Maroc

Espagne: Qui veut la « peau » de la tomate marocaine ?

Une eurodéputée espagnole a épousé la thèse de la filière agricole espagnole concernant les contingents de la tomate marocaine. Une sortie qui semble davantage motivée par la tentation de décrocher les faveurs de la Commission européenne. Décryptage.

Alors que le dossier de l’accord agricole était, cette semaine, au programme de la justice européenne, une parlementaire communautaire espagnole a saisi la Commission européenne (CE) afin que celle-ci se prononce sur “une hausse de 12% des exportations marocaines de tomates vers le marché communautaire”. La porte-parole de la commission Agriculture au sein du Parlement européen, Clara Aguilera, a adressé sa saisine par le biais d’une question dirigée à la CE, y apposant un caractère urgent et l’obligation de fournir une réponse rapide. Dans son écrit, la parlementaire européenne a estimé que ces expéditions ont provoqué une “perturbation du marché de la tomate dans l’Union européenne”. Pour cette représentante du parti socialiste espagnol au sein de l’hémicycle européen, cette situation s’explique par une offre excédentaire de la tomate marocaine qui fait pâlir de jalousie sa concurrente espagnole.

À ce propos, la députée originaire d’Andalousie a brandi des chiffres pour appuyer sa thèse: selon ses données, les importations européennes de tomate nationale devraient atteindre 500.000 tonnes durant l’actuelle campagne.

Pour la porte-parole de la commission Agriculture, à ce rythme, les expéditions marocaines devraient dépasser le contingent préférentiel, à savoir 285.000 tonnes. Or, il s’agit du quota préférentiel, tandis que le reste est soumis aux droits de douane. Toutefois, cela n’arrange pas les affaires de la filière espagnole, laquelle préfère évincer ce produit qui connaît un grand succès sur les étals européens. Pour appuyer sa thèse, Aguilera a estimé que les contingents de tomate marocaine ont atteint 39.939 tonnes à mi-février, ce qui correspondrait à une hausse de 12%. Cette députée européenne du parti au pouvoir ibérique reprend mot pour mot le discours ressassé par la filière agricole exportatrice espagnole. L’année dernière, et à cette même date, le secteur avait prédit que la production de tomate destinée au marché communautaire devrait dépasser la barre d’un demi- million de tonnes durant ledit exercice. De fait, quand il ne s’agit pas de la méthodologie de calcul des valeurs à l’exportation, jugée peu efficace pour le paiement des droits de douane, c’est la perturbation du marché avec des envois non contrôlés, que dénoncent cette puissante filière agricole ibérique.

En toile de fond…
Afin de contextualiser cette montée au créneau de Clara Aguilera, il est important de savoir que cette nouvelle “recrue” du lobby espagnol est une ex-conseillère andalouse en charge du département de l’Agriculture durant la période 2009-2012. Au cours de son mandat en tant que ministre régional de l’Agriculture dans le gouvernement régional andalou, Aguilera n’a jamais adopté le discours des exportateurs de sa terre natale. Elle ne connait que trop bien les rouages et surtout les manigances de ce lobby pour s’attirer les faveurs de l’Exécutif. Or, sa sortie, à quelques semaines seulement de celle du secrétaire général du ministre de l’Agriculture sur le même sujet, laisse entrevoir une action coordonnée et minutieusement étudiée par le Parti socialiste aux commandes. La cible n’est pas que la CE.

De fait, l’Union européenne planche en ce moment sur l’élaboration de la nouvelle politique agraire commune PAC. Il est bon de faire du bruit auprès de cette institution afin de décrocher le gros morceau de cet alléchant gâteau. Prévue pour 2023, la PAC devrait donner plus de liberté au pays membres pour définir leurs priorités en matière de politique agricole. À y voir de plus près, et si la députée socialiste européenne s’est emparée de ce dossier, c’est pour que le PAC leur soit favorable.

De plus, la CE fait preuve d’un élan de générosité sans précédent à l’adresse des agriculteurs européens. L’assouplissement des aides, pour les porter jusqu’à 100.000 euros, couplées aux aides dénommées “de minimis”, soit une aide complémentaire sans nécessité de décrocher l’autorisation de la CE, a attisé l’appétit des agriculteurs espagnols. Quoi de mieux que de crier au loup pour que la CE délie les cordons de sa généreuse bourse. Ceci, d’autant plus que l’organe exécutif européen est très peu regardant sur les conditions d’octroi de ces aides, pourvu que la sécurité alimentaire soit garantie.

D’ailleurs, le commissaire à l’Agriculture avait mis l’accent sur cette utilisation excessive des subventions gouvernementales pour venir en aide aux agriculteurs en difficulté durant cette période de crise sanitaire. Une situation, avait-il alerté, à même de porter préjudice à la concurrence loyale entre les États membres, alors qu’eux même s’abreuvent de ce puits sans fond que sont les aides européennes. Par ailleurs, l’Exécutif espagnol fait d’une pierre plusieurs coups. Ces déclarations pompeuses servent aussi à occuper la galerie afin d’éviter une grogne sociale, étant donné que la filière agricole espagnole ne cesse de menacer de battre le pavé pour faire entendre leurs voix. 

Amal Baba Ali, DNC à Séville / Les Inspirations Éco



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