Opinions

Agriculture : nourrir la Nation

Allal Chraibi
Agri-food

Depuis quelques mois, les médias nous rendent compte du mécontentement de nos concitoyens eu égard à la hausse des prix des denrées alimentaires, laquelle par effet de cascade contamine tous les secteurs de l’économie sans exception. C’est l’inflation. Le côté déplorable de cette inflation c’est qu’elle frappe de plein fouet les faibles et moyens salaires. Acheter un kilo d’artichaut, d’oignon, ou de pomme de terre à plus de 10 DH nuit au prix de revient du tajine que l’on partage déjà en famille. Les pouvoirs publics, malgré leur bonne volonté, n’ont pu et ne pourront jamais aller à contre-courant de la loi impitoyable du marché qui s’impose d’elle-même, aussi bien constitutionnellement que commercialement.

Du reste, des situations inverses peuvent se produire lors des récoltes pléthoriques. Lorsque les agriculteurs ne peuvent plus cueillir les clémentines pendantes sur les arbres, ils les abandonnent faute d’acheteurs. Là aussi les autorités sont impuissantes. La loi du marché est un choix pour lequel nous avons opté depuis 1956. Vous ne pouvez rien faire contre cette impitoyable loi du libéralisme, et la contrarier coûte cher : les producteurs ont des engagements, et nuire ou imposer une révision du contrat pourrait décrédibiliser l’origine. Par contre, un peu tardivement, le législateur a décidé de réduire la TVA à l’achat de certains intrants ou achats du matériel agricole. Cela reste très insuffisant puisque, parmi les coûts de production, l’énergie occupe une place très importante.

Le soleil, richesse sous-exploitée
Le citoyen ne s’explique pas que notre excédent de soleil ne soit pas exploité telle la détaxe sous toutes ses formes sur les équipements des panneaux solaires. Nous avons un excédent de soleil qui est une richesse inexploitée. Cela réduirait très sensiblement les coûts de production, et dire le contraire serait un acte d’incivisme. De surcroît, que dire de l’obligation de toute maison de s’équiper de cet indispensable plateau sur le toit ? Cela devrait être imposé par l’urbanisme ; on devrait nous payer ou nous subventionner pour installer des panneaux solaires, alors que c’est le contraire qui arrive : nous payons des droits de douane, des TVA, rendant l’investissement inaccessible. L’État devrait subventionner cet équipement nourri par les ardeurs de Phoebus. Le seul moyen de réduire la facture de pétrole ruineuse. Les Norvégiens et les Finlandais nous envieraient. Nous devons faire de ce qui est un mal, une richesse. À toute chose, malheur est bon. Quelle est donc en dehors de ces constatations la grande solution à nos problèmes de pénurie agricole et hydrique ?

Alimenter l’Europe du nord et l’Afrique de l’ouest
Nous nous battons sur deux fronts : nourrir notre population sans contrainte de prix, et alimenter le nord de l’Europe et l’Afrique de l’ouest, nos voisins de la Mauritanie, du Sénégal, du Niger, et plus loin encore, par transport routier ou mieux par voie maritime. Cela concernera les légumes, fruits, et autres produits. L’Europe dépend en grande partie de l’Espagne. Savez-vous que le ventre de l’Europe au niveau agricole se trouve en Espagne ? Tout simplement à El Ejido, ce sont 40.000 hectares de serres en plastique qui couvrent la région proche d’Almeria. El Ejido se trouve dans une situation très compliquée en raison de la difficulté de pomper l’eau puisée depuis les forages à 600 mètres de profondeur, épuisé par la fatigue des terrains revigorés constamment depuis des décennies, par des tonnes d’engrais et de pesticides, et surtout épuisé par la pénurie de main-d’œuvre. Tenez-vous bien : la cueillette des fraises, qui commence à fin mars, est tributaire des 14.000 ouvrières marocaines. Bien plus, les Espagnols se tournent de plus en plus vers le Maroc pour réduire leurs coûts. Le leader espagnol des fruits, Alvaro, est depuis quelques années au Maroc. Qu’importe, nous restons libéraux et ouverts à tous les investissements.

Des marchés porteurs
La main-d’œuvre espagnole, compte tenu du développement de l’Espagne et de la pénibilité du travail agricole, fréquente de moins en moins les champs agricoles. Il est clair que nous avons devant nous des marchés très porteurs. Nos voisins sont de plus en plus clients et ont tendance à se substituer à la France. Ainsi l’Espagne est passée de 19.000 à 80.000 tonnes de tomates en 10 ans. Pour le poivron, les commandes ont grimpé de 21.000 à 74.000 tonnes. Sans oublier les avocats, myrtilles, ou autres framboises. Des performances réalisées grâce à l’accord de 2012 avec l’UE qui a libéralisé le marché européen par la suppression de certains tarifs, quotas, prix d’entrée. Vers l’Espagne seule, le volume à l’export est passé de 130.700 t à 496.000 t de fruits et légumes. Nous exportons, vers l’UE, 754.000 t de fruits et légumes. Le paysan marocain est un champion. Il a une qualité indéniable : il se contente de peu, est un fonceur, et maîtrise son métier. Il apprend très vite. Enfin l’avenir de nos exportations de fruits et légumes c’est de plus en plus l’Afrique subsaharienne. Nous y exportons 43.000 t de carottes pour ne citer que ce produit.

