Mondial 2030 : de Rabat à Lisbonne, une mine d’opportunités
La recherche de synergies en matière d’investissements stratégiques a été le maître-mot de la rencontre économique Maroc-Portugal, organisée à Rabat par l’Agence portugaise pour l’investissement et le commerce extérieur, en collaboration avec la CGEM. Sous le thème «Maroc-Portugal : Bâtir l’avenir en partenariat», l’événement a réuni décideurs et opérateurs autour des opportunités générées dans les infrastructures, le tourisme et les télécommunications, et ce, en préparation du Mondial 2030.
L’économie européenne tangue, fragilisée par les déboires d’une industrie allemande en perte de compétitivité, la fin de l’accès au gaz russe – jadis si bon marché -, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, et le retour d’un Donald Trump qui promet de jouer les trouble-fêtes.
Pour surmonter ces vulnérabilité, l’Europe, en tant qu’union économique, cherche des relais de croissance au-delà de ses frontières. Le rapprochement avec l’Amérique latine, via le Mercosur, qui semblait encore inimaginable il y a peu, est désormais dans les starting-blocks. Dans la même veine, Bruxelles a scellé, au lendemain de l’invasion russe de l’Ukraine, des partenariats avec la Norvège, l’Azerbaïdjan ou encore le Qatar en vue de sécuriser son approvisionnement énergétique.
Terre d’opportunités
Mais d’un État à l’autre, les stratégies divergent. La France, par exemple, opte pour la délocalisation de son industrie, avec des entreprises transférant leur production vers des pays à moindre coût. Une politique, qui du point de vue de nombreux observateurs, entraîne un glissement de savoir-faire et une perte d’emplois industriels.
Le Portugal, pour sa part, privilégie une approche sensiblement différente. Avec l’avènement du Mondial 2030, le pays se réoriente peu à peu vers ses partenaires lusophones en Afrique, et considère le Maroc comme un terrain privilégié pour exploiter les opportunités stratégiques qu’offre le Mondial 2030. En ligne de mire, l’extension de son savoir-faire en Afrique via le Maroc, tout en conservant son industrie locale et les emplois au Portugal.
«Nous comptons beaucoup sur l’expertise marocaine pour arriver à mieux écouler nos services, non seulement au Maroc, mais aussi dans les pays africains où le Royaume est bien implanté», confie Rui Cordovil, conseiller économique de l’Ambassade du Portugal au Maroc, en marge de la rencontre organisée, jeudi dernier, par l’Agence portugaise pour l’investissement et le commerce extérieur, en partenariat avec la CGEM, sous le thème «Maroc-Portugal : Bâtir l’avenir en partenariat».
La délégation portugaise, en prospection au Maroc, est conduite par João Rui Ferreira, secrétaire d’État portugais à l’économie. Elle compte plusieurs opérateurs privés dans les secteurs de l’infrastructure et la construction, la mobilité, le transport, les télécommunications et le tourisme.
Des échanges encore limités
Avec des échanges évalués à 32 milliards de dirhams, les relations économiques entre le Maroc et le Portugal restent modestes.
«C’est peu. Quand il n’y a quasiment rien, tout reste à construire. Il y a de la place, évidemment, au Maroc mais aussi au Portugal et, au-delà, dans la profondeur africaine et européenne, pour nos entreprises marocaines déjà présentes aujourd’hui», observe Karim Amor, président de la 13e Région de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM).
Ce constat reflète les marges de progression importantes qui subsistent entre les deux pays. Le Portugal peut se targuer de la présence de plus de 200 entreprises sur le sol marocain, témoignant d’une solide implantation économique. Mais les ambitions ne s’arrêtent pas là.
«Nous souhaitons, nous autres Marocains, avoir cette possibilité de nous installer au Portugal, pour ouvrir des perspectives bien plus vastes sur l’Europe. Moi-même, je prévois d’implanter en 2025 une unité d’intelligence artificielle et de calcul quantique au Portugal, en partenariat avec une entreprise locale», ajoute Amor, soulignant l’opportunité de la réciprocité dans cette coopération bilatérale.
Cette dynamique économique ne date pas d’hier. Entre 2019 et 2023, les exportations portugaises vers le Maroc ont progressé de 36%, faisant du Royaume la 13e destination des produits portugais.
De son côté, le Portugal est devenu le 10e fournisseur du Royaume avec 2,8% des importations marocaines. Ces chiffres traduisent une interdépendance croissante entre les deux économies, bien que des déséquilibres subsistent.
«Dans un contexte mondial marqué par des tensions économiques et des restrictions croissantes, les deux pays aspirent à jouer un rôle de pont entre l’Europe et l’Afrique. La collaboration dans le cadre de l’Union européenne et de l’Union africaine s’impose comme une voie stratégique pour renforcer la prospérité mutuelle et promouvoir des principes de durabilité et de libre-échange», explique Rafael Alves Rocha, directeur général de la Confédération patronale du Portugal.
Au-delà des échanges commerciaux, ce sont les projets structurants qui alimentent la coopération bilatérale. La Coupe du Monde 2030, que le Maroc organisera conjointement avec le Portugal et l’Espagne, symbolise cette convergence. L’événement dépasse la simple compétition sportive puisqu’il se veut avant tout un levier pour stimuler les investissements dans les grands chantiers d’infrastructure à venir.
Dans le secteur du BTP, la collaboration devrait reposer sur des expertises complémentaires. Le Maroc, engagé dans des investissements majeurs dans ses infrastructures routières, ferroviaires et portuaires, offre un cadre propice à des partenariats stratégiques.
Le Portugal, fort de son expertise en régénération urbaine et logement social, est à même de répondre à cette dynamique en proposant des solutions durables, notamment dans l’utilisation de matériaux écologiques. Les avancées dans les énergies renouvelables ouvrent également des perspectives pour des collaborations autour d’infrastructures respectueuses de l’environnement.
«Cette alliance va au-delà des échanges commerciaux et incarne une vision commune de développement durable et d’innovation. En bâtissant des ponts entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc et le Portugal posent les bases d’une collaboration exemplaire, visant à dépasser les frontières traditionnelles pour établir un partenariat stratégique et ambitieux», souligne Paulo Rios, membre du conseil d’administration de l’Agence portugaise pour l’investissement et le commerce extérieur.
Cette coopération, portée par une histoire partagée et une proximité géographique, va bien au-delà des échanges commerciaux. Elle traduit une volonté des deux pays de s’ériger en acteurs clés dans les relations euro-africaines, en tirant parti de leurs atouts respectifs pour bâtir un partenariat durable.
Le Maroc aspire à devenir une destination “best cost, best value”
Depuis la mise en place de sa stratégie industrielle, le Maroc s’est initialement forgé une réputation de plateforme industrielle compétitive, se positionnant comme une destination «low cost» de référence dans la région.
Cette vision, bien que pragmatique, s’inscrivait dans une logique de captation d’investissements étrangers en misant sur des coûts de production attractifs et une proximité géographique avantageuse avec l’Europe.
Cependant, cette ambition a évolué au fil des années, comme l’a évoqué à maintes reprises le ministre de l’Industrie : «L’objectif est de devenir une destination «best cost, best value»».
En d’autres termes, il s’agit désormais de conjuguer compétitivité et valeur ajoutée, en intégrant des exigences de qualité, d’innovation et de durabilité dans l’ensemble des chaînes de valeur industrielles. Ce repositionnement marque un tournant dans l’ambition industrielle du Royaume.
Le Maroc ne se contente plus d’être une plateforme compétitive sur le plan des coûts ; il vise désormais à devenir une référence régionale en matière de qualité et d’innovation. Une trajectoire qui ne laisse pas indifférents des partenaires stratégiques comme le Portugal, désireux d’investir dans des économies à la fois dynamiques et structurées.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO