Lobbying privé : un vide juridique préoccupant

L’interdiction faite aux commissions parlementaires d’auditionner les acteurs du secteur privé, actée par la Cour constitutionnelle, met en lumière un inquiétant vide juridique. Une étude publiée par la MIPA alerte sur les risques d’un dialogue institutionnel non encadré, au détriment des principes de transparence et d’égalité.
Peut-on parler de démocratie participative tout en écartant le secteur privé des débats parlementaires ? C’est la question que soulève la récente décision de la Cour constitutionnelle marocaine, qui a invalidé une disposition du règlement intérieur de la Chambre des représentants autorisant ses commissions à entendre les représentants du privé. Une décision que le Moroccan institute for policy analysis (MIPA) analyse en profondeur dans une publication pointant les failles juridiques et institutionnelles qui rendent les interactions entre Parlement et secteur privé à la fois floues et inéquitables.
Une disposition censurée, malgré la Constitution de 2011
Le 7 août 2024, la Cour constitutionnelle a censuré l’article 130 du règlement intérieur de la Chambre des représentants, estimant que la possibilité pour les commissions permanentes d’entendre les acteurs du secteur privé n’était pas fondée sur un texte constitutionnel clair.
Pourtant, la disposition se voulait conforme à l’esprit de la Constitution de 2011, qui fait de la démocratie participative un fondement du système politique marocain.
Dans sa décision, la Cour a rappelé que toute extension des compétences parlementaires devait reposer sur une base juridique explicite. Si l’audition d’experts ou de représentants d’organismes est tolérée à titre consultatif, l’inclusion du secteur privé a été jugée inconstitutionnelle. La justification repose sur une lecture rigide des articles 102 et 130, sans pour autant expliquer pourquoi d’autres catégories d’intervenants seraient recevables.
Un vide juridique aux conséquences concrètes
Selon l’analyse de le MIPA, cette exclusion crée un déséquilibre dans la participation des différentes composantes de la société. Alors que la Constitution prévoit l’implication de la société civile dans l’élaboration des politiques publiques, le secteur privé en reste écarté, en l’absence d’un cadre juridique qui organiserait ces échanges.
En pratique, «les interactions entre le Parlement et les acteurs économiques existent déjà, mais se déroulent de manière informelle, sans règles claires ni obligation de transparence». Ce flou alimente «la méfiance, nuit à l’égalité d’accès aux instances législatives, et affaiblit l’efficacité de la concertation autour des lois budgétaires ou des politiques économiques».
L’exemple des démocraties avancées
À l’international, de nombreux pays ont adopté des lois sur le lobbying afin de garantir des échanges encadrés et transparents entre représentants d’intérêts et institutions. L’Union européenne, les États-Unis, le Canada ou encore l’Australie ont mis en place des registres, des codes de conduite et des obligations de déclaration.
Ces dispositifs n’empêchent pas le lobbying, mais en limitent les dérives, en assurant un accès équitable et tracé à l’information parlementaire. Le Maroc gagnerait à s’en inspirer.
La MIPA plaide pour l’adoption d’un cadre légal national, qui reconnaîtrait officiellement le lobbying comme une pratique démocratique, et non comme une zone grise. Une telle réforme permettrait de sortir d’un fonctionnement officieux, tout en renforçant la légitimité du travail parlementaire.
Vers une participation plus inclusive
Dans sa conclusion, l’étude du MIPA estime que la prudence excessive de la Cour constitutionnelle risque de freiner l’évolution du processus législatif marocain. Exclure les représentants du secteur privé revient à limiter le champ de la démocratie participative, alors que leurs contributions pourraient enrichir les débats, à condition qu’elles soient encadrées et non contraignantes.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO