Union pour la méditerranée : le Royaume, un exemple en matière d’IDE et de transferts de fonds

Le second rapport de l’UpM, publié pour les 30 ans du Processus de Barcelone, dresse un bilan nuancé de l’intégration euro-méditerranéenne, soulignant un potentiel inexploité malgré des avancées. Il propose une feuille de route pour moderniser les cadres et renforcer la coopération dans cinq domaines clés. Le Maroc y est cité comme acteur majeur en matière d’IDE et de transferts de fonds, mais la région tout entière doit surmonter des défis structurels et géopolitiques.
Le second rapport de l’Union pour la Méditerranée (UpM) sur l’état de l’intégration économique dans la région euro-méditerranéenne vient d’être publié, élaboré en partenariat avec l’OCDE et soutenu par la Coopération allemande au développement (GIZ). Cette publication intervient alors que le Processus de Barcelone célèbre son 30e anniversaire.
S’appuyant sur la première édition de 2021, ce nouveau rapport actualise le cadre analytique en intégrant trois dimensions transversales essentielles : les questions de genre, la numérisation et la protection de l’environnement.
Le rapport présente ses principales conclusions et des recommandations politiques axées sur cinq domaines clés : le commerce, la finance, l’infrastructure, la circulation des personnes, l’enseignement supérieur et la recherche. Il souligne que l’intégration économique dans la région euro-méditerranéenne n’a pas encore atteint son plein potentiel, en raison de difficultés persistantes entravant la libre circulation des biens, des services, des capitaux, des personnes et des idées. Bien que le rapport brosse un tableau nuancé des progrès et des défis, il confirme que, malgré des avancées dans certains domaines – comme le commerce de biens à valeur ajoutée et les flux de mobilité –, l’intégration reste freinée par des disparités structurelles, des rigidités réglementaires et un contexte géopolitique volatil.
Face à ces constats, les recommandations politiques formulées offrent une feuille de route pour une action concertée, mettant l’accent sur la modernisation des cadres existants, la diversification des sources de financement, l’investissement dans des infrastructures résilientes et durables, une gestion équilibrée de la mobilité humaine, et le renforcement de la coopération en matière d’enseignement supérieur et de recherche.
Ce que dit le rapport sur le Maroc
Le Maroc est explicitement mentionné à plusieurs reprises dans le rapport, principalement dans les sections finance et circulation des personnes, soulignant son rôle et les défis spécifiques auxquels il est confronté. Pour la finance, le rapport indique que les économies du Golfe se positionnent comme des investisseurs clés dans la région MENA.
En 2023, le Maroc a bénéficié d’investissements substantiels de leur part, s’élevant à 11 milliards de dollars, le plaçant en tête des pays mentionnés pour les IDE du Golfe cette année-là, devant l’Algérie (2,2 milliards de dollars) et la Tunisie (1 milliard de dollars).
Par ailleurs, le Maroc, aux côtés de l’Égypte, est identifié comme l’un des principaux bénéficiaires de transferts de fonds entre 2020 et 2023, avec plus de 10 milliards de dollars reçus, attestant de l’importance cruciale de ces flux pour son économie.
S’agissant de l’infrastructure, la section consacrée ne contient pas de mention spécifique au Maroc concernant le développement de ses réseaux, sa connectivité ou les défis qui lui sont propres. Les discussions se concentrent sur des tendances régionales générales pour la zone MENA et le Sud de la Méditerranée.
Par ailleurs, pour la circulation des personnes, le rapport mentionne que les tremblements de terre survenus au Maroc en 2023, ainsi qu’en Turquie et en Syrie, ont entraîné une augmentation significative des déplacements internes dans la région. Ce constat met en lumière l’impact des événements climatiques et géologiques sur la mobilité humaine et les besoins en gestion des crises.
