Prix des médicaments : le bras de fer

Le projet de réforme des prix des médicaments revient sur le devant de la scène avec une manifestation des pharmaciens à Rabat. Des dizaines de blouses blanches ont battu le pavé mardi devant le ministère de la Santé. À l’origine du sit-in, un projet de décret sur les prix des médicaments. Les uns y voient une avancée pour les patients et la soutenabilité de l’assurance maladie, les autres redoutent une réforme menée sans filet qui précipiterait la faillite d’un tiers des officines. Derrière les slogans, des chiffres, des marges et des visions opposées du rôle de la pharmacie dans le système de santé.
Un parvis noir de blouses blanches s’est formé devant le ministère de la Santé à Rabat, mardi. À la tribune improvisée, Mohamed Lahbabi, président de la La Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc (CSPM), a salué «tous les pharmaciens qui ont répondu à l’appel» et planté le décor d’une profession qui «se tient debout» pour «défendre ses droits» et le droit des citoyens à «des médicaments de qualité à des prix raisonnables».
La contestation vise le projet de décret qui revoit la fixation des prix. Les syndicats parlent de fragilisation économique, le ministère insiste sur l’intérêt des patients et la soutenabilité de l’assurance maladie. Le ministère de la Santé souhaite remplacer le décret de 2013 pour moderniser la mécanique des prix.
Parmi les nouveautés annoncées : révisions tarifaires plus fréquentes, indexation obligatoire des génériques à un prix inférieur de 30% au princeps, plafonnement du nombre de génériques par molécule, introduction de prix négociés pour les traitements budgétivores, droit de substitution pour les pharmaciens. L’ambition affichée est double : d’un côté, réduire le coût pour les patients, et, de l’autre, sécuriser la soutenabilité financière de l’assurance maladie. La tutelle parle d’une «approche participative», fruit de dizaines de réunions.
Des marges qui divisent
Au centre du désaccord, se trouve la question des marges. Les textes réglementaires fixent des taux bruts élevés, théoriquement compris entre 30 et 50% pour les médicaments les moins chers, avec des forfaits de 300 à 400 dirhams pour les plus coûteux.
Hafid Oualalou, pharmacien d’officine, présent lors du sit-in, donne cependant une autre lecture en affirmant que «la marge nette n’est pas de 30, de 40 ou de 50%, elle est de 6 à 10%».
Cette précision change la perception, puisque entre la marge brute et la marge nette s’ajoutent les charges liées aux loyers, aux salaires et à la fiscalité. C’est précisément ce différentiel qui alimente la crainte des officines de voir leur équilibre économique encore plus fragilisé par une baisse mécanique des prix.
Notre interlocuteur souligne que la polémique se focalise sur une minorité de traitements très chers, notamment les anticancéreux et les médicaments destinés aux pathologies chroniques, souvent importés et indisponibles en officine.
«Ce sont des médicaments qui ne se trouvent pas dans les pharmacies de quartier mais plutôt dans les cliniques privées et les hôpitaux», précise-t-il, estimant que la question des marges ne peut pas être jugée à partir de ces exceptions.
Hafid Oualalou attire aussi l’attention sur un autre chiffre. «Le médicament représente 34% des dépenses de la CNSS», explique-t-il, tout en regrettant que le ministère concentre sa réforme sur ce seul poste sans s’attaquer à d’autres composantes du coût des soins.
Radiologie, analyses, hospitalisations et honoraires médicaux restent, selon lui, hors des radars, alors qu’ils pèsent lourdement sur les assurés. À ses yeux, «la politique de santé ne peut pas se réduire au prix du médicament», mais doit intégrer l’ensemble des dépenses pour que la réforme soit réellement équilibrée. Au-delà des marges, la profession pointe un problème de gouvernance.
Dr Oualalou rappelle que le nombre exact de pharmacies au Maroc reste mal connu. «Il serait présentable de dire 12.000, ou 14.000, mais nous n’avons pas de recensement exact», regrette-t-il. Il appelle à la publication annuelle de la liste des pharmaciens en exercice par le Secrétariat général du gouvernement et par le Conseil de l’Ordre. Une demande technique mais symbolique d’un secteur qui se sent mal représenté et insuffisamment écouté.
Les raisons de la grogne
La contestation ne se limite pas à la question des prix. Le discours prononcé à Rabat met aussi en avant une série de griefs qui vont de la vente de médicaments hors des circuits légaux à la commercialisation de compléments alimentaires sans contrôle, en passant par des arrestations jugées injustifiées de pharmaciens ou encore l’absence d’élections des conseils de l’Ordre depuis huit ans. De tels constats nourrissent l’impression d’un secteur livré à lui-même.
«Le modèle de service actuel des pharmacies, qui a atteint ses limites, n’est plus viable sans une révision complète, réaffirmant la place du pharmacien au sein du système de santé», insiste la Confédération, qui appelle à une réforme globale et à une redéfinition claire du rôle du pharmacien.
Pour le gouvernement, la nécessité d’agir est incontestable. Le Maroc reste un pays où les prix des médicaments sont jugés élevés au regard du pouvoir d’achat. Le ministère estime que la réforme est indispensable pour accompagner la généralisation de la protection sociale et renforcer la consommation de génériques.
Encourager la production locale, introduire de nouvelles modalités de fixation des prix et permettre aux pharmaciens de substituer sont autant de leviers pour améliorer l’accès. L’exécutif met en avant l’intérêt général et la soutenabilité de la dépense publique, en rappelant que le poste «médicament» représente une part importante du budget santé.
Une équation à résoudre
La manifestation de Rabat n’était pas un simple coup de colère mais le reflet d’une équation encore sans solution. Les pharmaciens affirment ne pas être dans une logique de blocage.
«Nous avons des solutions et des propositions concrètes», rappelle Oualalou, appelant à un dialogue global qui ne se limite pas au seul prix mais prenne en compte les taux de remboursement, la disponibilité des médicaments et l’avenir de la production locale.
Le ministère, de son côté, insiste sur la nécessité de réduire la charge pour les ménages et pour l’assurance maladie. Entre les deux, le terrain du compromis reste à construire.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO