Soutien social : ce que recommande le CNDH
Le Conseil national des droits de l’Homme a émis une série de recommandations pour renforcer les dispositions du projet de loi 72-18 portant sur le ciblage des bénéficiaires des programmes de soutien social. Le CNDH insiste aussi sur l’urgence de l’élaboration d’un système de ciblage ouvert sur les orientations stratégiques du nouveau modèle de développement.
Durant cette étape de gestation de la loi sur les modalités d’identification des couches sociales éligibles au concours financier de l’État, le Conseil national des droits de l’Homme émet son avis alors que la mouture finale de la loi s’apprête à quitter le circuit législatif, peu avant la fin de la session parlementaire en cours. Les observations du Conseil ont été soumises aux deux chambres du Parlement afin de mettre en relief, devant les élus, les articles de la loi qui devront s’adapter aux exigences constitutionnelles. Les remarques du Conseil s’articulent autour de douze recommandations et préconisent que «ce système soit conforme aux normes internationales des droits de l’Homme relatives aux droits économiques et sociaux et à la protection sociale en général, et avec l’impératif de garantir le droit au développement et à la protection sociale en particulier». La lecture faite de la législation projetée met également en avant «la nécessité de veiller à ce que le système de ciblage soit lié, dans le texte et l’esprit, à l’enjeu de l’édification d’un système national de protection sociale inclusif, qui réalise l’égalité, rejette la discrimination et limite les possibilités d’exclusion des bénéficiaires, qu’il s’agisse de personnes ou de catégories», selon le CNDH.
Les urgences du nouveau système
La principale recommandation relative à la pérennité du régime de protection porte sur l’urgence de l’élaboration d’un système de ciblage «ouvert sur les orientations stratégiques du nouveau modèle de développement, susceptible de s’adapter aux transformations qui pourraient concerner la politique nationale du soutien social». Le Conseil cite en premier lieu la convergence des programmes et leur nature intégrée, mais aussi la possibilité de transformer les programmes d’appui en un système intégré dans les politiques publiques sectorielles. Ce sont essentiellement les articles 19, 20, 21, et 22 qui ont focalisé l’attention du Conseil. Pour l’instance chargée de la protection des droits humains au Maroc, il faudrait «apporter plus de précisions sur ces dispositions, considérant ce qu’elles pourraient induire en termes d’atteinte à la protection des données à caractère personnel, de transparence de l’action de l’administration, et d’impératif du respect du rôle de la justice dans la protection des droits et des libertés». Concernant le flou qui entoure les garanties de protection des données, le CNDH a aussi préconisé la mise en place de mécanismes de contrôle de toutes les procédures prévues dans ces articles, en tenant compte des garanties qui devraient être accordées aux personnes, «dans le total respect du droit au recours et à la réparation en cas de violation de leurs droits, de leurs libertés ou de leurs données à caractère personnel». Le contrôle judiciaire sera donc indispensable pour donner aux nouvelles dispositions la force juridique requise en vue d’instaurer un régime de ciblage performant. Il est à noter que le CNDH propose d’édicter un décret d’application sur l’échange des données entre les instances nationales chargées du recueil des données statistiques sur les ménages, et d’œuvrer à clarifier les sources des données, outre la possibilité de relier cela aux attributions de l’Agence nationale des registres. Parmi les mesures qui devraient être révisées, il s’agira de déterminer les administrations qui seront représentées au sein de l’Agence nationale des registres, avec un texte particulier précisant les modalités de partage des données du Registre national des habitants, dans l’optique de renforcer les droits des inscrits. Et pour ne pas retarder le lancement du chantier, le Conseil national des droits de l’Homme demande à ce que tous les décrets d’application de la loi soient édictés au plus tard après la promulgation de la nouvelle législation.
La base de données des aides directes
Les aides directes, qui ont été distribuées pour la 3e fois depuis le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, devraient définitivement apurer la base de données relatives aux populations éligibles au Registre social unifié (RSU), ce qui devrait assurer un bon démarrage à l’expérience pilote qui sera initiée avant la mise en place du Registre national unifié. Il faut dire que le pilotage stratégique des politiques publiques est l’objectif recherché par le gouvernement durant l’étape actuelle, en vue d’aboutir à une formule de scoring qui apportera une plus-value aux programmes sociaux. Il faut souligner que la version finale du projet de loi 72-18 est formée de 45 articles et instaure une période transitoire avant la mise en place de l’Agence nationale des registres, avec plusieurs exigences qui seront imposées. Au total, 8 décrets d’application sont attendus pour donner le coup d’envoi à la mise en place de l’Agence nationale des registres. Il s’agit notamment des réglementations fixant la liste des données personnelles fournies à l’agence, des modalités d’inscription des MRE, de l’identifiant numérique et social ainsi que d’autres textes portant sur les modalités de mise à jour des données du RSU et des délais fixés pour les familles concernant leurs déclarations.
Les points saillants relevés par le conseil
Le CNDH recommande fortement d’insérer dans le préambule de la loi des dispositions témoignant du contexte actuel de mobilisation nationale contre la propagation de la Covid-19, et d’introduire de nouvelles définitions qui précisent la catégorie des personnes vulnérables qui seront couvertes, notamment les personnes à besoins spécifiques, les femmes chefs de ménages ainsi que les enfants en situation précaire. Le Conseil préconise également d’ajouter une disposition qui autorise l’inscription spontanée sur le registre national selon une procédure claire, qui détermine aussi les modalités de calcul des points qui seront comptabilisés lors de la détermination des ménages et des personnes éligibles au régime. Pour rappel, l’Agence nationale ne sera opérationnelle qu’après l’entame de l’étape de l’identification, avec la mise en place d’outils d’authentification, notamment le NIU (numéro d’identification unique) devant permettre à la personne ciblée d’être enregistrée une seule fois.
Younes Bennajah / Les Inspirations ÉCO