Opinions

Le coût de la discrimination : comment l’écart de financement entre les genres freine les startups africaines au féminin

Salma Kabbaj
CEO et fondatrice d’Impact Lab,

& Aya Bakahoui
Community manager d’Impact Lab

Les écosystèmes startups africains ont créé la surprise, en 2022, en continuant à croître dans un contexte de crise politique et économique internationale. Capitalisant sur des dynamiques locales de plus en plus structurées et des cadres réglementaires de plus en plus incitatifs, les startups du continent ont levé 6,5 milliards d’euros sur l’année, selon Partech, une croissance de 8% par rapport à 2021.

Sur la même période, les investissements VC aux États-Unis et en Europe ont chuté de -36% et -15% respectivement. Cette dynamique exceptionnelle se traduit non seulement par une croissance des montants investis dans des startups africaines, mais aussi par une augmentation du nombre d’investisseurs en Afrique qui a dépassé pour la première fois la barre des 1.000 investisseurs en 2022. Cependant, les entrepreneurs ne bénéficient pas tous de la même manière de l’intérêt croissant des investisseurs locaux et internationaux pour les startups africaines.

Selon les données communiquées par Africa Big deal, les statistiques sur le financement des femmes entrepreneures en Afrique sont alarmantes. En effet, les startups créées par des femmes entrepreneures ne représentent que 2% du total des fonds levés en Afrique en 2022. Ce pourcentage augmente lorsqu’on inclut les startups fondées par des équipes mixtes, mais ne dépasse pas les 15%. Malheureusement, si l’on compare ces chiffres aux années précédentes, la situation ne montre aucune amélioration.

Comment expliquer cet impressionnant “gender gap” ?
La disparité dans le financement des startups résulte de plusieurs défis, qui impactent, d’un côté, le nombre de femmes qui créent des startups et initient des démarches de levées de fonds, et, de l’autre, le taux de succès des femmes entrepreneures dans leur démarche de levée de fonds. Parmi ces défis, nous pouvons citer :

1. Un manque de modèles féminins de réussite entrepreneuriale, qui empêche les talents féminins de se projeter en tant qu’entrepreneures à fort potentiel. Cela se traduit par une plus grande réticence des femmes à se lancer dans l’entrepreneuriat, mais aussi, pour celles qui ont quand même sauté le pas, par des ambitions de croissance qui sont souvent plus modérées comparées à celles des fondateurs. Cette réalité a un impact direct sur la proportion des startups fondées par des femmes qui arrivent dans le pipeline des investisseurs.

2. Des difficultés d’accès à des réseaux de mentors, qui jouent un rôle clé dans la mise à disposition d’expertise et de contacts et qui peuvent utiliser leur influence pour accélérer la croissance et la levée de fonds des startups. Ces difficultés viennent en partie du fait que les femmes consacrent généralement moins de temps que les hommes à cultiver leurs réseaux en raison, notamment, de leurs obligations familiales.

3. Des biais de genre, qui existent encore aujourd’hui au niveau des processus d’identification et de sélection des programmes d’accompagnement et de financement existants, et qui peuvent favoriser les startups fondées par les hommes au détriment des startups fondées par les femmes. Ces biais, généralement inconscients, se retrouvent à toutes les étapes de ces processus, de la communication autour des opportunités qui utilise des images manquant de diversité, à la constitution des jurys de sélection qui sont dominés par des évaluateurs masculins, en passant par la formulation des critères d’éligibilité qui peut pousser les fondatrices à s’exclure, a priori, sans tenter leur chance.

4. Une perception négative des comités d’investissement, qui peuvent avoir tendance à avoir moins confiance en des startups fondées par des femmes, et à sous-estimer leur potentiel de croissance et de rentabilité. Cette perception négative affecte non seulement le nombre d’opportunités de financement pour les femmes entrepreneures, mais aussi les niveaux de valorisation qu’elles peuvent espérer sécuriser.

Que peut-on faire alors en tant que partie prenante de l’écosystème ?
Les différentes parties prenantes de l’écosystème ont un rôle clé à jouer pour adresser ce “gender gap”, que ce soit les fonds, les structures d’accompagnement ou toute organisation publique ou privée qui initie des programmes ciblant des startups. Informer et sensibiliser autour de la problématique et de ses impacts chiffrés est une première étape importante pour créer une plus grande prise de conscience. Mais au-delà de ça, nous proposons quelques quick wins à mettre en place facilement pour avoir un impact concret :

• Assurez une communication inclusive autour de vos programmes. Choisissez des visuels inclusifs (avec un équilibre entre personnages masculins et féminins), et qui valorisent le rôle que les personnages féminins jouent (en les plaçant en position de leadership dans les images choisies, par exemple). Choisissez des prises de parole qui ne découragent pas les femmes de postuler ou de participer, et assurez-vous de relayer les opportunités auprès de groupes dédiés à l’entrepreneuriat féminin. N’hésitez pas à faire revoir votre plan de communication par des entrepreneures pour collecter leurs feedbacks en amont.

• Garantissez une sélection non biaisée en ayant un équilibre entre évaluateurs hommes et femmes à toutes les étapes du processus de sélection. N’hésitez pas à impliquer différents évaluateurs pour challenger les critères de sélection et la manière dont ils sont formulés avec une approche sensible au genre. Vous pouvez aussi appliquer une discrimination positive en accordant des points supplémentaires aux startups fondées ou dirigées par des femmes.

• Pensez à inclure dans vos programmes des modules dédiés au leadership féminin et au soft skills (communication, réseautage, gestion de conflits…), afin d’aider les entrepreneures que vous accompagnez à dépasser les limitations qu’elles pourraient avoir développé et libérer leur plein potentiel.

• Faites le choix de vous ouvrir à des relations de mentoring avec des femmes entrepreneures autour de vous. En tant que mentor, vous pourrez jouer un rôle clé pour booster leur confiance en elles, élargir leur capital social et accélérer le succès de leurs startups.

• Mettez en avant les success-stories de femmes entrepreneures autour de vous, dans votre communication propre, dans vos prises de parole média ou dans les événements que vous organisez. Même si cela nécessite un peu plus d’effort de réflexion en amont, l’impact que vous aurez en inspirant les prochaines générations  d’entrepreneures à se lancer dans l’aventure en vaut la peine.

Il n’y a plus aucun doute que dans les écosystèmes startups africains comme dans tous les autres secteurs, l’inclusion des femmes est critique pour assurer le développement socio-économique du continent. Cette inclusion passe par un accès équitable et inclusif à l’accompagnement et au financement de leurs entreprises, et c’est notre responsabilité à tous en tant qu’acteurs de ces écosystèmes d’y contribuer pour renverser la  tendance.Et si on ciblait un objectif de 30% de fonds levés par des startups fondées par des entrepreneures  africaines d’ici à 2030 ?


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