Le secteur culturel bouge enfin au Maroc !
Depuis sa nomination le 6 avril, Othman El Ferdaous, ministre de la Culture, de la jeunesse et des sports n’a de cesse de travailler sur le chantier culturel, un chantier mis quelque peu en stand-by ces dernières années par ses prédécesseurs. Tour d’horizon.
«La musique a une place particulière dans ma vie, c’est ce qui me permet d’avoir mon petit retrait avec moi-même. Je fais la navette Casablanca-Rabat depuis plus de 10 ans en écoutant de la musique. J’ai pour coutume de dire que ma patrie c’est l’autoroute mais ce sont plutôt mes air pods», s’amusait à rappeler Othman El Ferdaous, ministre de la Culture, de la jeunesse et des sports, en guise d’introduction à l’e-séminaire sur «La #musique en résilience entre live et digital», organisé par l’UNESCO, la Fondation HIBA et Visa for music, le 19 juin. Un discours à la fois sincère, enthousiasmant qui a su rassurer les acteurs culturels du pays. Le ministre a tenu à rappeler son admiration envers les musiciens qui sont pour lui des mathématiciens, des psychologues et des créateurs d’émotions. Il a tenu également à rassurer les jeunes en temps de crise, tentés de s’orienter vers une carrière plus classique: «je sais qu’il y a une tentation ou des pressions pour dire de ne pas s’engager dans une carrière culturelle. Je voudrais faire passer un message à tous les étudiants qui se posent peut-être des questions à l’heure actuelle. Le monde n’aura jamais autant besoin de résilience culturelle et musicale». Des mots qui ont été accompagnés par des actes puisque le ministre de la Culture, de la jeunesse et des sports a annoncé un certain nombre d’actions pour venir en aide aux professionnels du secteur.
Cap sur le cinéma
Pas plus tard qu’avant-hier, Othman El Ferdaous rassurait sur le secteur du cinéma et ses salles, fermées depuis mi-mars, grandes oubliées du déconfinement au plus grand dam de leurs exploitants. «Le cinéma n’est pas qu’un segment de l’industrie culturelle. C’est un écosystème complet qui englobe et fait vivre plusieurs métiers (musique, théâtre, écriture, etc)», rappelle à juste titre le ministre qui avait annoncé au Parlement il y a quelques jours des mesures de résistance en faveur du cinéma visant à répondre à la crise majeure que connaît ce secteur. «Les salles de cinéma sont en particulier un bien public qu’il faut sauvegarder, elles constituent le maillon central de l’industrie cinématographique et leurs recettes ont été très fortement atteintes par la crise sanitaire (billetterie, publicité, locations de salles et confiserie)», rappelle Othman El Ferdaous qui souligne que les salles constituent un médiateur culturel important pour l’équité territoriale et pour le maintien du dernier débouché commercial légal pour la production cinématographique nationale afin que les films marocains rencontrent le public marocain et ceci quel que soit leur modèle économique, artisanal ou de réseau. «Depuis le mois d’avril jusqu’au mois de juin, le Centre cinématographique marocain a procédé au paiement de plus de 6,5 millions de dirhams notamment au profit de plus de 11 projets nationaux de production cinématographique, dont 450.000 DH pour la numérisation d’une salle de cinéma à Tanger». Un soutien que le ministère compte épauler avec la prise en charge de dépenses engagées par les festivals et manifestations cinématographiques initialement prévus entre mars et juin et annulés du fait de la crise sanitaire. Pour ce faire, le ministère a annoncé une mobilisation d’une enveloppe de 2 MDH.
«Ces festivals font vivre les petites salles et jouent un rôle clef dans le maintien d’un cinéma de niche (documentaires, courts-métrages, etc) et d’un vecteur de transmission de la culture cinématographique», souligne Othman El Firdaous.
Pour appuyer ses dires, le ministre annonce un certain nombre de mesures afin d’aider les exploitants de salle et les accompagner dans l’ouverture des cinémas. Tout d’abord, il s’agit de prendre en charge certaines charges fixes des salles de cinéma engagées sur la période de quatre mois allant de mars à juin 2020 et n’ayant pas pu être amorties du fait de la crise sanitaire puis verser aux exploitants une prime exceptionnelle à la réouverture des salles, équivalente à un mois de chiffre d’affaires pour accompagner la reprise d’activité, conditionnée au respect des normes sanitaires et à l’engagement de garder la salle ouverte au moins 18 mois. «Le premier versement de 50% aura lieu à la signature de conventions par les parties concernées, le second trois mois après la réouverture». Une enveloppe de 10 MDH est mobilisée pour assurer la mise en place de ces deux mesures de renforcement de la résilience des salles de cinéma. Le ministre conclut sur une campagne de communication et de sensibilisation des citoyens à la reprise d’activité des salles de cinéma et à la promotion du cinéma national. «Ceci afin de permettre aux salles de cinéma de se préparer à la reprise d’activité dont le calendrier sera arrêté par l’autorité compétente».
