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Industrie 4.0 et métiers de demain. Quel rôle pour les universités ?

La quatrième révolution industrielle est déjà là! Nous la vivons quotidiennement via les trains sans chauffeur, les drones, la télémédecine, les réalités augmentées de l’événementiel et de la télé-réalité, l’usage de la technologie blockchain pour sécuriser les contrats, les constructions et espaces intelligents, l’analyse Big Data et ses utilisations politiques et commerciales, etc. Il est tout à fait probable que dans un avenir très proche, on insère des puces dans le cerveau de l’être humain pour renforcer sa mémoire ou lutter contre la maladie d’Alzheimer, ou qu’on utilise l’ingénierie, la biologie, la physique et la chimie pour créer des organismes artificiels ou modifier d’autres d’ordre naturel. La géo-ingénierie peut servir à modifier les effets des changements climatiques. Et il est envisageable que, dans pas mal de temps, les chirurgiens puissent mener à bien des opérations sophistiquées à distance à l’aide de robots et de l’ingénierie de l’image et du son.

L’impression 3D sera utilisée prochainement dans les foyers pour «imprimer» la nourriture, les habits et pratiquement tous les objets de consommation habituelle. Il est tout à fait possible d’imaginer des cœurs ou oreilles artificiels, imprimés en 3D, à des fins médico-chirurgicales. Mais comme toute révolution, celle-ci conduit à des changements profonds et à des mutations bouleversantes. La digitalisation tous azimuts va entraîner un recalibrage organisationnel et des ressources humaines! La nature du travail changera à cause de l’automatisation partielle ou totale! La mobilité sera radicalement différente avec l’introduction des voitures volantes et des voitures sans chauffeur! La bio-génétique et l’intelligence artificielle pourront changer la manière avec laquelle les cancers, Alzheimer, les maladies cardio-vasculaires et l’hypertension artérielle seront traités. Le changement est dans l’air, la révolution bat son plein ! Mais les entreprises sont mal préparées dans les pays industrialisés, et très en retard -pour ne pas dire perdues- dans les pays du Sud. Au moins, chez «eux» on en parle; les uns et les autres commencent à s’intéresser, quoique le passage à l’action demeure limité, exception faite des startups et des Uber, Apple, Facebook, Amazon, Google et Booking de ce nouveau monde qui se dessine chaque jour devant nos regards perdus.

Chez nous, la réalité de la quatrième révolution industrielle ne semble pas encore affecter le quotidien de nos entreprises, ou peut-être qu’elles sont affectées, mais pas de la même manière que chez les pays industrialisés. Dans la plupart de nos entreprises, on remarque l’absence d’une vision concernant l’intégration de l’IA, ni l’utilisation du Big Data pour mieux vendre; aucune stratégie de reskilling des RH n’existe chez la plupart de nos acteurs du secteur privé. Chose normale vu que personne ne peut prévoir comment le monde du travail et des compétences va évoluer au long des dix à quinze prochaines années. Idem pour les universités arabes et africaines: malgré des efforts louables ici et là dans le domaine de la modernisation et la gouvernance, les plans stratégiques relatifs au développement de la demande en nouveaux skills tardent à venir. On ne sait toujours pas par quoi commencer et comment le faire. Le rôle des gouvernements est primordial dans ce sens! Il faut mettre en place des scénarios en fonction des réalités économiques des différentes régions et pays, de leur stratégie industrielle et d’innovation et de l’impact des développements technologiques mondialisés sur la production et la productivité locales. Ces scénarios doivent renseigner les pouvoirs publics, les associations professionnelles et les universités sur les métiers de demain et les skills requis pour bien préparer les lauréats. Mais il faut être flexible puisque les développements futurs ne sont ni clairs, ni certains. C’est pourquoi il faut mettre l’accent sur les compétences de vie, les skills d’entrepreneuriat et le lifelong learning (apprendre à apprendre toute la vie). Les ressources humaines de demain doivent être agiles, flexibles, toujours prêtes à se former et à se reformer; l’adaptabilité est primordiale.

Le reskilling est le préalable à toute préparation de la main-d’oeuvre à l’ère de l’automatisation et de la digitalisation. Mettre en place des curricula adaptés nécessité une agilité que les universités n’ont pas, surtout dans les pays en développement. Il faut mettre en place des bachelors fondés sur les life skills, le lifelong learning et les STEM (Sciences, Technologie, Ingénierie et Maths) en tant que tronc commun (dont les compétences auront commencé à être dispensées au niveau du collège et du lycée) et investir dans les spécialisations de l’Industrie 4.0 en troisième et quatrième années. Ceci nécessite déjà l’abandon de la séparation erronée et longtemps maintenue entre «scientifique» et «littéraire», deux catégories imaginaires qui ont «ossifié» les spécialisations et les carrières de générations de Marocaines et Marocains. Mais cela nécessite également une refonte complète des compétences des enseignants et de leurs méthodes d’enseignement. Une véritable révolution dans la culture de l’enseignement est nécessaire. Les enseignants doivent se remettre en question, apprendre de nouvelles façons de faire et moderniser leur vision de l’apprentissage. Ils doivent également «apprendre à toujours apprendre». La quatrième révolution industrielle est une réalité qui n’a pas encore révélé tous ses secrets. Elle devrait bientôt parvenir à son apogée. Les organisations qui ne se préparent pas ou le font mal sont condamnées à disparaître. La nouvelle ère favorise les visionnaires, les courageux qui n’ont pas peur du changement mais qui y voient une opportunité pour mieux faire, pour mieux évoluer dans la jungle de la révolution de l’industrie 4.0. La quatrième révolution industrielle est source d’anxiété, certes, mais elle est également porteuse d’espoirs pour celles et ceux qui sauront cueillir à temps ses nombreux fruits.

NB : Une version plus détaillée et plus académique de cet article a été
publiée sur Harvard Business Review Arabic sous le titre :
«الثورة الصناعية الرابعة: مهن ومهارات الغد و دور الجامعات» le 4 février 2020. Le copyright de cet article est la propriété de HBR Corporation.

Lahcen Haddad
Expert en entrepreneuriat


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