Changer de paradigme
Nous avons donc, en tant que plaque tournante entre l’Europe et l’Afrique, des potentialités énormes que nous pouvons réaliser. Et comme à toute chose malheur est bon, nous devons donc transformer cette sécheresse en source de croissance. La cause du déficit hydrique provient d’un manque d’équipements hydrauliques. Jamais le temps n’a changé aussi vite. Nous devons en un temps record changer rapidement de paradigme. Les 152 barrages que possède le Maroc, dont le potentiel de stockage est de 19 milliards de mètres cubes, doivent être considérés comme des réserves de secours. Leurs 34% de remplissage serviront juste pour quelques mois. Il faut les «plier» et les mettre de côté. Un vieil oncle, il y a des décennies, nous disait que pour nous en sortir, nous devions suivre le modèle espagnol. Nos voisins du nord ont moins de plaines que nous et sont couverts de montagnes. Or, savez-vous que l’Espagne, qui vit sa sécheresse depuis des années (raccordement du Tage à Murcia soit 300 km environ avec canaux et aqueducs), dispose de 380 usines de dessalement d’eau de mer et a démarré cette technologie depuis 40 ans ? La sécheresse nous amène à mettre en place un vaste plan de développent hydrique le long de l’Atlantique et de la Méditerranée. Nous ne devons pas attendre le choc subi par Barcelone en 2008 : elle avait importé de l’eau potable par navire. L’eau de pluie est très saisonnière, l’eau dessalée est pérenne. Bien sûr que le coût du mètre cube d’eau dessalée est cher – de 5 à 6 dirhams -, mais qu’importe ! Il est source de richesse. Cet investissement c’est tout ce qui reste pour rebondir au sens économique du terme et aider nos paysans à sortir de leur léthargie.

On se demande, par contre quel est le coût moyen du mètre cube en provenance du barrage. La construction de l’usine de dessalement d’eau de mer d’Agadir a coûté 4,4 milliards de dirhams. Nous pouvons jouer sur le poste énergétique par l’équipement solaire, bien sûr avec une augmentation des amortissements. Un business plan doit impérativement être établi : il s’agit de mobiliser des terres, de procéder à des exportations avec une ponction sur les ventes, de créer du foncier, d’économiser des devises et donc de créer des richesses… Un second El Ejido est possible dans toutes les régions ! Il est permis de rêver ! Bien sûr que notre ministre de l’Équipement fait du travail remarquable. On aurait souhaité que notre problème hydrique soit – disons-le avec force et fracas – LA priorité nationale pour établir des études sur tous les fronts. Bien plus prioritaire que le tunnel vers l’Europe ! Enfin, on souhaiterait connaître les incidences économiques et sociales.

Ces informations sont indispensables pour envisager avec espoir notre proche avenir. C’est le plan de financement global qui nous manque. L’Espagne produit 2 millions de m3/jour d’eau dessalée. Nous en produisons 110.000 m3/jour. Nous prévoyons, semble-t-il, à Agadir 400.000 m3/jour. C’est donc un PHN, un plan hydraulique national dont nous avons urgemment besoin. La balance commerciale alimentaire sera résorbée : les céréales, les bœufs, les moutons… Avec au moins 20 usines de dessalement, nous sortirons de l’impasse et sûrement les institutions internationales, les banques africaines et européennes nous aideront. Notre dossier est très bancable. Une affaire de 44 milliards de dirhams environ. L’internationale de désalinisation compte 13.800 usines de dessalement. Le club n’est pas fermé ! Le PHN est la seule solution pour la survie et le développement de nos misérables campagnes. Un ouvrier agricole touche 84,37 DH par jour, le prix d’un Doliprane.

Ce PHN lui est destiné. Il attend que l’on vienne à son aide depuis l’Indépendance. Il attend qu’Agadir ait la chance d’irriguer 13.600 hectares, grâce à son unité de dessalement. Les autres régions devraient suivre, semble-t-il. Beaucoup d’entre nous ont du respect pour de grands hommes du Maroc, tel El Mehdi El Mandjra : la prospective est une science qui permet d’envisager des projets à moyen et long terme. Un laboratoire d’hommes et de femmes qui pensent le futur. Tels Tanger Med, les autoroutes du Maroc… Le PHN doit être le projet phare de notre pays. Le laboratoire des penseurs de projet doit faire partie de nos institutions, pour que d’autres rêves puissent éclore.


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