Soutien aux acteurs culturels
Avant l’annonce rassurante de l’aide au secteur du cinéma, le ministère de la Culture, de la jeunesse et des sports avait lancé un programme exceptionnel de soutien aux acteurs culturels des mondes de l’art et du livre, personnes physiques, associations et entreprises en vue d’atténuer l’impact socio-économique de l’état d’urgence sanitaire. Depuis le 17 juin, sur le site du ministère, un appel à projets est lancé pour permettre aux artistes de se remettre tout doucement dans le bain. Une enveloppe globale de 39 MDH est prévue à cet effet pour les domaines du théâtre et tournées nationales pour une enveloppe prévisionnelle de 20 MDH (jusqu’à 200.000 DH par projet), de la musique, des chansons, les arts de la scène et les arts chorégraphiques pour une enveloppe prévisionnelle de 12 MDH (jusqu’à 250.000 DH par projet) et les expositions d’arts plastiques et/ou visuels portées par les galeries pour une enveloppe prévisionnelle de 2 MDH (jusqu’à 250.000 DH par projet) avec l’acquisition d’oeuvres d’arts plastiques ou visuels auprès des artistes pour une enveloppe prévisionnelle de 3 MDH (de 5.000 DH à 30.000 DH par oeuvre) afin d’enrichir les collections du ministère et d’encourager les jeunes talents. Le ministère réitère son partenariat et son soutien envers la Fondation nationale des musées en participant à son initiative d’acquisition d’œuvres d’arts plastiques et visuels à hauteur de 2 MDH en prêtant des oeuvres issues de la collection non exposée du ministère afin que les oeuvres des artistes marocains soient mises à la disposition du public dans les musées du Royaume et à l’international avec la mise à disposition aussi du scanner très haute définition de la Bibliothèque nationale du Royaume (modèle «Newly Muse» 2×2 résolution 1090dpi à 7,4 milliards de pixels) pour contribuer à l’accélération de la numérisation des collections de la fondation. Pour ce qui est du secteur du livre et de l’édition qui est également un secteur à l’agonie, très fragilisé en temps normal et qui souffre d’autant plus en cette période de crise, une enveloppe de 11 MDH sera mise à disposition des acquisitions d’ouvrages auprès des librairies et des éditeurs pour une distribution dans les bibliothèques publiques, dans l’édition de revues culturelles (papier et électronique) dans les opérations de sensibilisation à la lecture et la participation des auteurs marocains aux résidences d’auteurs et aux salons internationaux. Le ministre a également insisté sur la musique. Une distribution anticipée par le Bureau marocain des droits d’auteurs (BMDA) est prévue depuis le 15 juin au profit des auteurs et créateurs adhérents, de toutes les répartitions restantes programmées pour l’exercice 2020, soit 35,4 MDH, à savoir les perceptions de l’année 2019 des droits d’auteur et de la rémunération pour copie privée pour les trois catégories : lyrique, dramatique et littéraire, conformément aux recommandations de la Confédération internationale des auteurs et compositeurs (CISAC) et du programme ResiliArt de l’UNESCO.
Hassan Belkady
Exploitant de salle
C’est une première d’avoir un ministre qui fait un aussi grand geste ! Nous avons eu cinq ministres d’affilée qui n’ont pas fait grand-chose, le Covid est un problème en plus. Nous avons toujours eu des problèmes dans le cinéma : des problèmes de TVA, piratage, surtaxation, salles fermées dont les propriétaires sont morts et les héritiers se retrouvent avec des salles classées. Ils ne peuvent ni construire ni détruire. De plus, les banques n’ont pas joué le jeu. L’une d’entre elle m’a refusé le prêt Oxygène pour cause de bilan négatif. La seconde m’a accueilli à bras ouverts et étudie actuellement mon dossier. Cette aide de l’État est la bienvenue ! Le cinéma est une passion qui me coûte cher, nous travaillons pour payer nos employés. Si on n’a pas de liquidités, d’entrées, comment faire ? C’est généreux de pouvoir avoir un peu de finances. Nous avons pris du retard avec les habitudes des consommateurs qui ont changé, lesquels sont passés à Netflix. La relance va être longue.
Brahim El Mazned
Fondateur de Visa for Music
C’est un signal fort que d’avoir nommé un ministre pendant la crise, cela prouve l’importance du Souverain pour le secteur. Nommer quelqu’un qui a un bagage intellectuel et beaucoup d’énergie est pour nous un signal intéressant. C’est quelqu’un que l’on croise, qu’on voit beaucoup, qui reçoit beaucoup au sein du ministère de la Culture. Il a rencontré beaucoup d’acteurs culturels. C’est bon signe. Il y a de la proximité, c’est un homme de terrain. Nous avons besoin de cela aujourd’hui. De plus, il a réussi à défendre son budget en temps de crise. Ce qu’il a lancé est extraordinaire ! Avoir mis 12 MDH dans la musique, avoir su activer le Bureau des droits d’auteur et l’obliger à payer les musiciens inscrits, c’est courageux. Aujourd’hui, tous les musiciens inscrits au bureau ont touché quelque chose. C’est encourageant pour le secteur. Nous espérons, après cette crise, avoir enfin une réelle réflexion autour d’une réelle politique culturelle et être dans l’investissement culturel et non dans une culture de subventions.
Ahmed Ghayet
Militant culturel
La pandémie et le confinement ont engendré des situations catastrophiques dans tous les domaines. La culture déjà fragile dans notre pays du fait du peu de moyens dont elle dispose a été touchée de plein fouet. Annulation de toutes les manifestations, non indemnisation des artistes, suspension des tournages et des enregistrements ont porté un coup très dur à la culture en général. Dans le même temps, on a vu à quel point elle était indispensable : c’est la culture, via les réseaux sociaux, qui nous a permis de ne pas perdre notre âme en ces moments anxiogènes. Je peux en témoigner, la Fête de la musique live que nous avons organisée sur le Web a drainé des milliers de spectateurs virtuels, notamment les jeunes. Nous avons la chance d’avoir le bon ministre, à la bonne place, au bon moment. Othman El Ferdaouss est jeune, à l’écoute, en phase avec notre époque et ses besoins, ses attentes. Toutes les mesures qu’il annonce sont audacieuses, intelligentes, d’avant-garde.
Jihane Bougrine
Les Inspirations ÉCO