Sénégal : il faut sauver la démocratie
Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut marocain des relations internationales)
Depuis son premier président en 1960, le prestigieux Léopold Sédar Senghor, le Sénégal est qualifié de un modèle de démocratie, de tolérance ethnique et religieuse, de paix et de stabilité. Le Sénégal est aussi appelé «Pays de Teranga» qui veut dire en wolof hospitalité, entraide et bienveillance. Les présidents qui ont suivi Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, ont continué le même respect de la démocratie et de la liberté. Le président actuel du Sénégal, Macky Sall, membre du Parti démocratique sénégalais (PDS), avait soutenu le président Abdoulaye Wade lors de l’élection présidentielle de 2000. Il fut Premier ministre de 2004 à 2007 et président de l’Assemblée nationale de 2007 à 2008, date à laquelle il quitte le PDS et fonde l’Alliance pour la République (APR). En 2012, il remporte l’élection présidentielle, puis il est réélu en 2019 pour un mandat de cinq ans. Le septennat ayant été réduit à cinq ans, la prochaine élection présidentielle aura donc lieu le 25 février 2024. Le principal opposant à Macky Sall à la prochaine élection présidentielle est Ousmane Sonko, âgé de 49 ans, qui a été député à l’Assemblée nationale de 2017 à 2022 et maire de la ville de Ziguinchor depuis 2022. Il est le président du parti «Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF)». Il s’est présenté à l’élection présidentielle de 2019 et y arrivé troisième avec 15% de voix, derrière Macky Sall qui a été réélu, et Idrissa Seck, ancien Premier ministre. Il est accusé en février 2021 de viol et menace de mort par Adji Sarr, une masseuse qui travaille dans un salon de beauté qu’il fréquente. Son arrestation le 3 mars 2021 provoque de violents affrontements entre des groupes de jeunes et les forces de l’ordre. Les locaux du quotidien «Le Soleil», proche du pouvoir, ainsi que les enseignes françaises Auchan et Total sont prises pour cibles. Deux télévisions privées sont suspendues par les autorités gouvernementales, ainsi que des restrictions de l’accès à internet. Le 8 mars 2021, Sonko est officiellement inculpé par la justice et relâché sous contrôle judiciaire.
Après un procès qui a duré deux ans, le 1er juin 2023, Sonko est acquitté des accusations de viol et de menace de mort, mais condamné à 2 ans de prison ferme pour «corruption de la jeunesse». L’article 324 du code pénal sénégalais vise, par «corruption de la jeunesse», les attentats aux mœurs en exécutant, favorisant, ou facilitant la débauche de l’un ou l’autre sexe en dessous de l’âge de 21 ans. La condamnation d’Ousmane Sonko à 2 ans de prison ferme a mis le pays à feu et à sang, et l’a rendu inéligible à la prochaine élection présidentielle.
Du 1er au 3 juin, 16 manifestants ont été tués. Les partisans de Sonko considèrent que son procès est politique, et qu’il vise à l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle. Ils appellent à la démission de Macky Sall, soupçonné de vouloir se présenter à un troisième mandat jugé illégal. En outre, des vidéos et témoignages indiquent que des hommes en civil sont descendus de pick-ups armés, et ont commencé à chasser les manifestants. Les manifestants considèrent que ce sont des nervis utilisés pour le pouvoir. Mercredi 7 juin, le président Macky Sall a indiqué qu’il s’adressera à la Nation après le Dialogue national en vue de partager les conclusions, et donner les grandes orientations afin de consolider le modèle démocratique et républicain. En effet, le Dialogue national a été lancé le 31 mai avec l’approbation du Parti démocratique sénégalais (PDS) et la coalition Taxawu Sénégal, dirigée par l’opposant Khalifa Sall. Le Chef de l’État a remercié tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, religieux et coutumiers ainsi que les femmes et les jeunes qui ont répondu à son appel au dialogue. Il a fixé la date du 25 juin 2023 pour recevoir les propositions et recommandations du travail du Dialogue national. En conclusion, on ne peut que regretter cette nouvelle crise au Sénégal après celles de Guinée, du Mali et du Burkina Faso. Certains Chefs d’État africains ne veulent pas quitter le pouvoir après avoir exercé les deux mandats prévus dans leur Constitution. Or l’alternance est un facteur essentiel dans le système démocratique. Ce qui est dommageable, c’est parfois l’utilisation de la justice pour éliminer les candidats gênants. La jeunesse africaine ne supporte plus ce genre de comportement des Chefs d’État, et risque d’être radicalisée en appelant à la révolte et même à la révolution. L’Union africaine et les Communautés régionales doivent être intransigeantes vis-à-vis des Chefs d’État qui ne respectent pas leur Constitution. Dans le cas du Sénégal, grand ami du Maroc, il faut espérer une solution équitable le 25 juin 2023.