Le cost-killing n’est pas la réponse à la crise du football marocain
Par Abdelkader Bourhim
Expert en développement stratégique et opérationnel des clubs et des organisations sportives
Les clubs marocains de la Botola Inwi Pro D1 et D2 font face actuellement à une crise sans précédent. Le déficit des revenus liés à l’absence du public dans les stades pour cause de Covid-19, le retrait de sponsors, déjà peu nombreux, cumulé au désintérêt des investisseurs privés marocains pour le football, ont engendré des millions de dirhams de manque à gagner pour les clubs. Des conditions précaires qui rendent notamment difficile le paiement des différents salaires et primes des joueurs. Cette situation n’est évidemment pas propre au Maroc. Nous le savons, les moyens d’amortir ces chocs conjoncturels mais surtout structurels, dans le cas de notre football, sont limités. La solution, qui s’est tout de suite présentée, est celle de la réduction stricte et drastique des coûts.
Dans notre championnat, c’est malheureusement un peu comme couper la jambe d’un unijambiste. Ces mesures risquent de fragiliser durablement la Botola Pro, qui accuse un retard abyssal sur le plan économique. Notre championnat est bien moins valorisé que les championnats sud-africain ou égyptien, avec lesquels nous avons l’habitude de nous comparer. Or, sur le plan de la performance sportive, il vient de gagner le CHAN 2020 et s’impose comme le premier championnat africain, d’après un récent classement de la CAF. Une question se pose : Comment des clubs marocains peuvent-ils pratiquer une telle diminution des coûts, alors que leurs revenus et leurs fonds propres, à quelques rares exceptions, étaient dérisoires bien avant la pandémie ? Nous ne sommes pas naïfs. Il n’y a pas de remède miracle. Toutefois, la fiscalité et la révision du modèle économique des clubs sont des pistes auxquelles nous devons nous intéresser davantage pour envisager un rebond efficace et viable. Depuis l’instauration de la loi 30-09, relative à l’éducation physique et aux sports, il est enfin possible pour les clubs, dont la majorité est encore constituée, aujourd’hui en association, de faire leur transformation en société sportive. Cette transition est une nécessité pour le sport marocain en général et pour le football en particulier. Le constat est, qu’aujourd’hui, la majorité des clubs n’ont pas achevé les formalités administratives pour entériner cette mutation. Pire encore, cette transformation s’est avérée un réel casse-tête pour une partie d’entre eux qui peinent à assumer leur nouveau statut. Une situation qui pèse sur les ressources financières des clubs puisqu’ils n’ont pu bénéficier par exemple des dispositifs d’aides mises en place par l’État pendant la Covid-19. La loi de Finances 2021, qui a consacré un volet important au sport, a, d’une certaine manière, manqué de générosité quand elle propose de plafonner l’IS à 17,5% sur cinq ans, pour les sociétés sportives. L’intention est là. Mais au vu du contexte actuel, il est impératif d’aller plus loin pour soutenir les clubs de football marocains en proie à des difficultés économiques récurrentes.
N’aurait-il pas été préférable de mettre en place un moratoire sur cinq ans avec l’exonération totale des charges sociales et de l’impôt sur les marges opérationnelles des clubs constitués en sociétés sportives ? Ce serait, à n’en pas douter, un moyen efficace d’encourager l’investissement privé dans les clubs et donc les inciter à finaliser leur passage vers la société sportive. Mais restons lucides. Cette transition ne se fera pas sans heurts. Raison pour laquelle il faut accepter le changement, faire preuve de patience et penser à anticiper l’après. Lorsqu’on est confronté à une crise économique de cette ampleur, la réduction des coûts est souvent le premier réflexe. Elle est aussi perçue comme l’unique issue à court terme. Le départ de certains joueurs à gros contrat vers les pays du Golfe et les restrictions au niveau des recrutements dans les clubs, nous exposent à un appauvrissement du niveau de notre championnat. La Botola n’est pas encore une grande ligue professionnelle. Les conséquences seront donc très lourdes et probablement irréversibles. La réalité du football marocain est qu’il dépend presque essentiellement des subventions de la FRMF et des collectivités territoriales. Rappelons que la Botola a coûté, en 2019, près de 170 millions de dirhams à la fédération. Le modèle économique des clubs marocains est, donc, bien loin d’être optimal. Et pourtant. Ils sont tous propriétaires de nombreux droits, qu’ils soient commerciaux, télévisuels ou publicitaires et qui constituent autant de potentielles sources de revenus largement sous-exploitées. Faut-il rappeler, qu’à l’heure actuelle, rares sont les clubs qui disposent d’actifs ?
Le cost-killing n’est pas la réponse à la crise que traverse le football marocain. Ce dernier ne peut se satisfaire de ce confort précaire qui entrave son essor économique. Même si cela paraît contre-intuitif, cette crise est une opportunité pour investir. Investir dans les compétences managériales, investir dans les partenariats, dans le branding ou encore dans le digital. Des segments dans lesquels, le football marocain est encore beaucoup trop défaillant et qui est en grande partie responsable du déficit de compétitivité économique de la Botola Pro Inwi.Le temps est venu de s’engager pour une véritable restructuration du fonctionnement des clubs de football professionnel marocains. L’un des enjeux majeurs est d’en faire des organisations productives, créatrices de valeur et de richesses pour qu’elles soient attractives aux yeux des investisseurs nationaux et internationaux. C’est assurément la planche de salut. En Afrique du Sud, les droits TV et les contrats de sponsoring de grandes entreprises ont permis en 2019 de faire gagner à leur championnat plus de 6 milliards de dirhams. Autant dire que ce défi est à notre portée. Par une volonté affirmée des instances de réformer en profondeur le business model de notre championnat, nous pouvons espérer voir enfin la Botola Pro Inwi faire coïncider résultats sportifs et performance économique.