Opinions

Arrêt de Noor III : une aubaine pour le Maroc

Par Oussama Guennouni
Ingénieur, consultant en stratégie énergie et mines

L’objectif de cette analyse est d’examiner en profondeur le raisonnement ayant conduit au choix de la technologie solaire thermodynamique sous forme de tour solaire, en mettant en lumière les facteurs politiques, économiques et techniques ayant influencé cette décision.

Il est essentiel d’identifier les failles stratégiques éventuelles afin de proposer un cadre de réflexion susceptible d’éviter la répétition d’erreurs similaires. Une approche plus rigoureuse, intégrant une analyse critique et une évaluation comparative des alternatives, aurait permis d’optimiser les investissements dans les énergies renouvelables au Maroc, tout en limitant les risques d’échec.

Une vision royale structurante, sans contrainte technologique
En 2009, le Roi Mohammed VI a lancé une stratégie énergétique ambitieuse visant à diversifier le mix énergétique national, réduire la dépendance aux énergies fossiles — le Maroc importait alors près de 95% de ses besoins —, exploiter pleinement le potentiel solaire et éolien du pays, et positionner le Royaume comme un leader régional des énergies renouvelables.

Si les orientations royales ont fourni un cap clair et des objectifs élevés, elles n’ont imposé aucune technologie spécifique. Le choix des solutions techniques a été confié aux experts et institutions nationales, au premier rang desquelles MASEN — l’Agence marocaine pour l’énergie durable —, désignée ici comme l’Entité publique marocaine (EPM).

MASEN face à une décision controversée
MASEN s’est vu confier la mission de développer les énergies renouvelables, en pilotant la conception, le financement et la réalisation de projets solaires, éoliens et hydrauliques. Elle devait également attirer les investissements, assurer la coordination entre acteurs et promouvoir la recherche et l’innovation.

C’est dans ce contexte que l’EPM a opté pour une technologie de tour solaire thermodynamique de 150 MW, la plus grande du monde à l’époque.

Un choix audacieux, qui interroge dès lors qu’on le confronte aux projets contemporains menés ailleurs : aux États-Unis (Ivanpah de 392 MW, répartis sur trois unités), en Afrique du Sud (Khi Solar One de 50 MW), ou en Australie (Sundrop Farms de 1,5 MW), les puissances installées étaient inférieures ou comparables, mais toujours assorties d’une approche prudente.

L’ambition solaire, pari mal calibré
Le désir du Maroc de s’imposer comme pionnier dans le domaine de l’énergie solaire concentrée a conduit à engager un projet d’une ampleur sans précédent, dépassant les choix mesurés de pays plus avancés technologiquement. Cette course à la grandeur s’est opérée sans maîtrise complète des défis économiques et techniques associés, ni réelle considération des alternatives possibles.

Le projet a ainsi incarné une tension récurrente entre l’ambition politique de visibilité internationale et les exigences d’une évaluation rigoureuse. En annonçant la construction de la plus grande tour solaire du monde, le Maroc a gagné en reconnaissance et en prestige. Mais les considérations techniques ont été reléguées au second plan.

Une stratégie influencée par des intérêts extérieurs
Lorsqu’un pays ambitionne d’être à l’avant-garde technologique, il devient la cible de grandes entreprises et de lobbies souhaitant imposer leurs solutions. Dans le cas du solaire thermodynamique à tour avec stockage thermique, les arguments ont été séduisants : production nocturne, bénéfice écologique, indépendance énergétique. Pourtant, les défis réels ont été peu mis en avant.

Le précédent espagnol est à ce titre éclairant. Grâce à un système de tarifs de rachat garantis, l’Espagne a sécurisé les investissements dans le solaire thermodynamique, permettant la construction de projets emblématiques comme PS10, PS20 et Gemasolar.

Cette politique a stimulé l’innovation, mais s’est avérée budgétairement intenable, entraînant des coupes après 2011. Une fois son expertise consolidée, l’Espagne a adopté une stratégie commerciale offensive : forums internationaux, création de groupes d’influence, communication agressive. Des campagnes de lobbying ont ainsi contribué à orienter les choix de l’EPM.

