Usages licites du cannabis : une mise en œuvre immédiate ?
Le ministre de l’Intérieur entend visiblement passer à la vitesse supérieure en matière de mise en œuvre des dispositions de la loi relative aux usages licites du cannabis qui a été adoptée en deuxième lecture par les députés, mardi dernier. Il reste à créer l’Agence de régulation des activités du cannabis et à adopter les décrets d’application.
Le projet de loi 13.21 relatif aux usages licites du cannabis a franchi le cap de l’institution législative, moins de deux mois après sa première présentation aux députés par le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit. En dépit des réticences exprimées par les parlementaires du PJD, qui ont rejeté le projet au sein des deux Chambres du parlement, le texte est passé presque comme une lettre à la poste. Pourtant, les députés aspiraient à y introduire des amendements de fond. Ils se sont finalement contentés de quelques modifications. Le seul amendement phare est celui qui permet aux cultivateurs de créer des coopératives pour la transformation et l’industrialisation du cannabis à l’instar des entreprises. La mouture initiale du texte ne faisait référence qu’aux coopératives d’agriculteurs ayant pour unique activité la culture de cette plante.
On peut citer également un autre amendement relatif à l’augmentation du délai de déclaration en ce qui concerne les dégâts et la perte des cultures qui est passé de trois à sept jours. Les groupes parlementaires ont dû retirer la plupart de leurs propositions d’amendement face à la position du ministre de tutelle. Abdelouafi Laftit semble, en effet, pressé de passer à l’étape de mise en œuvre du texte. Il a tenu à souligner, encore une fois, lors de la séance plénière d’adoption finale du texte, le caractère urgent d’implémentation des nouvelles dispositions législatives, face «aux transformations rapides» que connait le marché international. Le responsable gouvernemental estime que tout retard diminue les chances du Maroc de décrocher des parts sur le marché international. Rappelons à cet égard que les résultats de l’étude de faisabilité qui ont été présentés par Laftit mettent l’accent sur des perspectives prometteuses du secteur. L’usage médical du cannabis pourrait générer un revenu annuel net qui avoisine les 110.000 dirhams par hectare, soit une amélioration d’environ 40% par rapport aux recettes actuelles.
En matière d’exportation, le Maroc lorgne le marché européen à l’horizon 2028 en raison, d’une part, des facilités d’accès et, d’autre part, des prévisions d’évolution de la consommation ainsi que du volume des importations. Deux hypothèses sont établies à cet égard. La première cible 10 % du marché du cannabis médical, soit 4,2 milliards de dollars sur un total de 42 milliards. La deuxième porte sur 15% du marché, soit 6,3 milliards de dollars et des revenus agricoles de 630 millions de dollars. La balle est désormais dans le camp du gouvernement en matière de mise en œuvre de la légalisation du cannabis. La loi entrera en vigueur dès sa publication au bulletin officiel, mais plusieurs de ses dispositions nécessitent des décrets d’application, à commencer par le texte relatif à la création de l’Agence nationale de régulation des activités du cannabis.
Cette entité, dont le siège sera basé à Rabat contrairement aux attentes des parlementaires, se chargera de l’exécution de la stratégie de l’État en matière de culture, de production, de transformation et de commercialisation du cannabis destiné aux usages médical, cosmétique et industriel. La création de cette agence nécessitera du temps car il ne s’agit pas uniquement de l’adoption du texte, mais aussi de la nomination de ses membres et de la mise en place de ses structures. Elle devra avoir des antennes au niveau régional pour assurer la proximité avec les agriculteurs. Les modalités d’octroi des autorisations par l’Agence seront fixées par un texte d’application. Cet organe devra tenir des registres relatifs à ses différentes activités (autorisations, stock du cannabis…). Les modèles de ces registres et les modalités de leur gestion seront déterminés par un texte d’application.
Par ailleurs, le gouvernement devra adopter d’autres décrets stipulés dans différents articles de la loi, dont l’article 4 du projet de loi qui dispose qu’un décret précisera les provinces qui seront autorisées à cultiver le cannabis. Rappelons à ce titre que la société civile œuvrant dans la défense des droits des cultivateurs du cannabis plaidait pour l’introduction de cette précision dans la loi pour éviter toute surprise.
Un autre texte d’application devra, en outre, fixer les modalités de déclarations devant être faites par l’agriculteur auprès de l’Agence en cas de perte de toute ou une partie de sa culture. A cela, s’ajoute un texte qui déterminera le modèle du contrat de vente entre les coopératives de cultivateurs et les entreprises et établissements de transformation et d’industrialisation de la plante ainsi que des procès de livraison et de destruction du surplus des cultures. En ce qui concerne le tétrahydrocannabinol (THC), principale molécule active du cannabis, un texte sera adopté pour fixer les seuils autorisés et prohibés. Selon l’article 17 de la loi, hormis les produits pharmaceutiques, il est interdit de produire des produits contenant un pourcentage de tétrahydrocannabinol dépassant le taux spécifié par un texte d’application.
Les vœux pieux des cultivateurs
La société civile de la région du Nord, œuvrant dans la défense des droits des cultivateurs du cannabis, aurait espéré l’introduction de plusieurs amendements de fond à la loi 13.21 relative aux usages licites du cannabis qui est jugée lacunaire telle qu’elle a été adoptée par le parlement. La plupart des requêtes des acteurs associatifs sont restées lettres mortes en dépit de leur plaidoyer auprès des groupes parlementaires.
A titre d’exemple, la loi conditionne l’octroi de l’autorisation de culture et de production du cannabis à la nécessité pour le demandeur d’être propriétaire d’une parcelle de terrain dédiée à cette fin, ou être autorisé par le propriétaire à cultiver le cannabis, ou encore d’obtenir une attestation délivrée par l’autorité administrative locale prouvant son exploitation de la terre en question. Cet article pose plusieurs problématiques, d’après la société civile.
D’une part, la plupart des cultivateurs qui ont hérité leurs terres de père en fils ne possèdent pas des certificats de propriété et, d’autre part, la relation avec l’autorité administrative locale (moqadem et cheikh) est marquée par une grande méfiance. Sur le volet des mesures répressives jugées trop sévères pour les agriculteurs, qui risquent des peines d’emprisonnement allant de trois mois à deux ans alors que les investisseurs ne sont sanctionnés que par des amendes en cas d’infraction des dispositions de la loi, aucun amendement de fond n’a été introduit.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco