Gestion déléguée : Faut-il repenser le modèle ?

Dans les années 1990, face à l’inefficacité de plusieurs régies autonomes – quoique qu’il y ait eu des exceptions – à cause de dysfonctionnements endogènes et de contraintes exogènes diverses qui rendaient leur réforme délicate, l’État, sous l’impulsion des institutions multilatérales, la Banque mondiale en tête, a délibérément cherché à attirer la participation d’opérateurs privés réputés sur le plan international et dotés d’assises financières et techniques solides afin de répondre aux exigences d’externalisation des dépenses pour soulager les finances publiques et aux impératifs de mise à niveau et de modernisation des services urbains en réseaux (eau, électricité, assainissement, transport urbain…).Aujourd’hui, le bilan mitigé de l’expérience des deux dernières décennies en matière de participation du secteur privé international dans la production et la fourniture de ces services interpelle les pouvoirs publics pour réinventer les modes de leur financement et de leur gestion en faveur d’une gouvernance renouvelée favorisant l’émergence de nouvelles relations entre les acteurs institutionnels et économiques intervenant dans ces secteurs.
La tendance à l’œuvre de séparation des composantes de l’investissement et de l’exploitation. Cela consiste en la création d’une société de patrimoine chargée de la réalisation des équipements d’infrastructures dans le cadre d’un mandat de maîtrise d’ouvrage déléguée avec l’État et/ou la collectivité territoriale, et d’une société en charge de l’exploitation impliquant notamment, dans son tour de table, des opérateurs privés spécialisés afin d’apporter leur expertise technologique et leur savoir-faire des métiers. Dans cette configuration, l’État assume ses responsabilités en matière de définition des politiques sectorielles dans un cadre légal et réglementaire préétabli, de participation au financement des investissements de premier établissement et de renouvellement des installations et de définition, via des dispositifs de régulation, de politique de tarification dans une logique de péréquation permettant un accès équitable de toutes les catégories d’usagers aux services concernés, y compris les plus démunies. Le respect de l’application des textes législatifs et réglementaires, la protection des intérêts des différents acteurs (collectivités territoriales, usagers, entreprises, société civile…) ainsi que l’arbitrage des conflits éventuels sont alors possiblement assurés plus facilement sous la responsabilité d’une ou de plusieurs autorités compétentes pour la régulation sectorielle et qui veillent également au développement efficace et durable des différents secteurs.
Constitution d’un actif immatériel des services
Le recadrage de la participation du secteur privé international résiderait moins, pour les collectivités territoriales, dans ce qu’elles peuvent en aspirer du point de vue du financement de l’investissement que du côté de la construction d’un savoir-faire des métiers facilitant une gestion autonome et durable de ces services. Cela milite en faveur d’une nouvelle génération de contrats, relevant non plus du modèle essoufflé de la concession intégrale, mais plutôt de «contrats de management à objectifs», basés sur la cogestion sous maîtrise d’ouvrage de ces collectivités et un partage des organes de direction, et sur lesquels le secteur privé n’est plus l’investisseur principal. Le contrat de management, généralement établi pour une durée moyenne variant de 4 à 7 ans, est rémunéré sur la base d’un fixe et d’une variable liée à la performance. Il est conçu et négocié à partir d’un plan de développement du service contenant un diagnostic exhaustif partagé, la définition d’une vision commune assortie d’objectifs clairs de mise à niveau et de modernisation de son patrimoine productif et la mobilisation de moyens proportionnés aux enjeux du service, avec un processus décisionnel partagé et une répartition claire et complémentaire des rôles dans la relation contractuelle.
Tout en offrant aux collectivités territoriales l’opportunité de renforcer leurs connaissances et leurs capacités de négociation et de suivi d’exploitation, le contrat de management est porteur d’une dynamique de changement et de progrès car il contient un grand potentiel d’engagement, de responsabilisation et d’autonomie des équipes locales et de transfert d’expertise grâce à la mise en place de programmes annuels contractuels de formation continue assurée par le partenaire privé. L’élaboration d’une cartographie des savoir-faire managériaux et comportementaux requis ainsi que l’identification des leviers motivationnels des managers, de leurs atouts et leurs potentiels de progression deviennent des aspects essentiels pour consolider les capacités du top management et favoriser la capitalisation des talents et l’émulation positive entre les équipes.
Le transfert de savoir-faire se traduit concrètement par la mise à disposition, par l’opérateur, d’un réseau d’experts qui apportent une diversité de compétences techniques et managériales, en organisant l’assistance technique et en mobilisant les moyens technologiques requis. Il s’agit d’accompagner la réalisation de projets stratégiques et innovants et la constitution d’un actif immatériel précieux pour l’avenir du service (système d’information clientèle, financier et comptable, mise en place et étalonnage d’indicateurs de performance, système d’information géographique, télégestion, télédétection des anomalies, maintenance et exploitation des réseaux, gestion des ressources humaines…etc.).Cette transmission de savoir-faire collectif est également effectuée par la remise des bonnes pratiques des métiers, l’accompagnement de la montée en puissance des performances opérationnelles et l’appropriation locale des méthodes et des outils modernes de travail dans une perspective d’anticipation de l‘avenir et d’autonomie managériale durable.
Mohammed Benahmed
Directeur des grands projets Fonds d’équipement communal