Sécheresse et hausse des prix : vers une loi de Finances rectificative ?
Des voix s’élèvent pour demander une loi de Finances rectificative au vu de la conjoncture marquée par la sécheresse et la flambée des prix des denrées de première nécessité. Un virage qui serait hasardeux, alertent certains spécialistes.
Au Maroc, gouverner c’est «pleuvoir». Une pluviométrie insuffisante va de pair avec décroissance, chômage et difficultés au quotidien pour les citoyens les plus démunis. Or, c’est sans doute ce qui se profile à l’horizon quand on sait que le pays vit la pire sécheresse de ses trente dernières années.
Si le Roi a appelé le gouvernement à mobiliser une enveloppe de 10 MMDH pour lutter contre les effets de la sécheresse, à travers une série de mesures d’urgence, et à fournir l’aide requise aux agriculteurs et éleveurs, des voix s’élèvent déjà pour demander une loi de Finances rectificative. L’évolution de la conjoncture économique et financière, marquée par la sécheresse et la hausse des prix des denrées de première nécessité, induite par la flambée du cours du baril de pétrole, a en effet rendu caduques de nombreuses prévisions de la LF 2022.
Alors que l’Exécutif tablait sur une croissance de 3,2% et un déficit budgétaire de 5,9%, partant de l’hypothèse d’un rendement agricole de 80 MQX, les récoltes attendues, pour la présente campagne, sont estimées à moins de 40 MQX. Suffisant pour que le bureau politique du parti du Mouvement populaire (MP) demande une nouvelle feuille de route visant à corriger les dépenses et les recettes prévues par la loi de Finances initiale, tout en insistant sur la nécessité de prendre des mesures urgentes pour atténuer les répercussions de la sécheresse. L’avis du parti de l’opposition est partagé par certains économistes pour qui toutes les conditions sont réunies pour un nouveau débat devant les commissions permanentes du Parlement.
Les cours du pétrole toujours en hausse
Une démarche qui serait hasardeuse, nuance cependant l’économiste Hammad Kassal pour qui le manque de visibilité actuel est propice à tout sauf à une loi de Finances rectificative. «On ne peut rien prévoir à l’état actuel. Il faudra attendre le mois de mars pour savoir s’il y aura de la pluie ou pas», explique l’ex-vice président de la Confédération générale des entreprises du Maroc.
L’année dernière, il y a eu quelques précipitations au mois de mars, avec en tout 43 mm sur le mois, et en moyenne 1.35 mm par jour. Le record de précipitations sur un jour fut de 14,8 mm mais rien n’exclut une surprise pluviométrique. Une seule certitude pour l’heure, personne ne peut prédire de quoi demain sera fait. À cela s’ajoute un autre paramètre, plus difficile à maîtriser, en l’occurrence l’instabilité des prix des produits énergiques, ajoute notre interlocuteur.
À Londres, les cours du pétrole s’envolaient mardi, embrasés par la décision du président russe, Vladimir Poutine, de reconnaître l’indépendance des territoires séparatistes ukrainiens. Le prix du baril de Brent frôlait la barre symbolique des 100 dollars alors qu’à New York, celui de West Texas Intermediate grimpait de 4,86% à 95,50 dollars.
Face à toutes ces incertitudes, Kassal propose une réaffectation du budget de l’investissement public vers des besoins urgents et l’utilisation rationnelle des 10 MMDH prévus pour la lutte contre les effets du déficit pluviométrique. Convaincu que l’investissement sur la santé et l’éducation sont les priorités du moment, il souligne que les Marocains les plus touchés par la crise sont ceux qui sont en marge de la société car n’ayant aucune qualification professionnelle. À ce propos, Kassal propose «un smic universel» pour les citoyens qui perçoivent un revenu inférieur à 1.000 DH.
Clarifier les jeux de la concurrence
Pour rappel, la loi de Finances 2022 prévoit des investissements records dépassant les 245 milliards de dirhams (MMDH). Ainsi, il est prévu que le budget alloué à l’investissement public progresse de 6,5% par rapport à l’année dernière, réparti sur le budget de l’État (Budget général, Compte spéciaux du Trésor et SEGMA), le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, les établissements et entreprises publics et les collectivités territoriales. Il faudrait également assainir le climat des affaires de manière à fluidifier le marché et encourager les investissements.
«Aujourd’hui, on a des délais de paiement qui atteignent des sommets colossaux», insiste l’expert. Pour que les investissements soient porteurs, dit-t-il, il faudrait que les jeux de la concurrence soient clairement établis et que la transparence porte sur la connaissance des décisions et leurs motivations. «On a beau avoir des lois mais si elles ne sont pas rigoureusement appliquées, on n’aura jamais les résultats escomptés», conclut Kassal. Du côté de l’Exécutif, toute révision des taxes imposées aux produits les plus difficile d’accès actuellement, en l’occurrence les produits pétroliers, est totalement exclue, et ce en dépit de la hausse vertigineuse des prix des carburants dans les stations.
«Les personnes les plus touchées par la crise, ce sont les Marocains les plus vulnérables. Ils n’ont aucun niveau d’instruction et vivent en marge de la société. Il est donc nécessaire de veiller à la bonne affectation des ressources encore disponibles, à l’endroit des citoyens dans le besoin». Hammad Kassal, Économiste
Khadim Mbaye / Les Inspirations ÉCO