Réforme de la santé : la pilule ne passe pas au parlement

Une pluie de revendications s’est abattue sous l’Hémicycle, mercredi soir, au fil d’une séance animée de la commission des secteurs sociaux, dans un contexte marqué par de fortes tensions sociales. Les députés de la majorité comme de l’opposition ont exprimé leurs préoccupations quant à la gestion du secteur de la santé face au ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tehraoui, qui s’est prêté à l’exercice tout en défendant son bilan sur la réforme sanitaire.
La commission des secteurs sociaux de la Chambre des représentants, s’est réunie mercredi 1er octobre au Parlement, lors d’une séance publique transmise – exceptionnellement – en direct et qui s’est poursuivie jusque tard dans la nuit. Et pour cause, le contexte est inédit : plus tôt dans la journée, plusieurs rassemblements dans différentes villes du Royaume avaient eu lieu pour réclamer des réponses urgentes en matière de santé et d’éducation. L’occasion, pour les parlementaires comme pour le ministre de la Santé, d’exposer leurs griefs et de répondre à la colère grandissante d’une opinion publique excédée par les défaillances du système sanitaire.
Paradoxe budgétaire
D’emblée, les députés soulignent que, paradoxalement, le budget de la santé affiche une progression substantielle, avec une enveloppe portée à 34 milliards de dirhams, soit près de 5% du budget de l’État, sans que cela se traduise par une amélioration tangible de la qualité des soins.
En cause, la gestion défaillante pointée du doigt par les députés, notamment les USFPistes, particulièrement dans les collectivités territoriales, où l’absence de suivi et de coordination continue de miner l’efficacité de la dépense publique. Ce diagnostic budgétaire trouve un écho dans le manque d’autonomie qui caractérise le fonctionnement des hôpitaux publics.
À Rabat, la fermeture d’Avicenne a accentué la pression sur un réseau déjà congestionné, où l’hôpital Moulay Youssef, établissement de référence de la capitale, fonctionne en continu au-delà de ses capacités. La situation est aussi préoccupante à Casablanca, où plusieurs établissements témoignent des mêmes carences.
Entre autres remontées des députés : À Ibnou Rochd, les agents de sécurité en viennent parfois à exercer une autorité supérieure à celle du corps médical, ce qui complique davantage l’accès aux soins. D’autres incidents qui avaient marqué l’opinion publique ont également été remis sur la table.
Dans la capitale économique, la liste des défaillances se poursuit avec l’hôpital de Sidi-Othman, où d’après une députée USFPiste, de nombreux services tournent sans médecin attitré, et où il est rare que les patients y bénéficient d’une prise en charge effective.
«L’État peine à assurer le strict minimum, alors même qu’il consacre des moyens croissants à ce secteur», relève Ouzzine.
Les députés ont souligné la contradiction entre la disponibilité relative des ressources et la faiblesse persistante de l’offre, qui conforte l’idée selon laquelle l’enjeu est d’abord celui de la gouvernance. Au fil de l’activité parlementaire, la critique s’est déplacée du champ budgétaire vers celui de l’organisation.
Plusieurs élus ont rappelé que le Maroc ne souffrait pas seulement d’un manque de moyens, mais d’une incapacité persistante à les transformer en services effectifs. Derrière les chiffres, les patients paient le prix de cette inertie avec des délais interminables, des structures fermées ou sous-dotées et des responsabilités diluées entre administrations centrales et collectivités locales.
Le gouvernement défend son bilan
Face à ce constat sévère, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, qui dit comprendre les revendications sociales exprimées par les jeunes et les citoyens en général en particulier sur la réforme du secteur de la santé, a tenté de défendre son bilan.
Devant la commission des secteurs sociaux de la Chambre des représentants, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tehraoui, a défendu «le projet de réforme globale» qu’il présente comme le seul moyen de répondre aux attentes et de garantir un service de qualité, respectueux de la dignité des citoyens sur l’ensemble du territoire.
Se disant conscient du caractère chronique des dysfonctionnements, le ministre a rappelé que le gouvernement a engagé des réformes en commençant par le cadre juridique, avec l’appui de l’institution législative. Il a mis en avant la volonté de renforcer les infrastructures et assuré que d’importants budgets avaient déjà été mobilisés. Mais il a reconnu que les réalisations demeurent insuffisantes pour combler les déficits, notamment dans certaines régions.
L’un des axes prioritaires reste l’accélération de la construction et de la mise à niveau des hôpitaux et centres de santé. Tehraoui a cité plusieurs projets phares : le CHU Mohammed VI de Tanger (797 lits), celui d’Agadir (867 lits), le CHU de Laâyoune (500 lits) et le nouveau CHU Ibn Sina de Rabat (1.044 lits). À ces infrastructures, s’ajoutent des projets de centres hospitaliers universitaires prévus à Guelmim, Tafilalet et Béni-Mellal, pour un total de plus de 3.500 lits supplémentaires.
Sur le plan des ressources humaines, le ministre admet le déficit persistant, tout en soulignant qu’il ne pouvait être comblé immédiatement. Une stratégie est néanmoins en cours, reposant sur la création de nouvelles facultés de médecine et d’instituts de formation. Le nombre de places pédagogiques destinées aux médecins doit ainsi atteindre 6.414 en 2025, contre 2.650 en 2019, soit une hausse de 142 %.
La capacité d’accueil des instituts supérieurs des professions infirmières et techniques de santé a, elle, été portée à 9.500 places depuis 2024, contre 2.735 en 2019. Quatre nouvelles facultés de médecine ont également ouvert à Guelmim, Béni-Mellal, Drâa-Tafilalet et Laâyoune, avec des premières promotions attendues entre 2026 et 2028. Le ministre a enfin rappelé que le nombre de professionnels de santé est passé de 45.000 en 2019 à plus de 59.000 en 2025, soit une hausse de 30%.
Dans le détail, les effectifs infirmiers et techniciens ont progressé de 29% (de 27.000 à 35.000), tandis que les cadres administratifs et techniques ont bondi de 62% sur la même période. Le ministre rappelle également qu’une telle dynamique s’accompagne d’une amélioration nette des salaires.
Entre janvier 2022 et juillet 2025, les rémunérations ont été revalorisées de 4.390 dirhams pour les médecins généralistes et chirurgiens-dentistes, 4.405 dirhams pour les spécialistes, 950 dirhams pour les infirmiers et techniciens, 1.750 dirhams pour les administratifs et 1.700 dirhams pour les agents techniques.
Dans le débat parlementaire, comme dans la rue, le diagnostic est largement partagé. Le Maroc consacre désormais davantage de ressources à la santé, mais reste enfermée dans un carcan administratif qui empêche de transformer l’effort budgétaire en services concrets.
De concert, les députés s’accordent sur le fait que la crédibilité de la réforme dépendra de la capacité à rétablir un lien de confiance entre l’État, ses institutions et des citoyens qui ne croient plus aux effets d’annonces, et exigent des soins de qualité.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO