Restaurants, pubs et cafés au Maroc : coulisses de la reprise partielle
Depuis le jeudi 25 juin, les restaurants et cafés ont ouvert leurs portes aux clients sous certaines conditions. Le secteur est fortement touché par la crise, obligé de subir le confinement depuis mi-mars pour éviter la propagation du virus. Coulisses de la reprise partielle, peu réconfortante pour le moment, mais néanmoins pleine d’espoir.
Petit cri de victoire chez les professionnels de la restauration le jeudi 25 juin, qui ont vu leur activité reprendre partiellement, dans le respect des normes de sécurité. De Rabat à Casablanca en passant par Essaouira, la préoccupation est la même: comment survivre après trois mois et demi d’arrêt? C’est la question qui taraude tous les professionnels qui estiment qu’être à 50% de leurs capacités est déjà une perte en soi, même s’ils sont conscients que tout ceci est pour le bien de la population.
Au jour le jour
Les professionnels de la restauration ont été les premiers à subir la crise et à fermer du jour au lendemain sans y être préparés. Et la reprise a des allures de déjà-vu: manque de transparence, information au compte-gouttes. «Nous avons été un peu pris au dépourvu car l’annonce officielle a été faite 48h avant. Nous avons donc commencé par opérer un grand nettoyage, remis une couche de peinture, effectué les tests techniques nécessaires, lancé une petite campagne de communication au niveau des réseaux sociaux pour informer notre clientèle de la réouverture de notre restaurant», confie Majid Bennis, propriétaire de Villa M à Rabat, restaurant et pub à succès en plein centre de l’Agdal. «Nous avons également convoqué le personnel pour le former aux mesures de prévention contre ce virus, conformément aux instructions des autorités. Nous avons également dû libérer des espaces pour respecter la distanciation et nous avons acquis l’équipement requis», continue la même source, qui avoue s’être beaucoup inspirée de ce qui se fait en Europe pour avancer «car très peu d’informations émanaient des autorités». Une situation que partage Lucas Servonnat, propriétaire du restaurant Le Georges, à Rabat. «On a respecté les normes sanitaires tout en sachant qu’aucune fiche officielle ne circule. Nous n’avons que des bribes d’infos. Tous les restaurateurs ne sont pas informés au même degré. En fonction de qui l’on connaît ou de qui est passé, on arrive à créer des normes sanitaires à respecter. Le jour même de l’ouverture, nous ne savions pas à quelle heure nous devions fermer: 22h ou minuit? Finalement, c’est 23h». Une situation stressante un jour d’ouverture où peu de clients ont fait le déplacement, peu enclins à sortir. «Nous avons remarqué que nos clients marocains ne sont pas revenus. Nous avons des clients expatriés, mais ceux marocains ne reviennent pas. Nous l’avons ressenti dès l’ouverture, ce jeudi», continue le maître des lieux.
Chiffre d’affaire? Zéro !
«Aujourd’hui, la capacité de l’espace est passée de 170 places à 70 places. Mais il était important voire vital d’ouvrir», indique Majid Bennis, qui rappelle que 3 mois de fermeture représentent le quart du chiffres d’affaires annuel, un CA parti en fumée. «D’autant plus que nous devons assumer, malgré tout, les charges fixes et notamment les charges locatives (bail). Pour les salaires, les employés ont dû se contenter de ce que la CNSS a versé pour les mois de mars, avril, mai et juin. Nous sommes au bord de l’implosion mais nous tenons bon. Il faudrait que l’on passe en phase 3 de déconfinement assez rapidement afin de pouvoir reprendre une activité normale courant juillet». Un constat partagé par l’ensemble des restaurateurs locataires qui sont, pour la plupart, nouveaux sur la place. Si les restaurants historiques, propriétaires, sont peut-être protégés, les nouveaux restaurateurs locataires sont au bord de la faillite. «Il est délicat de donner un chiffre précis quant à nos pertes de chiffre d’affaires. Nous sommes restés fermés 3 mois, ce qui signifie une perte totale de notre chiffre d’affaires sur la période», explique Marie Lombard, propriétaire du Patio, un restaurant à Essaouira qui n’ouvre que le soir. «Compte tenu d’une forte influence des mois précédant le confinement, nous étions complets tous les soirs, à savoir une moyenne de 50 couverts/soir. Les conséquences sont une grosse perte financière, et une incertitude quant à l’avenir proche. Il faut que les touristes reviennent et que les aides de l’État continuent. Autrement dit, le report d’impôts et taxes, de la CNSS. Nous n’avons encore aucune info, sauf pour le report de l’IS et de l’IR», continue la propriétaire des lieux qui n’a pas vu grand monde dans son restaurant cette première semaine. «Nous avons dû nous séparer de cinq personnes déjà, et je pense que ce n’est malheureusement pas fini. Les fournisseurs demandent à être payés alors que nous n’avons aucune visibilité sur la trésorerie», rappelle Lucas Servonnat, avant d’expliquer que sa trésorerie a été divisée par trois. «La question que l’on se pose est la suivante: jusqu’où et jusqu’à quand pourra-t-on tenir? Nous n’avons pas eu d’aide de l’État, ni de nos assurances. Pour celles-ci l’épidémie de Covid-19 n’entre pas dans la catégorie «arrêt d’activités». Zéro aide, pertes totales, aucun dirham n’est rentré entre le 15 mars et jeudi 25 juin».
