. Ainsi, la liste des opportunités offertes au Maroc est longue. Alors qu’il s’apprête à amorcer une nouvelle phase de son processus d’émergence économique, le défi pour le royaume, nouveau carrefour financier continental, consiste, désormais, à accroître la part de produits de haute technologie dans ses exportations manufacturières. Il reste, maintenant, au royaume à adjoindre aux chantiers déjà ouverts ceux, critiques, de la réforme de la justice et l’éducation, afin de pouvoir transformer l’essai, et passer du statut de «champion de la résilience» à celui de nouvelle puissance économique régionale.
Khadim Mbaye / Les Inspirations ÉCO