Le parallèle avec la pression allemande contre le nucléaire français, à travers des relais d’opinion, est instructif. Par ailleurs, entre 2009 et 2014, la Banque mondiale a massivement soutenu le développement de projets CSP en Afrique du Nord, annonçant un investissement de 5,5 milliards de dollars pour onze centrales. Ce soutien financier a facilité l’engagement dans des projets risqués, sans que les choix technologiques soient systématiquement passés au crible.

Des précédents historiques à méditer
De nombreux pays ont tenté de brûler les étapes technologiques, souvent à leurs dépens. Le Concorde franco-britannique, fleuron de l’aéronautique supersonique, en est un exemple. Technologiquement audacieux, économiquement désastreux.

Les grandes tours solaires pourraient s’inscrire dans cette lignée : coûteuses, fascinantes, mais potentiellement non viables. Les pays en développement se retrouvent ainsi à expérimenter des technologies encore en rodage, servant de vitrine plus que de levier industriel. Le Maroc doit résister à la tentation des projets de prestige, dont les retombées économiques sont incertaines.

Une adjudication verrouillée et un projet aujourd’hui à l’arrêt
L’appel d’offres du projet NOOR III a été lancé en 2012, avec une technologie imposée : une tour solaire de 150 MW. Le consortium ACWA Power – Sener en a été adjudicataire, avec la responsabilité pleine et entière de la réalisation et de l’exploitation du site.

Or, aujourd’hui, la centrale est à l’arrêt. La perte de production de 150 MW, soit moins de 1,5% de la capacité nationale, peut être absorbée. Mais la spécificité de NOOR III — son stockage thermique — offrait un atout certain pour lisser les pics de demande nocturnes. Son arrêt pourrait donc fragiliser la flexibilité du réseau.

Sur le plan économique, l’accord avec ACWA Power est censé prévoir des clauses de responsabilité. Si la faute revient à l’exploitant, des indemnités devraient être versées à MASEN. Ce qui, paradoxalement, pourrait transformer un échec industriel en opportunité économique.

En l’absence de production, le Maroc n’aurait plus à acheter une électricité au coût élevé, ce qui représenterait une économie de plusieurs milliards de dirhams. Plus encore, cette situation pourrait être un levier pour renégocier les conditions des projets NOOR I et II. À condition que MASEN sache défendre les intérêts du pays, une telle crise peut être tournée en correction stratégique.

Tirer les leçons pour un futur énergétique maîtrisé
L’expérience NOOR III invite à une révision en profondeur des choix stratégiques. Le Maroc gagnerait à s’éloigner des projets de grande envergure lancés sans validation technique progressive, et à concentrer ses efforts sur des solutions dont la compétitivité est démontrée. Il lui faut également résister aux pressions extérieures lorsqu’elles ne s’accompagnent pas d’un véritable transfert de savoir-faire.

Enfin, tout partenariat devrait viser à générer une valeur ajoutée locale durable, condition essentielle pour bâtir une industrie énergétique nationale solide.

Avec ces principes, le Maroc peut construire une politique énergétique plus résiliente et durable. Il s’agit de sortir d’une logique de vitrines pour entrer dans une stratégie industrielle articulée autour de l’efficience.

Quelle stratégie pour demain ?
Le Maroc ne peut plus se permettre l’improvisation. Trois axes s’imposent : investir progressivement, en menant des projets pilotes à taille maîtrisée ; s’inspirer des réussites étrangères, notamment en matière de transfert technologique ; et sélectionner les technologies en fonction de leur capacité à générer une valeur ajoutée locale.

Une telle démarche suppose un dialogue exigeant avec les investisseurs, et une vision à long terme de l’intérêt national. L’histoire de NOOR III montre qu’un échec apparent peut ouvrir la voie à une meilleure stratégie. À condition de savoir le reconnaître, l’analyser, et en tirer les bonnes leçons.



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