2020, année chaotique
«En effet, Il faut savoir que la période estivale représente notre plus gros chiffre d’affaires de l’année. Continuer longtemps avec ces mesures barrières pourrait signifier la faillite pure et simple pour tous les établissements. Il faudrait aussi que l’État nous donne un sérieux coup de pouce en prévoyant des allègements fiscaux significatifs pour l’année en cours. C’est essentiel», rappelle Majid Bennis, dont la Villa M assurait environ 100 passages par soirée en semaine. Trois soirs par semaine (lundi, samedi et dimanche), le lieu accueillait jusqu’à 200 personnes par soir. Aujourd’hui, suite aux restrictions sanitaires, l’endroit ne peut accueillir plus de 70 personnes. «Mais l’obligation de fermer nos portes à 23h au lieu de 2h est une mesure incompréhensible. Quel est l’intérêt de cette mesure? Les autorités sont-elles seulement conscientes des conséquences d’une telle décision? Surtout en été! Les gens sortent et dînent tard. Fermer à 23h est une aberration!», affirme le propriétaire du restaurant. Mêmes appréhensions de la part de Ghislaine Andalous, propriétaire du Backstage Casablanca, qui estime ses pertes à 2 MDH. «Et même plus», confie-t-elle. L’endroit «in» de la ville blanche, qui a fêté sa première année il y a quelques mois, se voit rattrapé par un destin tragique, lui qui venait à peine de sortir la tête de l’eau et de commencer à rentrer dans ses frais. «Nous avons ouvert il y a un an, nous parvenions tout juste à notre seuil de rentabilité. Heureusement que l’État a mis en place les crédits Oxygène et Relance pour nous permettre de souffler et payer nos prestataires mais à un moment donné, nous ne faisions que nous engouffrer. Si nous ne reprenonspas bientôt, dans les règles de l’art, je ne sais pas comment nous ferons», confie la gérante de l’établissement qui accueille 250 à 300 personnes en temps normal et qui a vu 70 personnes arriver le soir de reprise. Un bilan positif selon elle, comparé à celui de ses confrères, rendu possible grâce à une clientèle fidèle. «Nous avons respecté les normes de sécurité, la distanciation, pas plus de quatre personnes par table. Nous avons vidé la moitié du restaurant en terme de capacité, voire un peu plus. Pour que tout le monde soit en sécurité, les clients comme le personnel. Nous sommes une équipe de 30 personnes au Backstage», rappelle Ghislaine Andalous, dont le restaurant est un des seuls établissements à déclarer l’ensemble de son personnel. Bilan à la fois chaotique et plein d’espoir puisque tous les restaurateurs voient en les jours qui viennent des jours heureux, à condition que l’activité reprenne vraiment et sans restriction aucune. «Personne n’en sortira indemne. Personne. Nous avons dû, comme beaucoup, faire appel au crédit Damane Oxygène pour honorer nos engagements fournisseurs et aux charges locatives. Il va bien falloir rembourser tout cela à un moment ou à un autre», confie Majid Bennis, avant d’expliquer que durant les 6 prochains mois, il va falloir travailler pour rembourser les dettes tout en espérant qu’il n’y ait pas de deuxième vague qui signerait l’arrêt de mort du secteur, selon lui. «Mais essayons de rester positifs et envisageons l’avenir avec calme et sérénité. Céder à la panique ne servirait à rien. Travaillons comme nous savons le faire et plus dur encore. Je suis sûr que l’avenir nous réserve de belles surprises», conclut-il, avant que Ghislaine Andalous ne rappelle un fait, non sans importance: «Deux ou trois semaines comme ça et on met la clef sous la porte!»
Jihane Bougrine
Les Inspirations Éco