Commerce : la part de la région a diminué
Les échanges intra-régionaux de marchandises ont connu une croissance notable, tendant vers une plus forte valeur ajoutée et un renforcement des chaînes de valeur régionales. Avec des exportations mondiales de 7,2 milliards de dollars en 2022 (un tiers du total mondial), la part de la région a toutefois diminué depuis les années 2000, où elle culminait à 40%.
L’UE demeure le partenaire commercial dominant (94% des exportations intérieures en 2022), bien qu’une intégration accrue soit observée entre la Turquie, les Balkans occidentaux et l’Afrique du Nord. Les mesures non tarifaires (réglementations techniques, normes, procédures douanières) continuent de créer des obstacles majeurs, bien que l’initiative PEM (règles d’origine) vise à les atténuer.
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE (MACF) pourrait en revanche faire augmenter les coûts d’exportation pour les économies cherchant à accéder au marché européen. Le développement industriel a évolué vers des secteurs plus avancés (machines, chimie, transport), tandis que d’autres (textile) sont en déclin. Les importations chinoises augmentent significativement, et les pays du Golfe sont des partenaires énergétiques et commerciaux importants. Les accords commerciaux restent majoritairement axés sur les marchandises, malgré l’essor des services et du commerce numérique (25% des échanges mondiaux, +8% en 2023).
Le rapport recommande des accords de nouvelle génération incluant services, investissements et commerce numérique, une meilleure facilitation des échanges, et la promotion de la diversification économique vers des activités à plus forte valeur ajoutée.
Finance : une Intégration encore fragmentée
Le développement et l’intégration financiers dans la région euro-méditerranéenne demeurent fragmentés, reflétant d’importantes disparités économiques et institutionnelles. Le financement bancaire prédomine, limitant l’accès à des sources diversifiées de capitaux, notamment dans les régions MENA et les Balkans occidentaux.
Les risques géopolitiques actuels, particulièrement au Moyen-Orient, accentuent ces défis, entraînant des coûts d’emprunt souverains élevés et un resserrement des conditions de financement. L’accès au crédit pour le secteur privé reste faible dans plusieurs pays (environ 30% du PIB en Égypte, Algérie, Albanie, contre 80% en UE). Les investissements directs étrangers (IDE) ont montré une certaine résilience entre 2013 et 2023, avec des différences régionales (2,9% du PIB en MENA, 6,1% dans les Balkans occidentaux).
L’UE est une source majeure d’IDE pour les Balkans occidentaux et la région MENA (sauf l’Égypte), tandis que les économies du Golfe émergent comme des investisseurs clés. Les transferts de fonds des diasporas sont une source de financement cruciale, dépassant les IDE et l’aide publique au développement dans plusieurs pays.
Cependant, l’accès au financement pour les individus reste limité, particulièrement pour les femmes dans la région MENA. Les recommandations incluent des réformes gouvernementales pour renforcer les marchés financiers, la diversification des instruments financiers (marchés d’actions et d’obligations) pour soutenir le secteur privé, et l’assouplissement des restrictions sur les IDE pour améliorer les cadres d’investissement.
Infrastructure : le développement de la connectivité face aux obstacles
Le développement des infrastructures de connectivité se heurte à des difficultés persistantes, surtout dans le sud de la Méditerranée, ce qui entrave les performances logistiques et le potentiel commercial. Les pays de l’UpM sont responsables de 13,4% des émissions mondiales liées au transport, en hausse de 40% depuis 1990. Des investissements dans le transport multimodal (trains à grande vitesse, ports) sont cruciaux pour des systèmes logistiques plus performants et des chaînes d’approvisionnement durables.
Cependant, ces efforts sont freinés par la fragmentation réglementaire, les restrictions aux IDE, la complexité de coordination, les difficultés de mobilisation des capitaux et le manque de partenariats public-privé. Les échanges d’énergie représentent une opportunité d’intégration, notamment le potentiel de la région MENA pour les objectifs climatiques de l’UE.
