Culture

Said Bey : “Le monde organise des festivals, et ici on les annule !”

Nul besoin de présenter un artiste aussi complet que Said Bey. L’acteur caméléon surprend toujours. Dans Zanka Contact, d’Ismaël El Iraki, il signait un rôle puissant qu’il a défendu à la Mostra de Venise malgré la pandémie. Rencontre avec l’acteur sur le plateau de son nouveau tournage.

Nous sommes aux Habous, en plein tournage. Pouvez-vous nous en parler ?
Je tourne un feuilleton écrit par Saida et Hafida Baadi et réalisé par Alaa Akaaboune. Malgré la pandémie, nous avons réussi à revenir sur les plateaux de tournage, même si cela est difficile, même s’il y a plein de restrictions. C’est déjà un miracle que nous puissions tourner.

Justement, qu’est-ce qui a changé dans votre façon de travailler?
Ce qui est génial, c’est que toute l’équipe artistique et technique a été testée, et tout le monde fait très attention. Nous essayons de respecter la distanciation physique au maximum, même si c’est parfois difficile, voire impossible lorsqu’on tourne. Durant certaines séquences, on est obligés de se toucher; on ne peut pas dire bonjour à sa mère sans la toucher, mais nous tentons de nous préserver un maximum.

Qui est votre personnage ?
Ce personnage est l’incarnation de la bonté dans un monde de brutes. C’est un vrai gentil qui tente toujours de faire ce qui est juste. Je ne veux pas dévoiler l’intrigue, mais au fur et à mesure des épisodes, sa bonté et sa bienveillance seront mises à rude épreuve par des difficultés, des obstacles. J’ai la chance de travailler avec Mohamed Khouyi et Saida Baadi. Ma mère dans cette série est la grande Raouia. Le casting est prometteur, plein de beaux visages, de gens magnifiques porteurs d’espoir.

Vous travaillez depuis plusieurs années et faites partie de ceux qui tournent beaucoup. Comment appréhendez-vous un tournage ?
Pour moi, le tournage, c’est beaucoup de discussions avec le réalisateur à propos d’un personnage, après l’étape de la lecture du scénario et des négociations avec la production. Je suis du genre à documenter mon personnage dans les moindres détails, son look, sa personnalité, comment il se comporte, son histoire, son passé, même si tout cela ne figure pas dans le scénario. Je l’écris pour mon personnage. Puis il y a la complicité entre l’acteur et le réalisateur, et la complicité entre les acteurs pour trouver l’énergie de continuer et de donner le meilleur de soi.

Quel est votre premier souvenir de tournage ?
La première fois que j’ai tourné, c’était devant une caméra allemande, j’étais encore étudiant à l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (ISADAC). C’était pour une série qui s’appelait Rencontre avec la Bible, en 1994. Nous étions à Ouarzazate. Nous préparions le tournage avec l’idée qu’il n’y aurait pas de son, puisque nous allions être doublés. Nous ne parlions pas allemand. Mais il fallait respecter la longueur des phrases, donner l’intention et le ton. On nous avait demandé de parler soit en arabe, soit en français pourvu que la longueur du texte soit respectée. Je ne sais pas pourquoi j’ai commencé à réciter mon texte en allemand, même si je ne parle pas un traître mot d’allemand. Je disais littéralement n’importe quoi, mais avec conviction (rires) ! Le réalisateur s’était dit impressionné, il avait apprécié mon audace et avait été satisfait des séquences. C’est mon premier souvenir de tournage…

Un tournage inoubliable ?
The Man who Sold the World, des frères Noury, parce que la préparation était difficile, le tournage aussi. J’étais aux côtés d’un grand, Fehd Benchemsi. Je n’oublierai jamais ce film!

Il arrive que l’on passe du tournage au tapis rouge, comme à Venise avec Zanka Contact. Comment l’avez-vous vécu ?
J’ai été tellement heureux d’apprendre, après les mois difficiles que nous avons vécus, que le film serait en compétition à Venise ! Jamais il ne me serait venu à l’idée que je pourrais y assister, vu le contexte. Impossibilité de sortir du territoire, de voyager. J’étais tellement sûr de ne pas m’y rendre que je n’avais même pas pris la peine de renouveler mon passeport ! (Rires). Le réalisateur ne cessait de m’encourager. Nous avons dû tout faire à la dernière minute, la paperasse, les rendez-vous, les visas, les autorisations dérogatoires de déplacement, les tests PCR pour enfin arriver à Venise. C’était un rêve, surtout en ce contexte de pandémie, de défendre un film marocain lors du plus grand festival de cinéma au monde! J’ai pu constater qu’un festival de cette envergure avait réussi à se faire, et que tout était possible. Le monde organise des festivals, et ici, on les annule ! On a fermé tous les lieux de culture. Pourquoi ? Qu’est-ce que les autres pays ont de plus que nous ? Pourquoi réussissent-ils à faire des choses et pas nous ? On a toujours dit que le Maroc maîtrisait l’organisation comme ailleurs. Et maintenant, que se passe-t-il ? Pourquoi annuler le Festival international du film de Marrakech, alors qu’il pouvait – et devait – se faire ? S’il y a un festival qui aurait pu exister et donner de l’espoir en cette période trouble, c’est bien celui-là. Si Venise n’avait pas eu lieu, Khansa Batma n’aurait pas eu le prix d’interprétation. Si on a ouvert les restaurants pour que les gens nourrissent leur ventre, on devrait ouvrir les cinémas, les théâtres pour que les gens nourrissent leur âme.

Jihane Bougrine / Les Inspirations Éco



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