Maroc

Paie et cotisations sociales : l’arrêté 1314-25 change les règles du jeu

Entré en vigueur le 1er octobre 2025, l’arrêté n°1314-25 rebat les cartes de la paie et de la fiscalité sociale au Maroc. En redéfinissant avec précision les éléments du salaire assujettis à cotisation CNSS, ce texte met un terme à des décennies de flou et d’interprétations contradictoires. Pour la première fois, le régime fiscal et le régime social s’alignent sur une même logique d’évaluation et d’exonération, offrant aux entreprises un cadre clair, harmonisé et juridiquement sécurisé. Mais cette avancée majeure s’accompagne d’un défi de taille : revoir en profondeur les pratiques de rémunération, les systèmes de paie et les procédures internes, afin d’inscrire la conformité au cœur de la gouvernance salariale.

Depuis le 1er octobre 2025, les entreprises marocaines sont entrées dans une nouvelle ère de la gestion de la paie et de la conformité sociale. L’arrêté n°1314-25, fraîchement publié au Bulletin officiel n°7443, vient redéfinir les contours de l’assiette des cotisations sociales versées à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).

Le texte opère une harmonisation sans précédent entre le droit fiscal et le droit social et instaure un cadre clair, juridiquement sécurisé et contraignant pour les employeurs. Pris en application du décret n°2-25-266 du 12 septembre 2025, lui-même fondé sur la loi n°1.72.184 relative au régime de sécurité sociale, cet arrêté met un terme à des décennies de pratiques hétérogènes et d’interprétations divergentes entre entreprises, auditeurs, CNSS et administration fiscale.

Fini le flou !
L’un des apports majeurs du texte réside dans la définition précise de ce qui entre, ou non, dans l’assiette des cotisations sociales. L’article premier rappelle le principe général : toutes les sommes versées en contrepartie ou à l’occasion du travail — qu’elles soient en numéraire ou en nature, régulières ou occasionnelles — sont soumises à cotisation, sauf disposition expresse d’exclusion.

Ce principe, désormais formalisé, clarifie une zone grise qui, depuis des années, alimentait litiges et redressements. Désormais, tout avantage lié à la fonction ou à la performance sera intégré, sauf preuve contraire fournie par l’employeur. L’arrêté consacre, en outre, une avancée de fond : l’harmonisation entre régime fiscal et régime social.

Jusqu’ici, les indemnités et primes pouvaient bénéficier d’un traitement fiscal favorable tout en demeurant soumises à cotisation CNSS, ou inversement. Le texte établit désormais un principe d’équivalence : une somme exonérée d’impôt sur le revenu le sera également du point de vue des cotisations sociales, sauf mention contraire.

Cette convergence, longtemps attendue, permettra d’unifier les pratiques comptables, de simplifier les audits croisés et de fiabiliser les déclarations via les portails de la Direction générale des impôts (DGI) et de la CNSS. Elle s’inscrit également dans l’effort global de digitalisation de la paie, favorisant la transparence et la traçabilité des flux salariaux.

le plan opérationnel, la portée du texte est immédiate. L’assiette de cotisation doit désormais être déterminée en fonction des rémunérations dues ou versées au cours de la période considérée, indépendamment de leur date effective de paiement.

Autrement dit, toute somme acquise au salarié — même différée, telle une prime annuelle, un rappel de salaire ou un congé compensatoire — doit être intégrée à la base de calcul du mois où elle est exigible. Cette disposition renforce la rigueur comptable et met fin aux ajustements rétroactifs de fin d’exercice.

Les articles 2 à 5 du texte détaillent les cas d’exclusion, de manière exhaustive. Les indemnités de licenciement, de départ volontaire, de décès ou de fin de contrat sont explicitement exclues, dès lors qu’elles ne constituent pas une compensation de salaire.

Les primes liées à des événements familiaux, comme la naissance ou le mariage, demeurent également exonérées, à condition de conserver leur caractère exceptionnel et non forfaitaire. Cette précision évite que des primes régulières, déguisées en avantages sociaux, échappent indûment à cotisation.

Par ailleurs, le traitement des remboursements de frais est également clarifié. Les remboursements correspondant à des dépenses réelles, engagées dans le cadre du travail et dûment justifiées, conservent leur exonération. En revanche, les indemnités forfaitaires de sujétion — pour astreinte, pénibilité ou transport — entrent dans l’assiette, sauf disposition contractuelle ou conventionnelle contraire.

L’arrêté formalise ici une distinction essentielle entre remboursement de frais professionnel et avantage en nature déguisé, qui, jusqu’alors, reposait sur des interprétations subjectives. Autre changement structurant : la codification du traitement des avantages en nature. Le texte définit les barèmes d’évaluation selon la typologie de l’avantage.

Pour le logement, la valeur à déclarer correspond au loyer du marché ou, à défaut, à un barème forfaitaire fixé par l’administration. Pour le véhicule de fonction, la valorisation se fonde sur le coût réel d’usage, carburant inclus. Quant aux repas ou tickets repas, un montant journalier est désormais établi. En intégrant ces valeurs à la rémunération brute, le législateur cherche à mieux refléter la réalité économique du revenu salarié et à réduire les distorsions entre catégories professionnelles.

D’autre part, l’arrêté fixe également de nouvelles exigences en matière de justification et de conservation documentaire. L’employeur est désormais tenu de conserver, pendant une période minimale de dix ans, l’ensemble des pièces justificatives relatives aux indemnités et avantages exclus de l’assiette. Cette obligation documentaire constitue un tournant dans la gestion de la conformité. Elle implique une refonte des politiques de paie et des systèmes d’archivage, mais offre en contrepartie une meilleure sécurité juridique en cas de contrôle.

Equité et conformité
Cette réforme, bien que technique, traduit une ambition plus large : instaurer un système de rémunération fondé sur la transparence, la traçabilité et la convergence des normes. Elle responsabilise les entreprises et renforce la cohérence entre les trois piliers du droit du travail : le social, le fiscal et le comptable. Elle confère également à la CNSS un rôle renforcé de contrôle et d’accompagnement, dans un contexte où la formalisation de l’économie et la digitalisation du reporting social deviennent des priorités nationales.

Pour les directions financières, les cabinets comptables et les responsables RH, la période qui s’ouvre exige une révision complète des grilles de rémunération, des politiques d’avantages et des paramétrages de paie. Chaque indemnité devra être requalifiée, chaque avantage en nature évalué, chaque prime redéfinie. À terme, cette réforme vise à unifier les régimes de traitement, à réduire les contentieux et à faire émerger une culture salariale fondée sur l’équité et la conformité.

Les marins pêcheurs à la part : un régime enfin clarifié

Un second arrêté, publié au même Bulletin officiel (n°7443), complète le dispositif de réforme sociale engagé par le décret n°2-25-266 du 12 septembre 2025. Il précise les modalités de calcul des jours de cotisation à la sécurité sociale pour les marins pêcheurs rémunérés à la part, ainsi que les règles de lissage de leurs revenus. Longtemps, ce régime particulier a été source de complexité pour les armateurs comme pour la CNSS, en raison du caractère variable, saisonnier et souvent informel des revenus issus de la pêche.

L’arrêté n°1315-25 vient ainsi combler ce vide juridique en fixant une base claire et homogène. Désormais, les jours de cotisation ne sont plus déterminés uniquement en fonction du nombre de jours effectivement embarqués, mais selon la durée moyenne des campagnes de pêche. Autrement dit, un marin pêcheur est réputé avoir travaillé un nombre de jours correspondant à la période d’activité réelle du navire, même si les captures et les sorties varient d’un mois à l’autre.

Ce nouveau mode de calcul introduit un mécanisme de lissage des revenus sur douze mois. Les rémunérations perçues à la part sont désormais réparties sur l’ensemble de l’année, afin d’éviter les «trous» dans les déclarations mensuelles de cotisations. Ce système assure aux marins une continuité de droits sociaux — retraite, assurance maladie, allocations familiales — tout en réduisant la volatilité des assiettes de cotisation.

Le texte précise également que les contributions dues à la CNSS doivent être calculées sur la base d’un revenu moyen reconstitué, intégrant les variations de production, les périodes de repos biologique et les arrêts techniques. Cette approche protectrice vise à sécuriser la couverture d’une population exposée à la précarité et à l’informalité, tout en garantissant aux armateurs une meilleure visibilité sur leurs obligations sociales et leurs charges.

Par ailleurs, l’arrêté consacre une innovation majeure : la digitalisation du suivi social des marins. Une plateforme en ligne, interconnectée avec la CNSS, permettra aux armateurs de déclarer les périodes d’embarquement et les parts distribuées, assurant la traçabilité des données de carrière et la fiabilité des déclarations.

Cette modernisation marque une étape décisive dans la gestion sociale du secteur maritime, longtemps tributaire de pratiques manuelles ou locales. Au-delà du seul secteur de la pêche, cette mesure s’inscrit dans une dynamique d’équité et de convergence des régimes contributifs. Après les agriculteurs, les transporteurs ou les artisans, les marins bénéficient à leur tour d’un cadre social stabilisé.

H.K. / Les Inspirations ÉCO



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