Toutefois, la production d’électricité dans ces pays reste un défi majeur face à une demande qui a augmenté de plus de 200% entre 2000 et 2023, rendant incertaine l’exportation rapide d’énergies renouvelables. Le progrès des infrastructures numériques est avéré, mais l’expansion du haut débit reste limitée en MENA par rapport aux Balkans occidentaux et à l’UE.
Le succès des initiatives comme le câble Medusa dépend du déploiement national. Le rapport recommande de renforcer la coopération régionale, de soutenir le développement des infrastructures d’énergie renouvelable (surtout au Sud), et d’améliorer les infrastructures à large bande dans le sud de la Méditerranée pour une meilleure connectivité Nord-Sud.
Circulation des personnes : mobilité croissante et fuite des cerveaux
La mobilité des personnes continue de croître, poussée par les pressions démographiques, l’inadéquation du marché du travail et les disparités économiques. Bien que la migration puisse être un moteur de développement, le rapport exprime des inquiétudes quant à la fuite des cerveaux et à la perte de travailleurs clés des Balkans occidentaux et de la région MENA.
L’UE, face au vieillissement de sa population, s’appuie sur la migration pour combler ses besoins en main-d’œuvre. La migration intra-UpM a augmenté de 6% entre 2021 et 2024, dépassant les niveaux pré-pandémiques, avec plus de 34 millions de migrants, majoritairement vers l’UE. En 2022, 1,39 million de nouveaux migrants intra-UE ont été enregistrés.
Le chômage élevé des jeunes et l’inadéquation des compétences restent des défis structurels en MENA et dans les Balkans occidentaux, incitant une part significative de la population (35-40%) à envisager la migration. Outre l’UE, les pays du Golfe sont aussi des destinations privilégiées. L’année 2023 a vu une forte augmentation des migrations irrégulières vers l’Europe (+35%), atteignant des niveaux inédits depuis 2016.
Le changement climatique et les catastrophes naturelles (séismes, inondations) ont également provoqué des déplacements massifs. Le tourisme, malgré sa contribution significative au PIB, est affecté par l’instabilité régionale et soulève des préoccupations environnementales. Les recommandations incluent une meilleure gestion des migrations de main-d’œuvre et la promotion du tourisme durable.
Enseignement supérieur et recherche : un développement inégal
Le rapport met en évidence le rôle croissant de l’enseignement supérieur et de la recherche dans l’intégration régionale, mais souligne un développement très inégal. Alors que l’Union européenne possède des cadres éducatifs solides favorisant la coopération et la mobilité transfrontalières, les systèmes des pays MENA ne sont pas suffisamment intégrés, ni avec l’Europe ni entre eux. Les flux de mobilité sont largement asymétriques, dominés par le Sud vers le Nord, influencés par des programmes comme Erasmus+.
En 2022, 65% des étudiants mobiles de l’UpM sont restés au sein de la région, principalement dans les pays de l’UE. Les pays MENA et des Balkans occidentaux investissent généralement moins que la moyenne de l’UE dans l’enseignement supérieur, ce qui affecte leur compétitivité et leurs efforts d’intégration. En recherche et développement (R&D), Israël se distingue avec 6,35% de son PIB, bien au-delà des autres pays de l’UpM et de la moyenne de l’UE (1,58% du PIB). Des écarts entre les genres persistent, avec moins de femmes dans les postes de recherche.
Environ 48% des étudiants mobiles de l’enseignement supérieur sont des femmes dans l’UpM (40% en Afrique du Nord), bien que les programmes Erasmus+ montrent une meilleure parité. Les recommandations incluent le renforcement de la coopération régionale par l’augmentation du financement public, la mise en place d’incitations pour les acteurs de la recherche, la promotion des opportunités de mobilité (échanges virtuels et courte durée), et la mise en œuvre de la Convention mondiale sur la reconnaissance des qualifications pour faciliter la reconnaissance des diplômes.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO